Il est un peu plus de vingt heures, ce mercredi soir, quand le Premier ministre pose la question qui en dit long sur l’état d’urgence à Matignon. « J’ai quoi demain ? » La réponse tombe : deux rendez-vous pourtant stratégiques. Il les raye d’un trait. Tout le reste peut attendre. Seul compte le budget de la Sécurité sociale, ce texte explosif qui peut faire vaciller le gouvernement tout entier.
Dans les couloirs de l’Hôtel de Matignon, on sent la tension monter d’un cran. On n’avait plus vu ça depuis les heures les plus chaudes de la crise des retraites. Sébastien Lecornu, habituellement si maître de son agenda, choisit de tout miser sur cette partie d’échecs parlementaire. Un choix qui en dit long sur la gravité du moment.
Un Premier ministre qui descend lui-même dans l’arène
On a beau être habitué aux crises à répétition, cette fois c’est différent. Le chef du gouvernement ne délègue plus. Il prend le téléphone, convoque, négocie, parfois jusqu’au milieu de la nuit. Les députés reçoivent des appels directement de son portable. Certains sont surpris, d’autres flattés. Tous comprennent que l’on joue gros.
À l’Assemblée nationale, son ombre plane désormais sur chaque couloir. Il passe saluer les groupes, serre des mains qu’il n’avait jamais serrées, écoute des doléances qu’il avait jusque-là laissées à ses ministres. Un conseiller glisse même, mi-amusé mi-inquiet : « On dirait qu’il fait campagne pour sa survie. » Et il n’a peut-être pas tort.
Pourquoi le PLFSS 2026 est devenu une bombe à retardement
Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2026 concentre tous les poisons du moment. Déficit abyssal, mesures d’économies impopulaires, hausse possible de la CSG, gel de certaines prestations… Chaque ligne fait grincer des dents. À gauche comme à droite, on brandit la menace d’une motion de censure.
Ce qui rend la situation explosive, c’est l’absence de majorité absolue. Chaque voix compte. Et les voix, justement, se font rares. Les oppositions sentent le sang. Elles savent qu’un rejet du texte serait un camouflet historique pour l’exécutif, peut-être même le début de la fin pour ce gouvernement.
« On ne peut pas faire comme si de rien n’était »
Un très proche du Premier ministre
Cette phrase, lâchée dans l’urgence, résume tout. On est loin des beaux discours sur la « méthode » et le « dialogue ». On est dans le dur, dans le corps-à-corps parlementaire, là où se gagnent ou se perdent les batailles politiques.
Les scénarios possibles : du meilleur au pire
À ce stade, plusieurs issues se dessinent. Et aucune n’est vraiment confortable.
- Le scénario idéal : un compromis arraché in extremis avec une partie de l’opposition de droite, suffisamment de voix pour faire passer le texte sans 49.3. Improbable mais pas impossible.
- Le scénario probable : le recours au 49.3, avec le risque d’une motion de censure déposée immédiatement. Tout dépendra alors de la discipline des troupes et des calculs politiciens.
- Le scénario cauchemar : le texte rejeté purement et simplement. Ce serait une première depuis des décennies. Conséquence immédiate : reconduction des dépenses 2025, trou budgétaire béant, et crise politique majeure.
Dans les couloirs du Palais-Bourbon, on murmure déjà que certains députés de la majorité jouent leur propre partition. Ils posent des conditions, menacent de voter contre si leurs amendements ne passent pas. Le chantage est ouvert. Et le temps presse.
Lecornu face à son propre camp : la fracture visible
Ce qui frappe dans cette séquence, c’est aussi la solitude croissante du Premier ministre. Certains poids lourds du gouvernement gardent un silence assourdissant. D’autres, au contraire, multiplient les déclarations publiques qui sentent la distance. Comme si tout le monde se préparait déjà à l’après.
J’ai rarement vu une telle fébrilité. Même pendant les moments les plus tendus de la précédente législature, il y avait une forme de solidarité mécanique. Là, chacun semble calculer son intérêt personnel. Et Lecornu le sent. D’où cette mobilisation totale, presque désespérée.
Et si c’était le début de la fin ?
Il y a des moments dans la vie politique où tout bascule sur un vote. On en est là. Si le budget de la Sécu passe de justesse, Lecornu aura gagné une bataille mais pas la guerre. Sa crédibilité sera entamée. S’il échoue, la chute sera brutale.
Certains, dans l’opposition, savourent déjà. Ils savent que quoi qu’il arrive, l’exécutif sortira affaibli de cette séquence. Et que 2026, avec ses municipales puis la présidentielle qui pointe à l’horizon, s’annonce comme un chemin de croix.
Dans son bureau de Matignon, Sébastien Lecornu continue de téléphoner. Il sait que chaque conversation peut être la dernière chance. Il sait aussi que l’histoire est en train de s’écrire. Et qu’elle ne lui pardonnera pas l’échec.
À l’heure où j’écris ces lignes, le vote n’a pas encore eu lieu. Mais une chose est sûre : rarement un budget de la Sécurité sociale n’aura porté aussi lourdement le destin d’un gouvernement. Et rarement un Premier ministre n’aura joué aussi gros, aussi personnellement.
On verra bien qui aura le dernier mot. Les parlementaires ou le locataire de Matignon. En attendant, la République retient son souffle.
