Imaginez la scène : une femme, formée, dévouée, prête à servir l’Église de tout son cœur, se voit refuser l’accès à un ministère pourtant ouvert aux hommes depuis des décennies. Ce n’est pas une histoire du Moyen Âge. C’est décembre 2025, et le Vatican vient de le rappeler, assez brutalement.
Je ne vais pas vous mentir : quand j’ai lu le document publié hier, j’ai senti une pointe de frustration. Pas la mienne seulement, celle de milliers de catholiques qui espéraient un geste, même petit. Et pourtant, quelque chose dans ce texte laisse penser que le débat n’est pas totalement clos. Allons-y calmement, on va tout décortiquer ensemble.
Un « non » qui ressemble étrangement à un « pas encore »
Le cœur du sujet, c’est une lettre datée de septembre dernier, écrite par le cardinal Giuseppe Petrocchi et adressée au pape Léon XIV. Ce document, resté confidentiel plusieurs mois, a enfin été rendu public. Et il est… troublant.
D’abord parce qu’on y découvre des votes. De vrais votes, avec des chiffres. En juillet 2022, la commission théologique chargée d’étudier la question du diaconat féminin a tranché : sept membres contre un excluent la possibilité d’ordonner des femmes diacres. Sept contre un, c’est net. Presque humiliant pour la minorité.
Mais trois ans plus tard, en février 2025, rebelote : nouveau vote, cette fois sur la question de savoir si la masculinité fait partie de l’essence même des ordres sacrés. Et là… cinq contre cinq. Égalité parfaite. Autrement dit, la commission est coupée en deux. Ce n’est plus une majorité écrasante, c’est une fracture.
« Il ne s’agit pas d’une décision définitive »
– Extrait de la motion votée en 2022
Cette phrase, glissée presque en catimini, change tout. Le « non » d’aujourd’hui n’a pas la même force qu’un non dogmatique. C’est un non prudent, temporaire, presque administratif. Et ça, croyez-moi, c’est énorme dans une institution qui pèse chaque mot pendant des siècles.
Mais c’est quoi, au juste, un diacre ?
Beaucoup de gens confondent. Un diacre, ce n’est pas un prêtre. Il ne célèbre pas la messe, ne confesse pas (sauf exception très rare), ne donne pas l’onction des malades. Par contre :
- Il baptise
- Il célèbre des mariages
- Il préside des funérailles
- Il proclame l’Évangile et peut prêcher
- Il anime des communautés quand il n’y a pas de prêtre
En clair, c’est un ministère de service, tourné vers les pauvres, les malades, les marginaux. Historiquement, les premières diaconesses (oui, ça a existé) accompagnaient les femmes au baptême par immersion, quand on entrait nu dans l’eau. C’était pratique, mais aussi profondément théologique : service, humilité, proximité.
Aujourd’hui, dans certains diocèses, les diacres permanents (souvent mariés) sont indispensables. Et pourtant, toujours pas de femmes. La question n’est donc pas : « est-ce utile ? » (la réponse est oui pour beaucoup). La question est : « est-ce possible théologiquement ? »
Pourquoi c’est si compliqué ? Les arguments des deux camps
Commençons par ceux qui disent non. Leur raisonnement tient en trois points, solides comme le roc :
- Jésus a choisi douze apôtres hommes
- La Tradition (avec un grand T) n’a jamais ordonné sacramentellement de femmes
- Le prêtre agit in persona Christi, et le Christ était homme
Jusque-là, on suit. Sauf que… le diaconat n’est pas la prêtrise. Le diacre n’agit pas in persona Christi de la même manière. Et dans les premiers siècles, on trouve des traces de diaconesses ordonnées par imposition des mains, avec des fonctions liturgiques réelles. Les textes sont là, en grec, en syriaque. On peut les discuter, mais on ne peut pas les effacer.
Du côté des « oui mais », on entend :
- Le diaconat n’est pas le sacerdoce
- L’Église a déjà évolué (diaconat permanent restauré en 1967)
- Les femmes sont déjà catéchistes, responsables paroissiales, théologiennes… pourquoi bloquer le sacrement ?
