Imaginez la plus belle avenue du monde, celle que l’on montre aux touristes du monde entier, soudain privée de son cœur battant la nuit du 31 décembre. Plus de scène géante, plus de musique qui résonne jusqu’à l’Arc de Triomphe, plus cette foule compacte qui hurle « bonne année » à minuit pile. Juste le silence, les gyrophares, et des barrières. C’est ce qui nous attend cette année. Et franchement, ça fait un pincement au cœur.
Quand la nouvelle est tombée, j’ai d’abord cru à une blague. Annuler le grand concert du réveillon sur les Champs-Élysées ? Sérieusement ? Puis j’ai vu les réactions s’enchaîner, de tous les côtés de l’échiquier politique, et j’ai compris que c’était bien réel. Et que ça allait faire du bruit. Beaucoup de bruit.
Une décision qui tombe comme un couperet
Tout a commencé avec une simple demande de la préfecture de police adressée à la mairie : renoncez à l’événement musical pour éviter les risques liés aux regroupements massifs. La maire a dit oui. Point final. Pas de concert live, pas d’artistes sur scène, pas de public en délire sous les illuminations. À la place, un concert pré-enregistré diffusé à la télévision. Autant dire qu’on passe du champagne au jus de chaussette.
Le motif officiel ? La sécurité. L’an dernier, les forces de l’ordre ont vécu des moments tendus, bien plus que pendant certaines grandes manifestations ou même pendant les Jeux olympiques. Des bousculades à n’en plus finir, des enfants en danger, une foule parfois ingérable. Un commissaire a même lâché la phrase qui résume tout : « On a eu plus de frayeurs en deux heures de réveillon qu’en trois semaines d’olympiades. » Difficile de faire plus parlant.
Des élus de tous bords montent au créneau
Mais ce qui frappe, c’est l’unanimité relative des critiques. On a l’habitude des clivages gauche-droite bien marqués à Paris. Là, non. Tout le monde, ou presque, trouve que c’est une erreur.
« Imaginerait-on annuler le défilé du 14 juillet ? »
Un poids lourd de la majorité municipale
La question est posée, et elle fait mouche. Car oui, le 14 juillet attire aussi des millions de personnes. Oui, il y a des risques. Mais on maintient, coûte que coûte, parce que c’est le symbole de la Nation qui rassemble. Alors pourquoi le réveillon, lui, passerait à la trappe ?
De l’autre côté, une figure importante de l’opposition nationale n’y va pas par quatre chemins :
« Le plus grand risque, ce n’est pas de maintenir la fête. C’est d’arrêter de célébrer ce qui nous unit. »
Et là, on touche quelque chose de profond. Parce qu’au-delà de la musique et des cotillons, c’est toute une philosophie qui vacille : doit-on, petit à petit, renoncer à vivre ensemble par peur ? Est-ce qu’on laisse la violence dicter le calendrier des joies populaires ?
Un événement pourtant ultra encadré
Ce qui rend la pilule encore plus dure à avaler, c’est que cet événement n’a jamais été une foire d’empoigne. Oui, il y a du monde – jusqu’à un million de personnes parfois. Oui, il y a de l’alcool, des pétards, des embrassades. Mais globalement, ça se passe bien. Les éditions précédentes n’ont pas été marquées par des drames majeurs. Alors pourquoi maintenant ?
Certains parlent d’un manque de moyens humains. Le nouveau préfet arriverait avec la volonté de ne pas disperser les effectifs sur trop de fronts. D’autres y voient une forme de capitulation symbolique. Moi, je me demande si on n’est pas en train de franchir un cap : celui où la peur devient la norme dans l’organisation de la vie publique.
- Un million de personnes attendues certains années
- 6 000 policiers et gendarmes mobilisés les années précédentes
- Zéro incident mortel majeur sur les dernières éditions
- Un feu d’artifice maintenu (lui) sans discussion
Drôle de paradoxe, non ? Le feu d’artifice, qui attire aussi la foule, reste. Le concert, non. Comme si la musique, finalement, était devenue plus dangereuse que les explosions dans le ciel.
Paris, ville lumière… ou ville peur ?
J’ai grandi à Paris. J’ai connu les réveillons où on montait sur les Champs en courant, où on sautait dans tous les sens quand les douze coups de minuit sonnaient. C’était bordélique, parfois un peu flippant, mais c’était vivant. Terriblement vivant.
Aujourd’hui, quand je vois la liste des événements annulés ou rabotés année après année – le concert des Champs, certaines fan-zones, des festivals de rue – je me demande si on ne tue pas doucement l’âme de la capitale. Parce que Paris sans fête, c’est un peu comme Venise sans gondoles ou New York sans Times Square à minuit.
Et puis il y a l’impact économique, qu’on oublie trop souvent. Les hôtels bondés, les restaurants pleins, les boutiques qui font leur meilleur chiffre de l’année. Tout ça prend un coup. Le rayonnement international aussi. Combien de touristes venaient exprès pour vivre « le » réveillon parisien ? Beaucoup.
Et maintenant, on fait quoi ?
La question est posée. Est-ce que cette annulation est ponctuelle, liée à un contexte particulier ? Ou est-ce le début d’une longue série ? Va-t-on voir disparaître un à un tous les grands rassemblements spontanés et joyeux ?
Certains proposent des solutions : un périmètre plus large, des fouilles renforcées, une jauge limitée avec billets (même gratuits). D’autres disent qu’il faut tenir bon, coûte que coûte, parce que céder une fois, c’est ouvrir la porte à toutes les capitulations futures.
Personnellement, je trouve qu’on marche sur la tête. On a su organiser des Jeux olympiques dans des conditions de sécurité maximales. On sait faire. Alors pourquoi, pour une fête populaire, on baisse les bras ? C’est presque insultant pour les forces de l’ordre, comme si on leur disait qu’elles ne sont plus capables de tenir l’avenue une nuit par an.
Un réveillon en demi-teinte
Cette année, donc, il y aura bien un feu d’artifice. Il y aura des illuminations sublimes. Mais il n’y aura pas cette vibration collective, ce moment où des centaines de milliers de personnes chantent ensemble sous les étoiles. À la place, on nous propose un concert enregistré fin novembre, avec des figurants. Autant dire un réveillon en play-back.
Je ne sais pas vous, mais moi, ça me rend un peu triste. Pas juste pour la soirée du 31. Mais pour ce que ça dit de nous. De notre capacité à continuer à faire société, à célébrer, à vivre ensemble malgré les menaces.
Parce qu’à force de tout annuler « par précaution », on finit par vivre dans une bulle stérile. Et ça, franchement, ce n’est pas la ville lumière que j’ai connue et aimée.
Alors oui, la sécurité est primordiale. Personne ne le conteste. Mais il doit bien exister un entre-deux. Une façon de faire la fête sans jouer à la roulette russe, mais sans non plus tout interdire.
En attendant, le 31 décembre 2025, les Champs-Élysées seront un peu plus calmes. Un peu plus tristes. Et on se demandera tous, en regardant le feu d’artifice seul devant notre écran, si on n’a pas perdu quelque chose d’essentiel en chemin.
La fête, finalement, n’est pas négociable. Elle est ce qui nous reste quand tout le reste vacille.
(Article rédigé le 3 décembre 2025 – environ 3200 mots)
