Vous souvenez-vous de l’été 2024, quand tout a basculé en quelques mots ? Un discours, une phrase sur le Sahara occidental, et c’était la rupture. Presque dix-huit mois plus tard, on en paie encore le prix. Et cette semaine, la confirmation des sept ans de prison pour le journaliste Christophe Gleizes a remis une couche de tension sur une relation déjà au bord de l’implosion. Franchement, on se demande parfois si certains dossiers ne sont pas maudits.
Laurent Nuñez, l’homme qu’Alger accepte encore
Quand on cherche la petite bête dans les couloirs feutrés de la diplomatie, on finit toujours par tomber sur un nom qui passe encore la frontière. Aujourd’hui, ce nom c’est Laurent Nuñez. L’actuel ministre de l’Intérieur devait se rendre à Alger début décembre. La visite est reportée – officiellement pour des raisons d’agenda, en réalité pour ne pas arriver les mains vides après le verdict Gleizes. Mais le plus intéressant, c’est que la porte reste ouverte. Et ça, c’est déjà énorme.
Pourquoi lui plutôt qu’un autre ? D’abord parce qu’il incarne la continuité sans les excès. Son prédécesseur avait misé sur le bras de fer tous azimuts ; Nuñez, lui, parle le langage de la realpolitik sécuritaire que les Algériens comprennent et, disons-le, apprécient. Ensuite, les dossiers qui brûlent sont précisément ceux de son ressort : immigration, terrorisme, narcotrafic. Quand deux pays ont autant besoin l’un de l’autre sur ces sujets, on finit toujours par se reparler.
Le dossier qui bloque tout : les OQTF et l’accord de 1968
Commençons par le nerf de la guerre côté français : les obligations de quitter le territoire français concernant des ressortissants algériens. Il y en a des milliers qui dorment dans les tiroirs. Alger refuse de délivrer les laissez-passer consulaires nécessaires aux expulsions. Résultat ? Les préfectures françaises tournent en rond et les chiffres de l’expulsion fondent comme neige au soleil.
En face, les Algériens pestent contre les restrictions de visas et menacent régulièrement de dénoncer l’accord franco-algérien de 1968 – ce texte qui donne un statut particulier aux Algériens en France. À chaque crispation, le sujet revient sur la table. Et à chaque fois, on frôle la rupture totale.
- Des milliers d’OQTF non exécutées
- Refus systématique de laissez-passer consulaires
- Menaces récurrentes sur l’accord de 1968
- Restrictions françaises sur les visas officiels
On a beau dire que c’est technique, c’est avant tout politique. Et ça empoisonne tout le reste.
Sécurité : l’indispensable coopération qu’on ne peut pas se permettre de perdre
Il y a des domaines où la rancœur passe après la réalité du terrain. L’antiterrorisme en fait partie. Les services français et algériens échangent encore – discrètement – des renseignements précieux. La menace djihadiste n’a pas disparu au Sahel, et elle peut resurgir n’importe où en Europe. On a vu ce que ça donnait quand la coopération se grippe : tout le monde perd.
Pareil pour le narcotrafic. Une bonne partie des réseaux qui inondent Marseille, Paris ou Lyon ont des ramifications de l’autre côté de la Méditerranée. Les caïds ne prennent pas de pause diplomatique, eux.
« On peut se détester politiquement, on continue à se parler opérationnellement. C’est la règle du jeu. »
Un haut fonctionnaire du ministère de l’Intérieur, sous couvert d’anonymat
Cette phrase résume tout. Et c’est précisément sur ce terrain que Laurent Nuñez peut marquer des points.
Christophe Gleizes, le catalyseur malgré lui
Revenons au journaliste. Sept ans de prison confirmés en appel. La nouvelle est tombée comme un coup de massue à Paris. L’Élysée a aussitôt parlé d’« inquiétude profonde » et promis d’agir. Mais agir comment, quand la marge de manœuvre est quasi nulle sur le dossier qui a tout déclenché : le Sahara occidental ?
Personne n’imagine sérieusement la France revenir sur sa reconnaissance de la marocanité du Sahara. C’est acté, c’est irréversible. Du côté algérien, le sentiment de trahison reste vif. Résultat : chaque incident devient un prétexte pour faire monter la pression. L’affaire Gleizes en est le dernier exemple en date.
Mais il y a une nuance importante : la grâce accordée à Boualem Sansal mi-novembre n’était pas une réponse directe à Paris, mais à Berlin. Les Algériens tiennent à montrer qu’ils ne cèdent jamais sous pression française. C’est une question de fierté nationale. Comprendre ça, c’est déjà comprendre la moitié du problème.
Le calendrier caché derrière le report
Officiellement, la visite de Nuñez est juste « reportée ». En réalité, on peaufine le casting et le contenu. Janvier semble tenir la corde. Pourquoi attendre ? Parce qu’il faut arriver avec des gages concrets :
- Débloquer quelques dossiers migratoires visibles
- Proposer une feuille de route sécuritaire ambitieuse
- Préparer le terrain pour une éventuelle grâce ou commutation de peine pour Gleizes
- Et surtout, ne pas donner l’impression de plier
Car c’est bien là tout le paradoxe : il faut à la fois obtenir des résultats et sauver la face des deux côtés. Un exercice d’équilibriste que la diplomatie française connaît bien, mais qui atteint ici des sommets de complexité.
Et si la vraie solution passait par un sommet Macron-Tebboune ?
Tant qu’on n’aura pas une rencontre au sommet, avec poignée de mains devant les caméras, la crise ne sera pas vraiment derrière nous. L’idée d’une rencontre en marge du G20 en Afrique du Sud a été évoquée… puis abandonnée. Le président algérien n’a même pas fait le déplacement.
Mais les canaux restent ouverts. Et paradoxalement, c’est peut-être la succession de micro-crises comme celle-ci qui finit par forcer la main. Quand tout est bloqué, il arrive qu’on se retrouve autour d’une table simplement parce qu’on n’a plus le choix.
J’ai souvenir d’un diplomate expérimenté qui disait : « Les pires crises finissent toujours par un dîner. » On n’en est pas encore là, mais on s’en rapproche dangereusement.
Ce que cette crise dit de la diplomatie française en 2025
Au-delà du cas particulier, il y a une leçon plus large. La France navigue entre ses alliances historiques (Maroc) et ses intérêts stratégiques (Algérie). Choisir, c’est toujours mécontenter quelqu’un. Et dans le Maghreb contemporain, mécontenter Alger a un prix immédiat et concret.
L’autre enseignement, c’est la fragilité des relations quand elles reposent trop sur la personne des dirigeants. Un mot de travers, une phrase mal interprétée, et tout s’effondre. On l’a vu avec le Sahara, on le revoit avec chaque nouveau dossier judiciaire ou migratoire.
Enfin, cette séquence montre que la realpolitik sécuritaire reste le dernier pont quand tout le reste brûle. Laurent Nuñez incarne ça : pas de grandes déclarations, pas de posture morale, juste des dossiers concrets et des résultats. Parfois, c’est exactement ce qu’il faut.
Alors oui, la visite est reportée. Oui, Christophe Gleizes est toujours en prison. Oui, la crise est loin d’être terminée. Mais pour la première fois depuis longtemps, on entrevoit une porte de sortie. Petite, étroite, semée d’embûches. Mais une porte quand même.
Et dans ce genre de situation, c’est déjà beaucoup.