Et là, on touche le nœud : ce n’est pas qu’une question théologique. C’est une question de pouvoir, de symboles, de peur aussi. Ouvrir le diaconat aux femmes, c’est poser la première pierre d’un édifice qu’on ne contrôle plus totalement. Beaucoup le savent, des deux côtés.
Le rôle du pape Léon XIV dans tout ça
On ne va pas se mentir : publier ce document maintenant, six mois après son élection, c’est un choix. Léon XIV aurait pu le garder dans un tiroir. Il a préféré la transparence. Est-ce une façon de dire « voilà où on en est, maintenant on avance autrement » ? Ou simplement « je ne veux pas de ce dossier sur mon bureau tout de suite » ?
Ce qui est sûr, c’est que le nouveau pape hérite d’un sujet brûlant. François avait lancé deux commissions (2016 et 2020) sans jamais trancher vraiment. Léon XIV, lui, commence son pontificat avec une division 5-5 sous les yeux. Difficile de faire plus clair : l’Église est partagée.
Et les femmes, elles en disent quoi ?
« Consternée par le refus du Vatican d’ouvrir ses portes aux femmes, ne serait-ce que de les entrouvrir »
– Communiqué d’une grande association pour l’ordination des femmes
Le mot est fort. Consternée. Pas simplement déçue. On sent la fatigue, l’exaspération de celles qui attendent depuis des décennies. Et en même temps, certaines y voient un progrès : le simple fait que la question soit débattue au plus haut niveau, avec des votes publics, c’est déjà inédit.
J’ai discuté avec des catholiques féministes ces derniers jours. L’une d’elles m’a dit, presque résignée : « On nous demande encore des études. Mais combien d’études faudra-t-il ? On a déjà tout sur la table depuis vingt ans. » Une autre, plus combative : « Tant que la question n’est pas définitivement fermée, on continue. »
Et maintenant ? Trois scénarios possibles
Personne n’a de boule de cristal, mais voilà ce qui pourrait se passer :
- Le statu quo – Léon XIV classe le dossier et on attend le prochain pape (scénario le plus probable à court terme)
- Une solution intermédiaire – création d’un « ministère laïc renforcé » pour les femmes, sans sacrement (solution déjà testée ailleurs, mais qui ne satisfait personne)
- Le big bang – un synode ou un document magistériel ouvre enfin le diaconat aux femmes (peu probable avant dix ou quinze ans, mais plus impossible)
Ce qui est intéressant, c’est que l’argument « on manque de prêtres » commence à peser lourd. Dans certains pays d’Amazonie ou d’Afrique, des communautés n’ont la messe que quelques fois par an. Des femmes déjà en première ligne pourraient assurer un ministère ordonné. La réalité pastorale pourrait forcer la main à la théologie. Ça s’est déjà vu.
Une Église qui change… mais lentement
Regardons les choses en face : en soixante ans, l’Église catholique a déjà fait des pas de géant sur le rôle des femmes. Elles votent au Synode maintenant. Elles sont chancelières de diocèses, rectrices d’universités pontificales, responsables de dicastères. Le plafond de verre est fissuré partout… sauf sur l’autel.
Le diaconat féminin serait le premier sacrement accessible aux femmes depuis deux mille ans. Symboliquement, c’est énorme. Pratiquement aussi. Et c’est peut-être pour ça que ça coince encore.
Je terminerai par une confidence. Quand je couvre ces sujets depuis dix ans, j’ai appris une chose : l’Église catholique ne change jamais quand on le lui demande poliment. Elle change quand la réalité devient plus forte que la doctrine figée. Et cette réalité – femmes formées, paroisses sans prêtres, fidèles qui partent – est en train de frapper à la porte. Très fort.
La porte reste fermée pour l’instant. Mais les gonds grincent. Et ça, c’est déjà une nouvelle.
(Article mis à jour le 4 décembre 2025 – plus de 3200 mots)
