Imaginez-vous flâner entre les chalets illuminés, une odeur de vin chaud dans l’air, les guirlandes qui scintillent… et soudain, votre regard tombe sur une banderole géante qui clame « Papa Noël, remigre ces violeurs étrangers ». C’est exactement ce qui s’est passé hier soir à Strasbourg, en plein cœur du marché de Noël. Le contraste est violent, presque irréel.
Je marche souvent dans ce genre d’endroits en décembre, et je sais à quel point l’ambiance y est censée être chaleureuse, familiale. Voir surgir une telle provocation, là, au milieu des familles et des touristes, ça vous prend aux tripes. Et visiblement, je ne suis pas le seul à avoir été secoué.
Une action éclair en plein cœur de la féerie
Mercredi soir, vers la fin de la journée, deux jeunes femmes venues de région parisienne ont accroché cette pancarte noire sur la façade d’un immeuble donnant directement sur le marché. Le message, volontairement choquant, joue sur l’imaginaire du Père Noël pour demander… l’expulsion de prétendus « violeurs étrangers ».
La banderole n’est restée visible qu’une grosse dizaine de minutes. Le temps pour quelques photos de circuler sur les réseaux, pour que des passants s’indignent ou applaudissent en silence, et pour que la police intervienne. Les deux militantes ont été identifiées, puis sommées de quitter la ville dans les heures qui ont suivi.
Derrière l’opération : le collectif Némésis. Un nom qui ne vous dit peut-être rien encore, mais qui commence à faire parler de lui depuis quelques années.
Némésis, ou le féminisme version identitaire
Né en 2019, ce groupe se présente comme féministe. Mais pas n’importe quel féminisme : elles estiment que la principale menace pesant sur la sécurité des femmes en France viendrait… de l’immigration extra-européenne. Un postulat qui les place clairement à l’extrême droite du spectre politique, même si elles refusent parfois l’étiquette.
Sur leurs réseaux, on trouve surtout des affaires judiciaires où l’auteur présumé de violences sexuelles est étranger. Très peu de cas intra-familiaux ou commis par des Français de souche, alors que les statistiques montrent pourtant que ces derniers représentent l’immense majorité des agressions.
« Nous voulons protéger les femmes européennes des dangers liés à l’immigration massive »
– Message régulièrement relayé par le collectif
Ce n’est pas la première fois qu’elles passent à l’action. L’an dernier à Besançon, une banderole ironique « Violeurs étrangers bienvenus » avait déjà été déployée lors des vœux de la maire écologiste. Même procédé, même message entre provocation et dénonciation.
La réaction immédiate des élus strasbourgeois
À Strasbourg, ville symbole de tolérance et d’ouverture avec son marché de Noël classé parmi les plus beaux d’Europe, le choc a été particulièrement rude.
La maire, Jeanne Barseghian, n’a pas tardé à réagir. Sur les réseaux, elle a dénoncé sans détour un « message raciste qui instrumentalise le combat nécessaire contre les violences sexistes et sexuelles ». Des mots forts, qui résument bien la colère d’une partie de la gauche et des écologistes locaux.
« Notre ville ne sera jamais un terrain d’expression pour les idées racistes »
– Un candidat de gauche aux prochaines municipales
Une députée du Bas-Rhin a même saisi la procureure, estimant que l’on frôlait l’incitation à la haine raciale. Le dossier est désormais entre les mains de la justice.
Un débat qui dépasse largement Strasbourg
Ce qui me frappe dans cette affaire, c’est qu’elle cristallise un débat que l’on retrouve partout en France depuis des années. D’un côté, ceux qui estiment que l’on peut – que l’on doit – parler de la nationalité des agresseurs quand elle est étrangère. De l’autre, ceux qui y voient une stigmatisation dangereuse d’une population entière.
Et au milieu, les femmes. Celles qui ont peur le soir dans la rue, celles qui ont été agressées, celles qui aimeraient simplement que le sujet des violences sexuelles soit traité sérieusement, sans récupération politique.
- En 2024, les plaintes pour viol ont encore augmenté en France.
- Près de 90 % des violences sexuelles sont commises dans le cercle proche (famille, conjoint, amis).
- Seule une minorité d’affaires médiatisées concerne des auteurs étrangers en situation irrégulière.
- Mais ces dernières affaires, très violentes, marquent durablement l’opinion.
Le collectif Némésis surfe précisément sur cette distorsion : une minorité de cas ultra-médiatisés devient, dans leur récit, la preuve d’un danger généralisé lié à l’immigration. C’est une rhétorique que l’on retrouve chez certains partis d’extrême droite, mais emballée ici dans un discours « féministe ».
Le marché de Noël, cible symbolique
Pourquoi choisir le marché de Noël ? Ce n’est évidemment pas un hasard.
Strasbourg, capitale de Noël, attire chaque année des millions de visiteurs. C’est un lieu de joie, de lumière, de partage. Y accrocher un message aussi sombre, c’est s’assurer une visibilité maximale. Et c’est aussi, quelque part, salir délibérément la fête.
Je me souviens d’ailleurs que l’an dernier, la sécurité avait déjà été renforcée après la découverte d’une arme près du marché. Le contexte est tendu, entre menace terroriste et polémiques identitaires. Chaque événement un peu hors norme prend tout de suite une dimension nationale.
Et maintenant ?
Les deux militantes ont quitté Strasbourg. La banderole a été décrochée. Mais les images, elles, tournent encore. Sur les réseaux de droite, on applaudit la « prise de parole courageuse ». À gauche, on dénonce la « haine raciste ».
Et pendant ce temps, les vrais sujets – l’accompagnement des victimes, la prévention, la répression effective des violences, qu’elles soient commises par un Français ou un étranger – passent un peu au second plan.
C’est peut-être ça le plus triste dans cette histoire. Une banderole a réussi, en quelques minutes, à transformer un lieu de magie en ring politique. Et nous, on reste là, à se demander si on a encore le droit de parler de tout… ou si certains sujets sont devenus intouchables.
En attendant, le marché de Noël continue. Les guirlandes brillent toujours. Mais quelque part, l’ambiance n’est plus tout à fait la même.
(Article rédigé après avoir suivi l’événement en direct sur les réseaux et échangé avec des Strasbourgeois présents sur place. Les faits rapportés sont recoupés à plusieurs sources locales et nationales.)
