Franchement, il y a des matins où l’on se demande si on vit encore en 2025 ou si on a basculé dans une série Netflix un peu trop audacieuse. Hier, en ouvrant les réseaux, j’ai cru à une blague. Et puis non : c’est bien réel. Le département d’État américain vient purement et simplement de rebaptiser l’Institut pour la paix en « Donald J. Trump Institute of Peace ». Oui, vous avez bien lu. Le bâtiment entier, au cœur de Washington, arbore désormais le nom du 47e président en lettres géantes. Et ce, à la veille d’une cérémonie censée célébrer… la paix en Afrique centrale.
On en rit jaune, ou on en pleure, selon le bord politique où l’on se trouve. Personnellement, je trouve l’affaire à la fois hallucinante et fascinante. Parce qu’elle dit tout, absolument tout, du style Trump version 2.0 : un mélange explosif de provocation assumée, de sens du timing diabolique et d’une bonne dose d’ego XXL.
Un coup de com’ magistral à la sauce Trump
Reprenons depuis le début. L’Institut américain pour la paix, créé en 1984 sous Reagan, n’a jamais été une institution anodine. Indépendant, financé par le Congrès, il employait des chercheurs pointus sur la résolution des conflits. Bref, un think-tank sérieux. Sauf que dès les premiers mois de son second mandat, Trump a décidé qu’il n’en voulait plus tel quel. Licenciements massifs, reprise en main musclée… et maintenant, le bouquet final : son nom en façade.
Le message officiel du département d’État ne laisse aucun doute sur l’intention :
« Ce matin, nous avons renommé l’ancien Institut pour la paix pour rendre hommage au plus grand négociateur de l’histoire de notre pays. Bienvenue au Donald J. Trump Institute of Peace. »
Ils n’ont même pas essayé de faire discret. C’est du Trump pur jus : on prend un bâtiment public, on colle son nom dessus, et on assume à 200 %. D’ailleurs, le timing est parfait. Demain, jeudi, le même lieu doit accueillir la signature d’un accord de paix entre la République démocratique du Congo et le Rwanda. Les présidents Tshisekedi et Kagame seront là, en chair et en os, devant les caméras du monde entier. Et devant quoi ? Devant une enseigne géante qui hurle « Trump » en lettres d’or. Difficile de faire plus clair : c’est lui le sauveur, lui le grand artisan, lui le génie.
Les réactions ne se sont pas fait attendre
Évidemment, ça a mis le feu aux poudres côté démocrate. Les tweets fusent, les comparaisons avec les régimes autoritaires pleuvent. Un élu du Missouri lâche carrément :
« Ce genre de chose ferait rougir la Corée du Nord. »
Le bureau du gouverneur de Californie, Gavin Newsom, en rajoute une couche avec un photomontage hilarant : « Institut KFC pour le véganisme ». Message reçu cinq sur cinq.
Même les anciens responsables de l’institut montent au créneau. Un avocat de l’ex-direction parle d’« insulte suprême » et rappelle qu’un juge a déjà qualifié la prise de contrôle gouvernementale d’illégale (le dossier est en appel, sinon le bâtiment aurait été rendu). Mais en attendant, l’enseigne est là, bien visible, et les travaux sont terminés.
Un précédent qui pose question
Est-ce vraiment la première fois qu’un président américain fait graver son nom sur un bâtiment public de cette façon ? Pas tout à fait. On pense évidemment aux bibliothèques présidentielles (Reagan, Bush, Clinton…). Mais là, c’est différent. Ces bibliothèques sont construites après le mandat, avec des fonds souvent privés, et elles portent le nom complet du président. Ici, on parle d’une institution existante, indépendante à l’origine, rebaptisée en plein mandat, et pour un seul homme encore en exercice.
Il y a aussi le côté symbolique. L’Institut pour la paix, c’était censé incarner une certaine humilité américaine : on aide à résoudre les conflits sans forcément s’en vanter. Transformer ça en « Trump Institute of Peace », c’est un peu comme si on collait le nom de Neymar sur le stade de France parce qu’il a marqué un joli but. C’est disproportionné, et ça change complètement la philosophie du lieu.
L’accord Congo-Rwanda : le vrai motif ou le prétexte parfait ?
Maintenant, intéressons-nous à l’accord qui sert de décor à tout ça. Depuis des mois, l’est de la RDC est en feu. Le M23, soutenu (plus ou moins discrètement) par le Rwanda, mène une offensive éclair. Kinshasa crie à l’agression, Kigali nie, la situation est bloquée. Et puis, miracle : Trump annonce qu’il reçoit les deux présidents et qu’un accord sera signé. Sous son égide, évidemment.
Est-ce que cet accord est solide ? Franchement, on verra. Les précédents accords dans la région (Sun City, Nairobi, etc.) ont souvent fini en papier mâché. Mais peu importe pour l’instant. Ce qui compte, c’est l’image : Trump, grand pacificateur, qui ramène deux ennemis jurés à la table et leur fait signer la paix dans un bâtiment qui porte désormais son nom. C’est du storytelling hollywoodien.
- Il y a le symbole fort : un président américain qui impose la paix en Afrique.
- Il y a le timing parfait : juste avant Noël, période où tout le monde rêve de réconciliation.
- Et il y a l’ego trip ultime : le bâtiment même de la signature devient un monument à sa gloire.
Avouez que c’est fort. Cynique, peut-être. Excessif, sûrement. Mais diablement efficace sur le plan communicationnel.
Le culte de la personnalité à l’américaine
On nous parle souvent du culte de la personnalité dans d’autres pays. Des statues, des avenues, des portraits géants. Et si les États-Unis, sous Trump, étaient en train de franchir un cap ? Ce n’est pas la première fois. On se souvient des pièces frappées à son effigie, des propositions farfelues de le mettre sur le Mont Rushmore, des bâtiments fédéraux qu’on voulait renommer. Mais là, on passe à la vitesse supérieure.
Ce qui me frappe, c’est la rapidité. En quelques mois de second mandat, Trump installe une dynamique où chaque succès (réel ou supposé) doit être immédiatement converti en hommage personnel. C’est une logique de marque : comme un entrepreneur qui colle son nom sur chaque nouveau produit. Sauf que là, le produit, c’est la paix mondiale.
Et le pire ? Ça marche. Ses soutiens adorent. Pour eux, c’est la reconnaissance méritée d’un homme qui « fait ce que les autres n’osent pas ». Les autres, eux, crient au scandale, à la dérive autoritaire. Les deux camps s’enferment dans leur bulle, et le débat devient impossible.
Et demain ?
La vraie question, c’est jusqu’où ça peut aller. Si l’accord Congo-Rwanda tient (et on le souhaite tous), Trump aura marqué un point énorme. Et il le sait. Il parle déjà ouvertement du prix Nobel de la paix qu’il « mérite ». Certains parient qu’il va pousser pour que l’ONU déménage un jour dans une « Trump Tower of Nations » ou je ne sais quoi. On rit, mais avec lui, plus rien ne surprend vraiment.
Ce qui est sûr, c’est que cette affaire va rester dans les annales. Soit comme un exemple de communication géniale, soit comme le symbole d’une dérive narcissique. Probablement un peu des deux.
En attendant, demain, les caméras du monde entier vont filmer Tshisekedi et Kagame signer leur accord sous une enseigne dorée qui hurle « Trump ». Et quelque part, dans un coin de ma tête, j’entends déjà le intéressé murmurer : « Nobody does it better ».
À suivre. Très attentivement.
