Imaginez : vous avez planifié six mois à l’avance votre stage de préparation, réservé les hôtels, calé les matchs amicaux, briefé tout le monde… et à trois semaines du coup d’envoi, on vous annonce que vos joueurs principaux arriveront avec sept jours de retard. Frustration garantie, non ? C’est exactement ce qui arrive en ce moment aux sélections africaines pour la CAN 2025.
Mercredi, la FIFA a officialisé un report qui fait grincer des dents : les internationaux africains ne rejoindront leurs sélections que le 15 décembre au lieu du 8 initialement prévu. Une semaine de préparation en moins. Une semaine où les clubs européens gardent leurs pions précieux. Et derrière cette décision apparemment technique se cache une réalité bien plus profonde : le poids écrasant des championnats européens sur le calendrier mondial.
Une décision qui tombe comme un couperet
Reprenons depuis le début. Normalement, quand une compétition internationale figure au calendrier FIFA, les clubs doivent libérer leurs joueurs à une date précise. Pour la CAN qui démarre le 21 décembre 2025 au Maroc, cette date était fixée au 8 décembre. Clair, net, entériné depuis longtemps.
Sauf que voilà : sous la pression de plusieurs grands clubs (et probablement de l’ECA, l’association qui les représente), l’instance mondiale a décidé de reculer l’échéance. Résultat ? Les sélections auront moitié moins de temps pour préparer un tournoi majeur. Et ça, ça ne passe pas auprès de beaucoup d’acteurs du foot africain.
Habib Beye ne mâche pas ses mots
L’entraîneur du Stade Rennais, ancien international sénégalais et voix respectée du foot français, a été l’un des premiers à monter au créneau. Et il n’y est pas allé avec le dos de la cuillère.
« Quand vous avez une date qui est entérinée et que vous avez une préparation mise en place avec des fédérations qui ont booké des hôtels, des matchs de préparation… que cette information leur soit donnée aussi tard, pour moi, c’est incorrect. »
Habib Beye, en conférence de presse
Et il va plus loin. Pour lui, ce n’est pas qu’une question de jours. C’est une question de respect.
« On a l’impression qu’on peut bouger cette CAN quand on veut, la placer où on veut, donner l’organisation qu’on veut… Ça ne se passe pas ainsi pour les autres compétitions internationales. »
Difficile de lui donner tort. Combien de fois a-t-on vu la CAN être déplacée (dates, pays hôte, saison) au gré des contraintes européennes ? Trop souvent pour que ça ressemble à une coïncidence.
Les clubs européens : toujours priorisés ?
Il faut être honnête : les championnats de décembre sont capitaux pour les clubs. Boxing Day en Angleterre, courses au titre en Espagne ou en Italie, lutte pour le maintien partout… Personne n’a envie de perdre ses meilleurs éléments trois semaines avant la trêve.
Mais il y a une différence entre comprendre les intérêts économiques et accepter que ces intérêts priment systématiquement sur tout le reste. Et c’est là que le bât blesse.
- Les clubs touchent des indemnités FIFA quand leurs joueurs partent en sélection ? Oui, mais elles restent symboliques face aux revenus générés par un match de championnat diffusé mondialement.
- Les joueurs africains représentent une part croissante des effectifs en Europe ? Absolument, surtout dans les championnats français, belge, anglais.
- Les sélections africaines ont-elles le même pouvoir de négociation que l’UEFA ou la CONMEBOL ? Clairement non.
Le déséquilibre est criant. Et cette décision de dernière minute ne fait que le rappeler brutalement.
Ce que perdent vraiment les sélections
Sept jours, ce n’est pas rien quand on prépare une compétition internationale. Surtout quand votre groupe vit ensemble pour la première fois depuis des mois.
Concrètement, ça veut dire :
- Moins de temps pour travailler les automatismes
- Moins de matchs amicaux possibles
- Des joueurs qui arrivent fatigués après une dernière journée de championnat le 14 décembre
- Un risque accru de blessures à l’entraînement (corps froid qui enchaîne directement intensité CAN)
- Des plans tactiques à revoir à la dernière minute
J’ai discuté avec plusieurs préparateurs physiques africains ces dernières années : tous vous diront que ces dix à quinze premiers jours de rassemblement sont sacrés. C’est là que se crée la cohésion, que l’on pose les bases physiques et tactiques. Enlever une semaine, c’est saboter une partie du boulot.
Et pourtant… certains clubs jouent le jeu
Petit point positif dans cette histoire : tous les clubs ne sont pas logés à la même enseigne. Habib Beye l’a répété clairement : si la date du 8 décembre avait été maintenue, il aurait libéré ses trois joueurs concernés (Nagida, Fofana, Aït Boudlal) sans discuter. Et il assure que Rennes n’a exercé aucune pression sur les fédérations.
C’est important de le souligner. Parce que ça montre que la solution existe : il suffit d’un peu de bonne volonté. Certains clubs français, notamment, ont souvent fait preuve de souplesse par le passé. Mais quand les gros poissons (Premier League, Bundesliga, Liga) poussent dans l’autre sens, la balance penche fatalement.
Un précédent qui inquiète pour l’avenir
Ce n’est pas la première fois que la CAN se retrouve bousculée par le calendrier européen. Souvenez-vous :
- 2019 : la compétition passe en été pour la première fois… puis revient en hiver en 2024
- 2022 : report d’un an à cause du Covid et des pluies au Cameroun
- 2024 : disputée en janvier 2024 (pour une édition 2023) en pleine saison européenne
- 2025 : encore en hiver, avec cette fois un début fin décembre
À chaque fois, on nous explique que c’est « exceptionnel ». À force, ça commence à faire beaucoup d’exceptions.
Et l’argument climatique (éviter la saison des pluies) ne tient plus vraiment quand on voit que le Maroc, pays hôte, a un climat parfaitement jouable en décembre. Non, la vraie raison reste la même : ne pas empiéter sur les fêtes de fin d’année européennes et le sacro-saint Boxing Day.
Vers une CAN enfin respectée ?
On peut toujours rêver. Mais force est de constater que la voix de la Confédération Africaine pèse encore trop peu face aux lobbys européens. Pourtant, le football africain n’a jamais été aussi compétitif :
- Quarts de finale historiques à la Coupe du Monde 2022 pour le Maroc
- Des talents qui trustent les podiums du Ballon d’Or (Mané, Salah, Hakimi…)
- Des championnats européens remplis de joueurs africains décisifs
Le paradoxe est violent : plus le niveau monte, plus on semble considérer la CAN comme une compétition qu’on peut malmener. Comme si le succès même du football africain rendait acceptable de le traiter en parent pauvre.
Habib Beye a raison sur un point : cette décision n’est pas anodine. Elle en dit long sur la hiérarchie encore bien réelle dans le football mondial. Et tant que cette hiérarchie existera, les sélections africaines partiront avec un handicap avant même d’avoir posé le pied sur le terrain.
Alors oui, la CAN 2025 aura lieu. Elle sera belle, intense, passionnante comme toujours. Mais elle aurait pu être encore plus forte si on avait laissé aux équipes le temps de se préparer dignement.
En attendant, espérons que cette polémique serve au moins à quelque chose : rappeler que le football africain mérite mieux que des décisions de dernière minute imposées sous pression. Parce qu’au final, ce sont les supporters, les joueurs et tout un continent qui trinquent.
Et vous, vous en pensez quoi ? Est-ce que les clubs européens ont raison de défendre leurs intérêts calendaires ? Ou est-ce que la FIFA devrait tenir bon sur les dates initiales, quel que soit le tournoi ? Le débat est ouvert.
