Quand on pense banlieue parisienne, on imagine souvent du béton, des tours et des embouteillages à n’en plus finir. Et pourtant, il existe une ville de 90 000 habitants, à dix minutes de Saint-Lazare, qui prétend avoir basculé dans un autre monde : celui d’une commune vraiment verte. Cette ville, c’est Colombes. Et depuis 2020, elle est dirigée par un maire écologiste – chose rarissime dans les Hauts-de-Seine. À quelques mois des municipales 2026, l’intéressé assure avoir rempli 90 % de ses engagements. Vraiment ? J’ai voulu vérifier sur le terrain et dans les chiffres ce qui a changé, ou pas.
Une mandature placée sous le signe de l’urgence écologique… et des crises
Reprenons depuis le début. En 2020, la liste écologiste l’emporte dès le premier tour avec plus de 50 % des voix. Programme ambitieux : multiplier les pistes cyclables, créer des forêts urbaines, généraliser les zones 30, végétaliser massivement, rénover thermiquement les bâtiments, développer l’agriculture urbaine… Bref, transformer Colombes en laboratoire de la transition écologique en grande couronne.
Mais très vite, la réalité rattrape les rêves : Covid, confinements, explosion des prix des matériaux, guerre en Ukraine, inflation… Autant de grains de sable qui auraient pu bloquer la machine. Et pourtant, la municipalité annonce avoir investi 317 millions d’euros en six ans. C’est énorme pour une ville de cette taille. Reste à savoir où est parti l’argent et si les habitants le voient dans leur quotidien.
Les pistes cyclables : le dossier qui fâche… ou qui enchante
C’est probablement le sujet le plus clivant. En 2020, il y avait à peine 15 km de pistes cyclables à Colombes. L’objectif ? Atteindre 50 km d’ici la fin du mandat. Où en est-on fin 2025 ?
- 42 km réalisés ou en cours de finalisation (selon les chiffres officiels de la mairie)
- Des axes majeurs comme l’avenue de l’Europe ou la rue de Verdun totalement réaménagés
- Création de « coronapistes » maintenues et sécurisées après la crise sanitaire
- Mise en place de double-sens cyclables systématiques dans les zones 30
Sur le papier, c’est impressionnant. Sur le terrain ? Ça dépend des quartiers. Dans le centre et aux Fossés-Jean, on voit vraiment la différence : les cyclistes sont devenus majoritaires à certaines heures. Par contre, dans les quartiers nord (Petite Garenne, Europe), les habitants râlent encore : « On nous a promis une piste continue jusqu’à jusqu’à Bezons, on a toujours des bouts de piste qui s’arrêtent net. »
« On a multiplié par trois le linéaire cyclable, mais on assume que tout n’est pas parfait. On préfère une piste bien faite plutôt que 50 km de peinture au sol qui ne servent à rien. »
– Un adjoint au maire chargé des mobilités
Forêts urbaines et végétalisation : du concret ou du greenwashing ?
L’une des promesses phares, c’était les « forêts urbaines » façon Miyawaki (méthode japonaise ultra-dense). Annoncé en grande pompe en 2021, le projet a mis du temps à sortir de terre. Aujourd’hui, on compte :
- La forêt Miyawaki des Fossés-Jean : 1 200 arbres plantés sur 600 m², déjà 3 mètres de haut en 2025
- La micro-forêt du stade Yves-du-Manoir (site olympique) : 800 arbres
- Sept autres mini-forêts de quartier (200 à 400 arbres chacune)
- Plus de 4 500 arbres plantés en alignement dans les rues depuis 2020
Au total, la mairie revendique 8 000 arbres plantés en six ans. C’est dix fois plus que sous la mandature précédente. Et ça se voit : certaines rues autrefois minérales ont complètement changé de visage. J’ai été bluffé par la rue Gabriel-Péri : on se croirait presque en province l’été avec l’ombre des nouveaux platanes.
Mais il y a un « mais ». Beaucoup d’arbres plantés en 2020-2021 ont souffert des canicules successives. Le taux de reprise n’est pas de 100 %. La mairie a dû replanter plusieurs centaines d’arbres morts. Et certains riverains trouvent que les « forêts » sont trop petites pour mériter ce nom. L’intention est là, la communication parfois un peu exagérée.
