Vous souvenez-vous de l’élection d’Emmanuel Macron en 2017 ? À seulement 39 ans, il avait balayé les vieux partis et s’était installé à l’Élysée comme une évidence. Huit ans plus tard, la question de la jeunesse revient sur la table, mais cette fois, elle divise profondément la droite. Et si l’expérience redevenait le critère numéro un pour les Français ? C’est en tout cas le pari que semble faire Bruno Retailleau en taclant sans ménagement Jordan Bardella.
Ce mercredi matin, l’ancien ministre de l’Intérieur n’y est pas allé avec le dos de la cuillère. Invité sur une radio nationale, il a carrément affirmé que les Français n’enverraient jamais le président du Rassemblement National au palais présidentiel. Le motif ? Un manque criant d’expérience. Et franchement, ça fait mouche… ou ça tombe complètement à côté, selon où l’on se place.
L’expérience, ce vieux refrain qui revient en force
Retailleau a été clair, presque professoral. Pour lui, on ne devient pas président de la République comme on prend la tête d’un club de supporters. Il faut avoir « poli son âme » dans la gestion de grandes collectivités, d’entreprises complexes, ou au moins dans des responsabilités lourdes. Traduction : Bardella, à 30 ans à peine en 2027, n’a jamais dirigé autre chose qu’un parti politique et un groupe au Parlement européen.
Et il enfonce le clou avec une pointe d’ironie bien sentie : « Vous avez aimé un président de 40 ans ? Vous allez adorer un président de 30 ans. » Le parallèle avec Macron est évident, mais le sous-texte est assassin : l’expérience de l’actuel locataire de l’Élysée, même contestée, était quand même plus solide que celle du jeune leader frontiste.
« Je pense que l’expérience, ça polit l’âme d’un homme et d’une femme et qu’on ne s’improvise pas à cette plus haute fonction sans avoir géri ni des grandes collectivités ni des entreprises. »
Bruno Retailleau, ce mercredi matin
Cette phrase résonne comme un uppercut. Parce qu’elle touche un point sensible : la légitimité. Bardella peut bien enchaîner les plateaux télé, les meetings géants et les selfies avec les militants, il reste, aux yeux de beaucoup de cadres de la droite traditionnelle, un « gamin » qui n’a jamais eu à gérer une crise majeure en direct.
Les sondages disent l’inverse… pour l’instant
Mais voilà, les Français, eux, semblent s’en moquer un peu. Les derniers sondages sont implacables : Jordan Bardella caracole en tête du premier tour, parfois avec plus de 30 % des intentions de vote. Et au second tour ? Il battrait à plates coutures la plupart des adversaires possibles, y compris des poids lourds de la gauche ou du centre.
Comment expliquer ce paradoxe ? Peut-être parce que l’expérience n’est plus le critère dominant. Après tout, on a vu des présidents expérimentés laisser le pays dans des situations compliquées. Et puis, il y a cette envie de renouvellement, ce ras-le-bol des « vieux » politiciens qui promettent tout et ne tiennent rien.
- Bardella parle comme les gens, pas comme un énarque
- Il incarne la rupture, là où beaucoup de « expérimentés » incarnent la continuité
- Il n’a pas de passé lourd à traîner (même si ses adversaires s’acharnent à lui en fabriquer un)
En face, Retailleau représente une droite plus classique, celle des notables, des barons locaux, des sénateurs enracinés. Une droite qui a gouverné, qui connaît les dossiers, mais qui peine à parler au peuple des « oubliés ».
L’union des droites ? Toujours pas pour Retailleau
Et puis il y a cette vieille rengaine : l’union des droites. Depuis des années, certains rêvent d’un grand rassemblement allant des Républicains au Rassemblement National. Éric Ciotti avait tenté le coup aux dernières législatives, avec le succès que l’on sait (un parti explosé en mille morceaux).
Retailleau, lui, refuse catégoriquement. Pour lui, pas question de faire « la tambouille des appareils ». Il préfère parler d’union des électeurs de droite, pas d’alliance avec un parti qu’il accuse… d’être socialiste dans l’âme ! Oui, vous avez bien lu.
