Il y a des moments où la politique locale ressemble à une partie d’échecs jouée dans le brouillard. À Saint-Denis, ces derniers jours, on a senti que le brouillard se levait enfin. Après des semaines de rumeurs, de réunions jusqu’au bout de la nuit et de textos qui fusent à 3 heures du matin, l’accord est tombé. Et il n’est pas anodin.
Un nom ressort désormais : Bally Bagayoko. L’élu insoumis, ancien adjoint, portera les couleurs d’une liste d’union entre La France Insoumise, le Parti communiste français et l’association citoyenne Seine-Saint-Denis au cœur. Face à lui, le maire sortant Mathieu Hanotin, qui brigue un second mandat avec la conviction de celui qui pense avoir déjà gagné la partie.
Mais est-ce vraiment le cas ? Rien n’est moins sûr.
Une union qui n’avait rien d’évident
Reprenons depuis le début. Saint-Denis, c’est une ville où la gauche a toujours été multiple. Historiquement rouge avec le PCF aux commandes pendant des décennies, elle a basculé en 2020 vers le PS avec l’arrivée de Mathieu Hanotin. Entre-temps, La France Insoumise a grignoté du terrain, portée par des scores nationaux impressionnants dans le département.
Le décor était donc posé pour une guerre fratricide. On parlait déjà de triangulaire explosive, de dispersion des voix, de second tour perdu d’avance. Et puis, petit à petit, l’idée d’une union a fait son chemin. Pas l’union tiède, non. Une vraie liste commune, avec un projet partagé et une tête de liste choisie ensemble.
« Ce n’était pas juste un rassemblement de circonstance. On voulait quelque chose de pluriel, sans hégémonie, avec une méthode collégiale et des propositions portées par les habitants eux-mêmes. »
Une élue communiste impliquée dans les négociations
Cette phrase résume assez bien l’état d’esprit. On ne voulait pas reproduire les erreurs du passé, où les étiquettes prenaient le pas sur le fond. Cette fois, on a parlé programme avant de parler places. Ou presque.
Pourquoi Bally Bagayoko en tête de liste ?
La question était épineuse. Le PCF a dirigé la ville pendant longtemps. Beaucoup de militants communistes estimaient que la légitimité historique devait primer. D’un autre côté, les chiffres parlent : depuis 2017, les scores de LFI dans le 93 sont impressionnants. Législatives, européennes, présidentielles… le rapport de force a basculé.
Il a fallu des heures de discussions, des médiations discrètes – on parle même de l’intervention directe de certains députés – pour arriver à un compromis. Bally Bagayoko s’est imposé comme le choix le plus logique. Pas par coup de force, mais parce que son profil rassemble.
- Ancien adjoint sous la mandature précédente, il connaît parfaitement les dossiers.
- Il incarne une gauche de combat, ancrée dans les quartiers populaires.
- Son discours sur la sécurité, l’éducation et les services publics parle à un électorat large.
- Et surtout, il a su rassurer les communistes sur le fait que personne ne cherchait à « écraser » quiconque.
Derrière lui, la numéro 2 devrait être une figure du PCF. Un symbole fort. Le reste de la liste intégrera largement des citoyens non encartés, comme l’exigeait le mouvement Seine-Saint-Denis au cœur depuis le début.
La commune nouvelle, un enjeu méconnu mais décisif
Petit rappel pour ceux qui auraient raté l’info : en 2026, les électeurs ne voteront plus seulement pour Saint-Denis, mais pour la commune nouvelle de Saint-Denis – Pierrefitte-sur-Seine. Un regroupement décidé il y a quelques années, qui change pas mal de choses.
Plus d’habitants, plus de quartiers à convaincre, plus de diversité sociale et politique. Pierrefitte, historiquement plus à gauche que Saint-Denis ces dernières années, pourrait bien faire pencher la balance. Et c’est précisément là que l’union prend tout son sens : elle parle à deux territoires qui n’ont pas forcément les mêmes priorités, mais qui partagent les mêmes galères au quotidien.
Transports, logement, sécurité, jeunesse… les chantiers sont immenses. Et l’argument du « tous ensemble » pèse lourd face à une majorité sortante accusée, parfois à raison, de gérer plus qu’elle ne transforme.
Mathieu Hanotin dans le viseur
Soyons clairs : le maire socialiste ne part pas favori dans les sondages internes qui circulent (même si personne ne les publie officiellement). Il a des réalisations à défendre – la propreté, certains équipements sportifs, la présence policière renforcée – mais aussi des critiques qui montent.
On lui reproche une forme d’arrogance, un style très vertical, une communication parfois déconnectée des réalités des quartiers. Et surtout, une partie de la gauche ne lui pardonne pas d’avoir brisé l’hégémonie communiste en 2020 avec des méthodes… disons, musclées.
« Il a voulu la ville. Il l’a eue. Maintenant il doit assumer le bilan, et le bilan est contrasté. »
Un opposant de longue date
L’union de gauche, si elle tient – et c’est le grand si –, représente une menace sérieuse. Parce qu’elle peut parler à la fois aux déçus du socialisme municipal et aux abstentionnistes qui ne se reconnaissaient plus dans personne.
Les défis qui restent à relever
Tout n’est pas réglé pour autant. Un accord sur le papier, c’est bien. Une campagne gagnante, c’est autre chose. Il reste des points à clarifier :
- Le programme commun : il est en cours d’élaboration, avec des ateliers citoyens prévus dès janvier.
- La place des écologistes : absents pour l’instant de l’accord, certains pourraient rejoindre, d’autres non.
- La question de la sécurité : sujet explosif à Saint-Denis, où LFI et PCF n’ont pas toujours la même musique.
- Et surtout, la capacité à tenir jusqu’au bout sans que les ego ne reprennent le dessus.
Car oui, on a déjà vu des unions se déliter à six mois du scrutin. Là, l’enjeu est trop important pour que ça arrive. Perdre en 2026, ce serait offrir la ville pour douze ans à une droite qui, pour l’instant, reste discrète mais observe avec gourmandise.
Ce que ça dit de la gauche en 2025
Plus largement, cet accord en dit long sur l’état de la gauche française. On est loin des psychodrames nationaux. À l’échelle locale, quand les gens se parlent vraiment, quand ils mettent les habitants au centre, les étiquettes passent au second plan.
J’ai couvert pas mal d’élections municipales dans ma vie. Et je peux vous dire une chose : quand la gauche s’unit sur un projet clair, porté par des personnalités crédibles et connues sur le terrain, elle redevient compétitive. Voire gagnante.
Saint-Denis pourrait bien être le laboratoire de cette gauche-là. Une gauche qui assume ses différences mais qui refuse de se tirer dans les pattes. Une gauche qui parle aux classes populaires sans les infantiliser. Une gauche qui donne envie.
En attendant, le compte à rebours est lancé. Huit mois, ce n’est rien en politique. Mais huit mois quand on part de si loin et qu’on arrive à s’entendre, c’est déjà énorme.
Le match est ouvert. Et pour une fois, c’est plutôt une bonne nouvelle.
À suivre, évidemment. Parce que dans cette ville, rien n’est jamais écrit d’avance.
