Vous êtes-vous déjà retrouvé coincé dans un bus parisien à 8 km/h, à regarder votre montre avec l’envie de descendre et finir à pied ? Moi oui, trop souvent. Et si, d’un coup, ce même bus devenait gratuit pour tous les habitants de la capitale ? C’est exactement la bombe que vient de lâcher David Belliard, figure écologiste bien connue et candidat déclaré pour les municipales 2026.
Franchement, l’idée fait rêver. Mais elle fait aussi tousser. Entre enthousiasme militant et scepticisme des usagers, le sujet mérite qu’on s’y plonge sérieusement.
La gratuité des bus intra-muros : le cœur de la proposition
L’annonce est tombée début décembre : les 62 lignes de bus entièrement dans Paris (celles à deux chiffres, de la 20 à la 96) pourraient devenir 100 % gratuites pour les Parisiens dès le prochain mandat. Pas pour les touristes, pas pour les habitants de banlieue, juste pour ceux qui vivent dans le périphérique.
Concrètement ? Un passe spécial à retirer en mairie, un peu comme la carte Imagine R mais sans payer. Le candidat écolo chiffre la mesure à environ 30 millions d’euros par an, somme qu’il propose de verser directement à l’exploitant via une nouvelle convention. C’est moins cher qu’on pourrait le croire quand on sait que le manque à gagner actuel des fraudes et des gratuités partielles existe déjà.
« On a transformé Paris, maintenant il faut donner aux gens une vraie raison de laisser la voiture au garage. Le bus doit être rapide et gratuit. »
David Belliard, candidat Les Écologistes
Le message est clair : la gratuité n’est pas un gadget, c’est le levier pour faire basculer des centaines de milliers d’automobilistes vers les transports en commun. Et surtout vers le bus, ce parent pauvre du métro et du vélo dans l’imaginaire parisien.
Mais gratuit, ça veut dire bondé ?
C’est la première crainte qui monte. Déjà que certains matins la ligne 38 ressemble à une boîte de sardines… Si c’est gratuit, tout le monde va monter, non ? Les experts des associations d’usagers tempèrent : l’effet d’aubaine existe, mais il reste limité, souvent entre 4 et 8 % d’augmentation de fréquentation dans les villes qui ont sauté le pas.
Le vrai risque ? Que ces quelques pourcents supplémentaires fassent déborder des lignes déjà saturées aux heures de pointe. D’où l’autre moitié de la promesse : la vitesse.
40 km de voies dédiées supplémentaires : la condition sine qua non
David Belliard le martèle : « La gratuité sans rapidité, c’est un piège. » Pour éviter le fiasco, il veut créer 40 kilomètres de nouvelles voies réservées aux bus sur le prochain mandat. C’est presque trois fois plus que ce qui a été fait depuis 2020.
Le plan repose sur deux piliers :
- La priorisation des dix lignes les plus fréquentées (26, 31, 38, 47, 54, 60, 62, 64, 91, 92) – celles qui transportent chaque jour des centaines de milliers de personnes.
- Des feux tricolores intelligents qui détectent les bus et leur donnent la priorité, comme l’expérimentation déjà en place place de la Bastille.
Objectif affiché : faire grimper la vitesse moyenne de 9 km/h (oui, vous avez bien lu) à quelque chose de nettement plus respectable. Parce que soyons honnêtes, aujourd’hui, marcher est parfois plus rapide.
Et le financement, on en parle ?
30 millions d’euros, ce n’est pas rien, mais ce n’est pas non plus la mer à boire dans un budget transports de plusieurs milliards. Pour comparaison, la Ville verse déjà des centaines de millions chaque année à l’opérateur pour compenser les tarifs réduits et les gratuités existantes (seniors, PMR, etc.).
La vraie question, c’est plutôt : qui va payer les 40 km de voies supplémentaires ? Réaménager des boulevards, déplacer des places de stationnement, renforcer la verbalisation… tout cela a un coût politique énorme. Et on sait que chaque mètre de voie bus arraché aux voitures déclenche des hurlements.
« La priorité, ce n’est pas la gratuité, c’est la régularité. Que l’usager sache qu’il arrivera à l’heure. »
Un responsable d’association d’usagers des transports
Et là, on touche le nerf de la guerre. Parce que même avec des couloirs protégés, si les carrefours restent bloqués par les livreurs, les VTC ou les automobilistes qui s’en fichent, le bus restera lent.
Un air de convergence à gauche… ou presque
Ce qui est intéressant, c’est que le candidat socialiste, souvent présenté comme rival, ne dit pas autre chose sur la vitesse. Lui aussi veut sécuriser en un an et demi les dix grandes lignes. On sent une forme de consensus technique émerger, même si les étiquettes diffèrent.
Après, sur la gratuité pure et dure, c’est une autre paire de manches. Le PS reste prudent. Historiquement, la gauche parisienne a toujours préféré les tarifs sociaux ciblés à la gratuité totale, jugée trop coûteuse et pas assez incitative pour les classes moyennes motorisées.
Qui sont les vrais gagnants ?
Si la mesure passe, les premiers bénéficiaires seront clairement les publics captifs du bus :
- Les seniors qui ont déjà la gratuité mais verront leurs enfants ou petits-enfants pouvoir les accompagner sans payer.
- Les familles modestes des arrondissements périphériques (18e, 19e, 20e) où le bus reste le moyen le plus pratique.
- Les jeunes qui galèrent avec le prix des abonnements.
- Les personnes précaires qui parfois ne prennent pas le bus… parce qu’elles n’ont pas les 2,15 €.
En clair, ceux qui ont le moins le choix. Ce qui donne à la mesure une vraie dimension sociale, au-delà de l’argument écologique.
Et les contre-arguments qui pèsent lourd
Mais il y a aussi les voix qui grincent. Les rapports de la Cour des comptes, les études sénatoriales, les expériences étrangères… Beaucoup concluent que la gratuité totale est un miroir aux alouettes :
- Effet limité sur la réduction de la voiture individuelle (les gens qui peuvent se payer une Clio ne vont pas lâcher leurs clés pour un bus bondé).
- Risque de saturation rapide.
- Coût d’entretien et de renforcement de l’offre qui explose.
Sans parler de l’équité territoriale : un habitant de Saint-Denis ou d’Issy-les-Moulineaux paiera toujours son ticket pour venir travailler à Paris. La mesure creuse-t-elle le fossé intra/extra-muros ? La question est posée.
Mon avis perso (oui, on a le droit)
J’ai roulé des années en bus à Paris. J’ai pesté, j’ai transpiré, j’ai parfois pleuré en silence quand le 91 mettait 1 h 15 pour faire Barbès-République. Alors l’idée d’un bus rapide et gratuit, elle me fait rêver. Vraiment.
Mais je reste lucide : sans une verbalisation massive des couloirs bus (120 000 PV en 2023, c’est bien, ce n’est pas assez) et sans une révolution des feux tricolores, on court droit à la déception. La gratuité seule ne suffira pas. La vitesse, oui.
David Belliard le sait. C’est pour ça qu’il lie les deux. Reste à savoir s’il aura les moyens politiques – et le courage – de tenir les deux bouts de la promesse.
Une chose est sûre : à seize mois du scrutin, le sujet des transports va encore faire couler beaucoup d’encre. Et peut-être, qui sait, nous faire prendre le bus avec le sourire.
Et vous, vous montez dans le bus gratuit ou vous restez sceptique ? Dites-le moi en commentaire, le débat ne fait que commencer.