« Le RN a un logiciel qui est un logiciel socialiste. »
Son argument ? Le vote du RN au Parlement sur le budget : +30 milliards d’impôts selon lui. Et un prétendu amour de l’assistanat. Des accusations classiques, presque rituelles à droite, mais qui montrent à quel point la fracture idéologique reste profonde.
Un débat plus profond : qu’est-ce qu’être prêt en 2027 ?
Au-delà du clash personnel, c’est tout un débat qui s’ouvre. Qu’est-ce qu’être prêt à présider la cinquième puissance mondiale en 2027 ?
D’un côté, il y a ceux qui pensent qu’il faut des décennies de terrain, des mandats locaux, des ministères, des crises gérées. De l’autre, ceux qui estiment que la politique a changé : aujourd’hui, c’est l’incarnation, le récit, la capacité à parler directement aux Français qui compte.
J’ai personnellement un faible pour la deuxième lecture. Regardez les grands renouvellements de ces dernières années : Macron, Zelensky en Ukraine, même Milei en Argentine. Des profils atypiques, jeunes, qui ont su capter une colère et proposer une rupture. Ça ne veut pas dire qu’ils réussissent tous, loin de là. Mais ça prouve que l’expérience n’est plus une condition sine qua non.
Et si Retailleau se trompait de combat ?
En attaquant Bardella sur l’expérience, Retailleau risque de passer pour le vieux sage qui n’a pas compris que le monde avait changé. Un peu comme ceux qui, en 2016, disaient de Macron : « Il n’a jamais été ministre, jamais élu, il ne tiendra pas six mois. » On sait la suite.
Pire : en refusant toute discussion avec le RN, il maintient une droite classique condamnée à l’impuissance. Car mathématiquement, sans accord ou au moins une forme de désistement réciproque, la droite « républicaine » n’a quasiment aucune chance d’être au second tour en 2027.
- Premier tour : Bardella largement en tête
- Second tour : duel Bardella vs un candidat de gauche ou du centre
- Résultat : les électeurs LR votent Bardella ou s’abstiennent
C’est cruel, mais c’est la réalité que dessinent tous les scénarios actuels.
2027, l’année de tous les dangers pour la droite traditionnelle
Retailleau le sait. Il joue son va-tout : repositionner Les Républicains comme la seule droite respectable, crédible, expérimentée. Un pari audacieux. Peut-être même suicidaire.
Car pendant ce temps, Bardella continue son chemin. Il parle immigration, sécurité, pouvoir d’achat. Des thèmes qui touchent directement des millions de Français. Et il le fait avec une aisance médiatique impressionnante pour son âge.
Alors oui, il n’a pas géré une région ou une grande ville. Mais est-ce vraiment un handicap quand on voit l’état des finances de certaines collectivités dirigées par des « expérimentés » ? Pas si sûr.
Conclusion : un match qui ne fait que commencer
Cette sortie de Retailleau n’est qu’un épisode. Le début d’une longue guerre des droites qui va durer deux ans. D’un côté, la jeunesse, l’énergie, la rupture. De l’autre, l’expérience, la respectabilité, la continuité.
Les Français trancheront. Peut-être pas comme on l’imagine aujourd’hui. Peut-être que l’expérience redeviendra un argument fort après cinq années supplémentaires de chaos. Ou peut-être que la soif de neuf sera plus forte que tout.
Une chose est sûre : ce débat-là est passionnant. Et il dit beaucoup de notre époque. Entre ceux qui pensent que gouverner s’apprend sur le terrain pendant vingt ans… et ceux qui estiment qu’un bon président, ça se révèle dans l’adversité, pas dans les mandats accumulés.
Vous, vous en pensez quoi ? L’expérience est-elle vraiment indispensable ? Ou peut-on diriger un pays avec du talent, de l’intuition et une bonne équipe ?
La réponse, on l’aura en mai 2027. D’ici là, attachez vos ceintures. Ça va secouer sévère à droite.
