Imaginez un instant que votre compte en banque continue de fonctionner, que votre carte vitale reste valide, que les hôpitaux continuent d’accueillir les patients… mais que personne, absolument personne, n’ait voté le budget qui finance tout cela pour l’année à venir. Ça paraît absurde ? C’est pourtant le risque qui plane, en ce moment même, sur la France.
L’an dernier, on a frôlé la catastrophe. Cette année, on pourrait bien y plonger pour de bon. Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2026 – le fameux PLFSS – est de retour à l’Assemblée après un premier rejet. Et franchement, rien ne laisse penser que ça va mieux se passer cette fois-ci.
Un budget pas comme les autres
Quand on parle du budget de l’État, tout le monde a en tête les impôts, les dépenses militaires ou l’éducation. Mais le budget de la Sécu, c’est autre chose. C’est le plus gros budget de France – plus de 600 milliards d’euros chaque année. C’est lui qui paie vos remboursements de lunettes, vos arrêts maladie, les pensions de retraite, les aides aux personnes handicapées, les salaires des infirmières… Bref, c’est le cœur battant de notre modèle social.
Et pourtant, contrairement au budget classique de l’État, le PLFSS n’est pas couvert par la Constitution de la même manière. En cas de non-vote, il n’y a pas automatiquement reconduction de l’ancien budget. Ça, c’est la première bombe à retardement.
Que s’est-il passé l’an dernier ? Un précédent qui fait peur
Rappelez-vous : fin 2024, le gouvernement de Michel Barnier tente de faire passer le PLFSS 2025. Refus total de l’opposition. 49.3 dégainé. Motion de censure. Chute du gouvernement. Deux mois plus tard, François Bayrou arrive, reprend le texte à peu près tel quel et… 49.3 à nouveau. Le texte passe, mais au forceps. Tout le monde s’en souvient encore comme d’un traumatisme parlementaire.
Aujourd’hui, on est presque au même point. Sauf que cette fois, même certains alliés de la majorité relative lâchent l’affaire. Les députés Horizons, par exemple, ont déjà prévenu qu’ils ne voteront pas le texte en l’état. Et quand on sait qu’il manque déjà une poignée de voix pour atteindre la majorité absolue… ça sent le roussi.
« Ce texte est indispensable »
– Une ministre déléguée, pourtant issue du groupe qui refuse de voter le texte
La phrase résonne un peu creux quand, dans le même temps, le parti dont elle est issue annonce qu’il ne votera pas le projet. C’est tout le paradoxe de la situation actuelle.
Que se passe-t-il concrètement si aucun PLFSS n’est voté ?
C’est la grande question. Et la réponse n’est pas aussi apocalyptique qu’on pourrait le croire… au début.
En réalité, la Sécurité sociale ne s’effondrerait pas du jour au lendemain. Elle continuerait de fonctionner grâce à un mécanisme bien rodé : les douzièmes provisoires. En gros, chaque mois, la Sécu pourrait dépenser 1/12e du budget de l’année précédente. Ni plus, ni moins.
- Les pensions de retraite continueraient d’être versées (mais sans revalorisation prévue)
- Les remboursements de soins resteraient au même niveau
- Les arrêts maladie seraient toujours indemnisés
- Les hôpitaux continueraient de tourner… mais sans les moyens supplémentaires prévus
Mais attention : ça, c’est le scénario doux. Parce qu’en réalité, le PLFSS ne se contente pas de dire combien on dépense. Il fixe aussi les objectifs de dépenses, les nouvelles mesures, les économies ou les investissements. Sans texte voté, tout ça saute.
Les vraies conséquences d’un vide budgétaire
Et là, ça devient sérieux.
Premier point : les 1,5 milliard d’euros supplémentaires prévus pour l’autonomie et le handicap ? Volatilisés. Les nouvelles mesures sur la dépendance ? Reportées sine die. Les revalorisations de certaines aides ? Oubliées.
Deuxième point, et pas des moindres : l’Ondam – l’objectif national de dépenses d’assurance maladie – ne serait plus fixé. Les hôpitaux, les cliniques, les médecins libéraux n’auraient plus de cadre clair. Négociations bloquées, tensions garanties.
Troisième point, peut-être le plus explosif : les mesures d’économies. Chaque année, le PLFSS contient des « rabots » – des réductions de dépenses parfois douloureuses. Sans texte, ces économies ne sont pas réalisées. Résultat ? Le déficit de la Sécu explose encore plus vite.
Et là, j’ai envie de dire : on marche sur la tête. D’un côté, tout le monde hurle au déficit public insoutenable. De l’autre, on risque de bloquer le seul texte qui permet justement de le contenir un minimum. C’est ubuesque.
Le 49.3, solution miracle ou bombe à retardement ?
Évidemment, il reste la carte du 49.3. Le gouvernement peut toujours forcer l’adoption sans vote. Mais à quel prix ?
L’an dernier, ça a fait tomber un Premier ministre. Cette année, avec une majorité encore plus fragile, ça pourrait bien signer la fin du gouvernement actuel. Et ensuite ? Des élections anticipées ? Un blocage total jusqu’en 2027 ? Personne n’a vraiment envie de ça… mais personne ne semble non plus prêt à voter le texte.
« On ne peut pas voter pour »
– Le leader d’un groupe pivot de la majorité relative
Quand même vos alliés vous lâchent, c’est que le texte pose un vrai problème. Ou que la situation politique est devenue ingérable. Probablement les deux.
Et si on sortait de cette spirale ?
À force de voir le 49.3 comme la seule issue, on oublie qu’il existe une autre voie : le compromis. Mais pour ça, il faudrait que tout le monde accepte de discuter vraiment. Que la gauche lâche sur certaines mesures symboliques. Que la droite accepte des efforts sur les hauts revenus. Que le centre arrête de jouer les arbitres prétentieux.
Bref, il faudrait un miracle.
En attendant, on est là, à quelques jours du vote solennel prévu le 9 décembre, avec un texte qui risque de rejoindre la longue liste des lois mort-nées de cette législature. Et pendant ce temps, les Français, eux, attendent toujours de savoir si leur système de protection sociale va tenir le choc une année de plus.
Franchement, on en est là. Un des pays les plus riches du monde, incapable de voter le budget de sa Sécurité sociale. Il y a de quoi se poser des questions sur l’état de notre démocratie.
Et vous, pensez-vous que le gouvernement ira jusqu’au 49.3 ? Ou qu’on va vers un blocage historique ? Une chose est sûre : on n’a jamais été aussi près de découvrir ce que signifie vraiment « vivre sans budget pour la Sécu ».
