Quand on pense que la guerre est finie, il reste toujours ces histoires qui vous prennent aux tripes. Un cessez-le-feu peut arrêter les bombes, mais il ne referme pas forcément toutes les plaies. Hier, l’armée israélienne a annoncé une nouvelle qui, selon les mots mêmes des familles, « soulage et déchire à la fois » : le corps de Sudthisak Rinthalak, ce travailleur thaïlandais enlevé et tué le 7 octobre 2023, a enfin été identifié et rapatrié.
Et pourtant, à quelques kilomètres de là, une autre famille attend toujours. Ran Gvili, dernier otage israélien dont la dépouille est encore retenue dans la bande de Gaza, reste le symbole cruel d’un accord qui patine.
Un retour qui clôt un chapitre, mais pas le livre entier
Il y a des nouvelles qu’on préférerait ne jamais avoir à écrire. Sudthisak Rinthalak avait 42 ans. Ouvrier agricole dans un kibboutz du sud d’Israël, il était venu chercher une vie meilleure, comme des milliers de Thaïlandais avant lui. Le 7 octobre, il a été abattu, son corps emporté à Gaza par des membres du Jihad islamique. Pendant plus de deux ans, sa famille en Thaïlande a vécu dans l’incertitude la plus totale.
Je me souviens encore des photos de ces travailleurs étrangers, souvent oubliés dans le récit dominant de cette journée tragique. Ils étaient 31 Thaïlandais enlevés ce jour-là. Vingt-neuf ont été tués ou sont morts en captivité. Sudthisak était l’un des deux derniers dont on ignorait encore le sort précis.
Aujourd’hui, son corps rentre enfin chez lui. Les autorités israéliennes ont remis la dépouille à la famille, en coordination avec le ministère des Affaires étrangères. Un geste qui, dans le contexte, ressemble presque à un miracle administratif.
« Nous avons achevé le processus d’identification. La famille a été informée que le corps de Sudthisak Rinthalak a été rapatrié pour inhumation. »
Communiqué officiel de l’armée israélienne, 3 décembre 2025
Le cessez-le-feu et ses promesses à moitié tenues
Revenons un peu en arrière pour ceux qui auraient décroché ces derniers mois. Une trêve a été signée en octobre 2025, mettant fin (au moins officiellement) à plus de deux ans de guerre ouverte. L’accord prévoyait, entre autres, la libération des derniers otages vivants et la restitution progressive des dépouilles.
Sur ce dernier point, le bilan est presque complet : 27 corps sur 28 ont été rendus. Seule exception : Ran Gvili. Et là, ça coince sévère.
- 20 otages vivants libérés dans les premières semaines de la trêve
- 27 dépouilles restituées depuis octobre
- 1 dépouille toujours retenue à Gaza : celle de Ran Gvili
- 1 groupe toujours en possession : le Jihad islamique palestinien
Ce n’est pas anodin. Le Hamas a rempli la grande majorité de ses engagements sur les dépouilles (même si on peut discuter de la manière). Mais le Jihad islamique, allié plus radical et parfois moins contrôlable, joue sa propre partition.
Ran Gvili, le dernier nom qui hante Israël
Ran Gvili. Ce nom revient sans cesse dans les manifestations à Tel Aviv. On voit encore sa photo brandie par des familles qui refusent l’oubli. Je me souviens d’une scène, fin novembre : des centaines de personnes sous la pluie, tenant des portraits de Ran et de Sudthisak. Deux destins croisés, deux nationalités différentes, un même sort cruel.
Mercredi dernier, nouvelle douche froide : les restes qui avaient été remis quelques jours plus tôt ne correspondaient ni à Ran Gvili, ni à Sudthisak Rinthalak. Erreur d’identification ? Mauvaise foi ? Les deux, probablement. Résultat : la famille Gvili a dû repartir avec cette horrible sensation que le cauchemar continue.
Et là, on touche au cœur du problème : tant que le Jihad islamique n’aura pas rendu le corps, il restera un levier, une carte dans une négociation qui n’est jamais vraiment terminée.
Les otages étrangers, ces grands oubliés du 7 octobre
Il y a quelque chose de profondément injuste dans la manière dont on parle parfois des victimes du 7 octobre. On retient surtout les Israéliens enlevés – ce qui est normal – mais on oublie trop souvent les travailleurs étrangers.
Des Népalais, des Thaïlandais, des Philippins, des Africains… Ils étaient là, ils travaillaient dur dans les champs ou sur les chantiers, et ils se sont retrouvés au milieu de l’horreur. Trente-et-un Thaïlandais enlevés. Quatre libérés vivants. Vingt-sept morts. C’est une tragédie dans la tragédie.
Sudthisak Rinthalak incarnait cette réalité. Un père de famille qui envoyait de l’argent au pays, rêvant d’une vie meilleure. Son histoire est celle de milliers d’ouvriers migrants qui font tourner l’économie israélienne dans l’ombre.
Pourquoi le Jihad islamique bloque encore ?
Question à dix mille shekels. Officiellement, le groupe dit vouloir des garanties supplémentaires. Des prisonniers palestiniens encore détenus ? Des conditions sur le passage des aides ? Un message politique ? Probablement un peu de tout ça.
Ce qui est sûr, c’est que le Jihad islamique n’a jamais été aussi aligné que le Hamas sur les négociations. Plus petit, plus idéologique, il a souvent joué les trouble-fêtes. Garder le corps de Ran Gvili, c’est garder une forme de pouvoir symbolique. C’est dire : « On existe encore, on compte. »
« Chaque jour qui passe sans le retour de Ran est une insulte à l’idée même de cessez-le-feu. »
Un proche de la famille Gvili, anonyme
Et maintenant ? Vers une clôture définitive ou un nouveau blocage ?
Le rapatriement du corps de Sudthisak est une étape importante. Elle montre que les mécanismes prévus dans l’accord fonctionnent… quand tout le monde joue le jeu. Reste à voir si la pression internationale, les médiations égyptienne et qatarie, ou tout simplement la fatigue des parties, finiront par débloquer le dernier cas.
J’ai l’impression – et ce n’est pas la première fois – qu’on est à deux doigts d’une conclusion. Mais dans ce conflit, « deux doigts » peuvent durer des mois.
Ce qui est certain, c’est que tant que Ran Gvili ne sera pas rendu à sa famille, la trêve restera incomplète. Pas seulement sur le papier, mais dans le cœur des gens.
En écrivant ces lignes, j’ai une pensée pour ces deux familles. L’une qui va enfin pouvoir faire son deuil en Thaïlande, l’autre qui attend toujours, quelque part entre espoir et désespoir. C’est ça, aussi, le Proche-Orient : des histoires humaines qui se croisent et ne se ressemblent pas, mais qui finissent toujours par nous rappeler la même chose. La paix, la vraie, elle commence quand plus personne n’a à attendre le retour d’un fils, d’un frère, d’un père.
Et pour l’instant, on n’y est pas encore.
