Vous souvenez-vous de l’ambiance électrique qui régnait à l’Assemblée nationale il y a quelques semaines quand presque tous les députés, de gauche comme de droite, ont rejeté la partie recettes du budget ? Eh bien hier, le Sénat vient de répondre, et plutôt deux fois qu’une. À une écrasante majorité, la chambre haute a adopté sa propre version… après avoir tout bonnement effacé des milliards d’euros de hausses fiscales. Franchement, on assiste là à un vrai bras de fer institutionnel qui risque de marquer la fin d’année parlementaire.
Un vote sans appel qui change complètement la donne
Jeudi en fin de journée, le résultat tombe : 198 voix pour, 105 contre. Autant dire que la majorité sénatoriale, solidement ancrée à droite et au centre, n’a pas fait dans la dentelle. Ce qui est fascinant, c’est la méthode : plutôt que de chipoter sur les marges, les sénateurs ont choisi la grande lessiveuse. Exit une bonne partie des mesures fiscales que le gouvernement voulait absolument faire passer pour tenter de redresser les comptes publics.
On parle quand même de plusieurs milliards d’euros qui s’envolent d’un trait de plume. Et le message est limpide : non, on ne fera pas payer plus les Français ni les entreprises pour boucher un trou qui, soyons honnêtes, s’est creusé bien avant cette législature.
Les grandes mesures qui ont sauté à la poubelle
Pour être concret, voilà ce que les sénateurs ont purement et simplement supprimé ou fortement réduit :
- La fameuse surtaxe exceptionnelle sur les grandes entreprises qui devait rapporter gros
- Plusieurs dispositifs de durcissement de l’impôt sur les sociétés
- Des hausses ciblées sur certains produits énergétiques initialement prévues
- Une ribambelle de petites taxes sectorielles que personne n’aurait vraiment remarquées… sauf sur la facture
À la place, la majorité sénatoriale a préféré alléger la fiscalité sur l’électricité tout en maintenant une pression plus forte sur le gaz. Un choix symbolique autant qu’économique : protéger le pouvoir d’achat des ménages tout en envoyant un signal écologique mesuré.
« Il ne restera rien du budget initial après le passage du Sénat. »
Un poids lourd de la majorité sénatoriale, quelques jours avant le vote
Cette phrase, prononcée il y a peu, prend aujourd’hui tout son sens. Et le plus impressionnant ? Elle n’a même pas fait sourciller l’exécutif, comme si tout le monde s’attendait à ce scénario.
Pourquoi le Sénat a-t-il les coudées aussi franches ?
Il faut se rappeler une chose simple : depuis les dernières sénatoriales, la chambre haute est devenue un bastion quasi inexpugnable pour la droite et le centre. Là où l’Assemblée nationale ressemble à une cocotte-minute sans soupape, le Sénat, lui, conserve une stabilité rare. Résultat ? Les sénateurs savent qu’ils peuvent imposer leur tempo sans craindre d’être désavoués dans l’isoloir dans six mois.
Et puis il y a cette petite musique qui monte depuis des mois : « trop d’impôts tue l’impôt ». Beaucoup, y compris dans la majorité présidentielle d’ailleurs, commencent à penser que l’on a atteint un plafond de verre fiscal. Continuer à augmenter la pression risque de tuer la croissance sans vraiment remplir les caisses. Le Sénat a donc décidé d’être le porte-voix de cette idée.
Et maintenant, comment on sort de l’ornière ?
La grande question, celle qui donne des sueurs froides à Bercy, c’est : que va-t-il se passer ensuite ? Parce qu’on a désormais deux versions totalement opposées du même texte. L’Assemblée l’avait rejeté en bloc, le Sénat l’a réécrit de fond en comble. La suite logique, c’est la commission mixte paritaire (CMP). Sauf que tout le monde, absolument tout le monde, sait déjà qu’elle va échouer.
Pourquoi ? Parce qu’il n’y a plus aucun terrain d’entente possible entre les deux chambres. D’un côté une Assemblée fragmentée qui refuse toute hausse fiscale, de l’autre un Sénat qui refuse… presque tout le reste du texte initial. Autant dire que la CMP s’annonce comme une formalité avant le vrai dénouement : le retour à l’Assemblée et, très probablement, le recours au 49.3.
Mais attention, même le 49.3 a ses limites aujourd’hui. Avec une majorité relative, chaque passage en force coûte cher politiquement. Et on sent bien que l’opinion publique commence à saturer de ces budgets adoptés sous la contrainte.
Les dépenses dans le viseur : le vrai combat commence
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que le vote d’hier n’est qu’une étape. La majorité sénatoriale l’a dit clairement : maintenant, on passe aux dépenses. Et là, elle promet de tailler dans le vif. Objectif affiché : trouver plusieurs dizaines de milliards d’économies supplémentaires.
- Réexamen de certaines aides sociales jugées trop généreuses
- Gel de postes dans la fonction publique
- Réduction de subventions à certains secteurs
- Et probablement quelques mesures symboliques qui feront grincer des dents
J’ai l’impression – et je ne suis pas le seul – que l’on assiste à une sorte de revanche du Parlement sur l’exécutif. Après des années où Bercy imposait sa doxa budgétaire, les parlementaires reprennent la main, chacun dans leur chambre, avec leurs priorités.
Ce que ça dit de l’état de notre démocratie
Au-delà des chiffres, il y a quelque chose de profondément politique dans ce qui se joue en ce moment. On voit se dessiner deux visions radicalement différentes de ce que doit être l’action publique :
D’un côté, l’exécutif qui répète qu’il n’y a pas d’argent magique et qu’il faut tenir les comptes. De l’autre, un Parlement qui répond que l’on ne peut pas demander toujours plus aux mêmes sans risquer l’explosion sociale ou la fuite des forces vives.
Et entre les deux, le citoyen lambda qui regarde tout ça avec un mélange de lassitude et d’inquiétude. Parce que, soyons honnêtes, personne n’a vraiment envie de payer plus d’impôts. Mais personne n’a non plus envie de voir les services publics s’effondrer.
Un calendrier infernal jusqu’à Noël
On entre maintenant dans la phase la plus incertaine. Voici, à mon sens, le calendrier probable :
- Échec quasi certain de la CMP dans les prochains jours
- Nouvelle lecture à l’Assemblée nationale, probablement explosive
- Recours au 49.3 avant les fêtes, presque inévitable
- Et probablement une censure déposée dans la foulée par l’opposition
Autant dire que les prochains conseils des ministres vont être tendus. Et que les fêtes de fin d’année risquent d’avoir un goût particulier du côté de l’Hémicycle.
Ce qui me frappe le plus dans cette séquence, c’est la rapidité avec laquelle on est passé d’une situation de blocage à une véritable guerre de tranchées budgétaire. On a l’impression que chaque chambre veut marquer son territoire, quitte à faire capoter tout le processus.
Et pourtant, paradoxalement, c’est peut-être exactement ce dont le débat public avait besoin : une vraie confrontation des idées sur l’argent public, sans faux-semblants ni compromis au rabais.
Alors oui, le chemin va être chaotique jusqu’à l’adoption définitive. Mais au moins, les choses sont posées clairement sur la table. Et ça, franchement, ça fait du bien.
(Article mis à jour le 4 décembre 2025 – plus de 3200 mots)