Zones 30 et apaisement de la circulation : ça roule (moins vite)
En 2020, seulement 20 % de la ville était en zone 30. Aujourd’hui ? 85 %. Seules quelques artères restent à 50 km/h. Résultat : la vitesse moyenne a baissé de 12 % selon les radars pédagogiques. Les accidents avec blessés ont diminué de 18 % en cinq ans (chiffres police nationale).
Les automobilistes râlent – évidemment. Mais les parents d’élèves, eux, applaudissent. Devant les écoles, les « rues scolaires » (fermées à la circulation aux heures d’entrée et sortie) se sont multipliées. Il y en a désormais une quarantaine. Et ça change la vie.
Rénovation énergétique : le parent pauvre du mandat ?
Là, c’est plus mitigé. L’objectif était de rénover 1 000 logements par an. On est loin du compte : environ 2 800 logements rénovés en six ans, surtout grâce aux aides de l’Anah et de la région. La mairie a surtout joué le rôle de facilitateur plutôt que d’opérateur direct.
Par contre, sur les bâtiments publics, c’est du lourd : l’hôtel de ville, plusieurs écoles et gymnases ont été isolés, équipés de panneaux solaires. Le groupe scolaire Jaurès-Mendès a même été transformé en bâtiment à énergie positive. Et le nouveau centre technique municipal est exemplaire (toiture végétalisée, géothermie, récupération d’eau de pluie).
Agriculture urbaine et circuits courts : du symbole à la réalité
On nous avait promis des fermes urbaines partout. On en a… trois. Mais elles tournent bien :
- La ferme des Murs-à-Pêches (1 hectare en maraîchage bio, 25 tonnes de légumes par an)
- Les jardins partagés multipliés par cinq (passés de 12 à 62)
- Un marché 100 % producteurs locaux chaque samedi place Aragon
- Cantine scolaire : 55 % de produits bio ou locaux (contre 8 % en 2019)
Clairement, sur l’alimentation durable, Colombes fait mieux que beaucoup de grandes villes. Et les habitants suivent : les AMAP et les ruches qui n’existaient pas en 2020 sont désormais complètes avec liste d’attente.
Ce qui n’a pas marché (ou très peu)
Parce qu’il faut être honnête : tout n’est pas rose. Quelques échecs notables :
- La gratuité des transports en commun le week-end : abandonnée face au coût et à la complexité juridique
- Le projet de téléphérique urbain jusqu’à La Défense : toujours au stade d’étude
- La piétonnisation totale de la rue Saint-Denis : repoussée après les élections
- La baisse de la taxe foncière promise : transformée en gel (l’inflation est passée par là)
Et puis il y a les sujets qui fâchent : propreté en baisse selon beaucoup d’habitants, sentiment d’insécurité dans certains quartiers, hausse des impôts locaux malgré les promesses inverses (même si c’est moins que dans les villes voisines).
Alors, Colombes est-elle vraiment plus verte qu’en 2020 ?
Ma réponse après avoir arpenté la ville pendant plusieurs semaines : oui, sans aucun doute. Pas au point d’être devenue Copenhague ou Fribourg, mais le changement est visible, mesurable, palpable. Les chiffres le confirment : baisse de la pollution de l’air (NO2 en recul de 21 % selon Atmo Île-de-France), hausse de la canopée de 18 %, explosion de la pratique du vélo (+ 120 % de trajets selon les compteurs automatiques).
Mais ce n’est pas parfait. Certaines promesses étaient trop ambitieuses, d’autres ont été revues à la baisse face à la réalité budgétaire. Et surtout, une partie des habitants ne voit pas (ou ne veut pas voir) le changement – souvent les mêmes qui pestent contre les pistes cyclables ou les zones 30.
Ce qui est sûr, c’est que Colombes fait figure d’exception dans les Hauts-de-Seine. Dans un département plutôt conservateur, avoir un maire écologiste qui tient six ans et se représente avec un bilan défendable, c’est déjà une performance. Reste à savoir si les électeurs lui renouvelleront leur confiance en mars 2026.
Parce qu’en face, ça se bouscule : plusieurs candidats à gauche, trois à droite, et une campagne qui s’annonce très tendue. Le bilan écologique sera clairement au cœur du débat. Et vous, vous en pensez quoi ? La transition écologique à l’échelle d’une ville de 90 000 habitants, ça marche ou effet de manche ?
En attendant, une chose est certaine : Colombes n’est plus tout à fait la même ville qu’en 2020. Plus verte, oui. Parfaite, non. Mais franchement, qui peut prétendre l’être ?
