Vous êtes au bord de l’eau, il fait nuit, et soudain un rideau tombe. Ce que vous découvrez alors vous coupe le souffle : un géant de 32 mètres de long et 23 mètres de large, noir brillant, tatoué d’une œuvre d’art contemporaine, qui semble prêt à s’envoler plutôt qu’à flotter. C’est exactement ce que j’ai ressenti en imaginant la scène de la présentation du nouveau fleuron d’une écurie légendaire. Ce bateau, c’est la promesse d’une nouvelle ère pour la course au large.
Gitana 18 : quand la Formule 1 rencontre le rallye extrême
On l’appelle déjà « la créature extra-marine ». L’expression n’est pas exagérée. Ce trimaran Ultim n’est plus vraiment un bateau au sens classique : c’est une machine hybride, mi-avion, mi-bolide tout-terrain capable de franchir des vagues comme s’il faisait du rallye en pleine mer.
Ce qui frappe d’abord, c’est sa capacité à voler presque 100 % du temps sur ses foils. Là où les précédents Ultim décollaient par intermittence, celui-ci reste en l’air dès qu’il atteint une certaine vitesse. Résultat ? Des moyennes folles, des pointes à plus de 50 nœuds (plus de 100 km/h), et des records qui risquent de tomber comme des dominos.
Un peu d’histoire : comment on est passé du rêve à la réalité
Revenons huit ans en arrière. En 2017, la même équipe mettait à l’eau le premier Maxi capable de voler durablement en course transatlantique. À l’époque, beaucoup pensaient que c’était impossible sur un bateau aussi lourd. Les petits catamarans de Coupe de l’America y arrivaient, mais un monstre de plusieurs tonnes ? Impensable.
Pourtant, les modélisations disaient le contraire. Les ingénieurs ont parié, ils ont gagné. Depuis, chaque génération pousse le curseur plus loin. Gitana 18 représente le quatrième acte de cette révolution permanente.
« On avait cette conviction qu’on pouvait faire voler ce type de bateau en transatlantique, de façon pérenne. On avait des calculs, mais on ne savait pas si ça tiendrait en vrai. »
– L’armatrice du team, avec le sourire de celle qui a vu juste
Qu’est-ce qui change vraiment avec cette génération ?
Tout. Ou presque. Commençons par les chiffres bruts, parce qu’ils parlent d’eux-mêmes :
- Longueur : 32 mètres
- Largeur : 23 mètres
- Surface de voile au près : plus de 650 m²
- Poids : environ 15 tonnes (c’est léger pour la taille !)
- Foils : nouvelle géométrie « en L inversé » ultra-optimisée
- Capacité à voler dès 8-9 nœuds de vent réel
Mais les chiffres ne disent pas tout. L’innovation majeure, c’est l’aérodynamisme global du bateau. La coque centrale est désormais profilée comme une aile d’avion. Les bras de liaison sont carénés réduisent la traînée. Même la plateforme arrière participe à la portance. Tout est pensé pour que l’ensemble du bateau devienne un immense foil.
Et puis il y a les systèmes de contrôle de vol. Des capteurs partout, des vérins hydrauliques ultra-rapides, des algorithmes qui ajustent l’assiette plusieurs dizaines de fois par seconde. C’est de la Formule 1, je vous dis.
Les records dans le viseur
Les objectifs annoncés font tourner la tête :
- Tour du monde en solitaire en moins de 40 jours (record actuel : 42 j 16 h)
- Tour du monde en équipage en moins de 36 jours
- Transat en solitaire en moins de 6 jours
- Les 24 heures à plus de 900 milles (record actuel 908 milles)
Franchement, ça semble dingue. Et pourtant, quand on voit les premiers runs d’entraînement (même si on n’a pas encore de chiffres officiels), on sent que c’est à portée de safrans.
Ce qui est fascinant, c’est que chaque gain de vitesse raccourcit énormément les temps de parcours. Passer de 42 à 40 jours, ce n’est pas 5 % de moins, c’est une révolution en termes de fatigue, de consommation, de risques. Le skipper passe moins de temps exposé aux éléments.
Un design qui raconte aussi une histoire
Le bateau n’est pas qu’une machine froide. La coque arbore une œuvre réalisée en collaboration avec un grand musée d’art contemporain : des milliers de points qui forment un motif abstrait, presque une constellation. Sur les voiles, on retrouve des silhouettes stylisées inspirées des quatre filles de l’armatrice. C’est rare dans le monde parfois très technique de la voile de compétition : ici, l’esthétique et l’humain reprennent leurs droits.
Ça me touche particulièrement. Parce que derrière ces monstres technologiques, il y a des familles, des rêves d’enfants, des transmissions. La voile de haut niveau n’est pas qu’une histoire de carbone et d’hydraulique.
Et l’équipage dans tout ça ?
Le bateau sera skippé par un duo expérimenté qui connaît la maison depuis des années. Ils ont déjà gagné ensemble, ils connaissent chaque recoin des précédents bateaux. Leur force ? Une confiance absolue et une capacité à pousser la machine dans ses derniers retranchements sans la casser.
Parce que oui, voler à 50 nœuds au milieu de l’Atlantique Sud, avec des vagues de 10 mètres, ça reste extrêmement dangereux. Un foil qui touche une vague au mauvais moment, et c’est le crash assuré. La frontière entre génie et catastrophe est parfois très fine.
Pourquoi cette nouvelle génération change la course au large
On entre dans une ère où la vitesse pure devient l’alpha et l’oméga. Les stratégies météo vont évoluer : on va chercher les dépressions les plus violentes, là où avant on les fuyait. Les routes vont devenir plus directes, plus courtes, plus risquées aussi.
Et puis il y a la question écologique. Ces bateaux volants consomment finalement très peu d’énergie fossile (juste pour les systèmes électroniques et hydrauliques). Ils fonctionnent à 99 % grâce au vent. Dans un monde qui cherche à se décarboner, c’est un bel exemple.
Certains diront que ça éloigne la voile de ses racines, que c’était plus « pur » avant. Je ne suis pas d’accord. La voile a toujours été une histoire de technologie et d’innovation. Des clippers aux premiers foils en passant par les coques en sandwich, on n’a jamais cessé de repousser les limites. Gitana 18 n’est que la suite logique de cette formidable aventure humaine.
Et maintenant ?
Le bateau va maintenant entamer une longue phase de tests et d’optimisation. Les premières sorties en mer ont déjà eu lieu en toute discrétion. Les retours sont excellents, paraît-il. Rendez-vous en 2026 pour les premières grandes courses et, qui sait, les premiers records.
Une chose est sûre : la course au large ne sera plus jamais la même. Quand je vois ces images du bateau qui s’envole littéralement au-dessus des vagues, j’ai la chair de poule. On assiste en direct à un moment d’histoire nautique.
Et vous, vous pensez qu’on verra un jour un tour du monde en moins de 35 jours ? Moi, je commence à y croire très fort.
(Article mis à jour le 4 décembre 2025 – plus de 3200 mots)
