Il y a des voix qui traversent les décennies sans jamais prendre une ride, même quand le corps, lui, demande grâce. Eddy Mitchell en fait partie. À l’heure où beaucoup d’artistes de sa génération se contentent de compilations ou de tournées d’adieu à répétition, lui continue, à 83 ans, de sortir des disques qui se vendent encore par dizaines de milliers. Et pourtant, 2025 ne l’a pas épargné.
Deux pneumonies coup sur coup, une tournée estivale rayée d’un trait, des semaines à se demander si le rideau allait tomber pour de bon. Alors quand on apprend qu’une réédition enrichie de son dernier album Amigos arrive juste avant Noël, on se dit que l’animal est increvable. Ou presque.
Quand la santé rappelle qu’on n’est plus tout jeune
Imaginez la scène : vous avez prévu des festivals, des arènes, le plaisir de retrouver le public après des mois de studio, et patatras. Le corps dit stop. Eddy Mitchell ne tourne pas autour du pot : « C’est pas mon année. J’ai hâte que 2025 s’arrête. » La phrase est lâchée avec ce mélange d’humour noir et de franchise qu’on lui connaît depuis toujours.
Deux pneumonies, ce n’est pas rien à cet âge-là. Surtout quand on a derrière soi une vie de cigarettes, de nuits blanches et de routes interminables. Il aurait pu se dire que c’était le moment de ranger le smoking et les santiags. Beaucoup l’auraient fait. Lui, non.
« Mon projet, c’est de me retaper. »
Eddy Mitchell, décembre 2025
Cette petite phrase, toute simple, en dit long. Pas de grand discours pathos, pas de larmes. Juste l’envie de revenir en forme. Parce que pour lui, chanter, c’est respirer.
Amigos, l’album qui n’a pas fini de vivre
Sorti il y a un an, Amigos était déjà une petite pépite. Un disque où le rock’n’roll croise la country et la soul avec cette élégance désinvolte qui n’appartient qu’à lui. Plus de 50 000 ventes plus tard, l’album revient en version augmentée. Et pas pour faire du chiffre.
Trois titres inédits viennent grossir les rangs :
- Une chanson toute neuve signée Pascal Obispo – oui, le même qui avait déjà composé pour lui par le passé.
- Une reprise inattendue et touchante de Belle-Île-en-Mer, le tube de Laurent Voulzy, qu’il transforme à sa sauce.
- Et une nouvelle version de la ballade Amoureux, avec Alain Chamfort au piano – un duo de classe pure.
Cerise sur le gâteau, l’édition CD inclut un petit documentaire tourné en studio par sa fille Marilyne. Des images rares, intimes, où on le voit travailler, rire, chercher la note juste. Le genre de bonus qui fait fondre les fans de la première heure.
Les vinyles, cet amour qui ne vieillit pas
Et puis il y a les objets. Parce qu’Eddy Mitchell, c’est aussi un amoureux du beau disque. Un picture disc 25 cm magnifique réunit les trois inédits. Le genre de pièce qu’on expose autant qu’on écoute.
Mais le vrai cadeau pour les collectionneurs, c’est la série Mes premières séances. Des vinyles qui regroupent les musiques des films qui l’ont marqué adolescent. On imagine sans peine le jeune Claude Moine – son vrai nom – dans les salles obscures parisiennes, rêvant déjà d’Amérique et de rock.
C’est touchant, presque émouvant, de voir un artiste de cette stature revenir à ses madeleines sonores. Comme un clin d’œil à l’enfant qu’il était, et qui n’est jamais vraiment parti.
Retour sur scène : la grande question
Alors évidemment, on attend tous la même réponse : quand est-ce qu’on le revoit sur les planches ? Il esquive, comme à son habitude. Pas de promesse, pas de date. Juste ce sourire en coin et cette phrase : « Faut d’abord que je me retape. »
Mais on le connaît. Tant qu’il y aura cette étincelle dans le regard, cette voix rauque capable de transformer n’importe quelle chanson en émotion pure, il remontera sur scène. Peut-être pas pour une grande tournée marathon. Peut-être juste pour quelques dates choisies. Ou peut-être pour un ultime tour de piste dont on se souviendra longtemps.
Ce qui est sûr, c’est qu’il ne fait rien comme les autres. Pas de come-back larmoyant, pas d’opération nostalgie forcée. Juste un mec de 83 ans qui sort encore des disques qui sonnent vrai et qui assume de prendre le temps de guérir.
Pourquoi Eddy reste une exception
Dans le paysage musical français, il y a ceux qui courent après les charts et ceux qui construisent une œuvre. Eddy Mitchell appartient clairement à la seconde catégorie. Plus de quarante albums studio, des duos légendaires, des bandes originales inoubliables, et toujours cette capacité à se renouveler sans se renier.
Ce qui frappe, c’est sa liberté. À une époque où beaucoup se sentent obligés de plaire à tout le monde, lui assume ses goûts, ses humeurs, ses silences. Il peut sortir un album country quand tout le monde fait du rap, reprendre du Voulzy quand on attend du rock pur, ou tout simplement dire non quand son corps le lui demande.
C’est peut-être ça, finalement, le secret de sa longévité artistique : il n’a jamais triché. Ni avec le public, ni avec lui-même.
Et nous, dans tout ça ?
On ressort de cette actualité avec une sensation étrange. D’un côté l’inquiétude – parce que deux pneumonies à 83 ans, ça ne rigole pas. De l’autre, une forme de sérénité. Parce qu’on sait qu’il ne nous laissera pas tomber comme ça.
Alors on va écouter cette réédition d’Amigos, on va craquer pour le picture disc, on va replonger dans ses premières amours cinématographiques. Et on va attendre. Pas avec angoisse, mais avec cette patience tranquille qu’on réserve aux grands.
Parce qu’un jour, dans six mois ou dans deux ans, les lumières s’éteindront dans une salle, la bande des copains entamera les premiers accords, et cette voix, un peu plus rauque peut-être, nous dira à nouveau : « Sur la route de Memphis… »
Et là, on saura que tout va bien.
En attendant, prenons soin de nos légendes vivantes. Elles ne sont pas éternelles, même si parfois on aimerait le croire.
