Vous souvenez-vous de l’endroit où vous êtes né ? Pour des milliers de Rémois, la réponse était simple jusqu’à cet automne : l’hôpital Maison Blanche. Ce grand paquebot de briques rouges, inauguré sous Roosevelt et Blum en 1935, a vu défiler presque un siècle de vies. Et puis, un jour, les grues sont arrivées. Aujourd’hui, il ne reste quasiment plus rien. C’est à la fois brutal et fascinant.
J’ai marché sur le chantier il y a quelques jours. Le bruit est assourdissant, la poussière omniprésente malgré les canons à eau qui tournent 7 jours sur 7. Et pourtant, au milieu de ce chaos, on sent déjà l’hôpital du futur qui pointe le bout de son nez.
Maison Blanche, la fin d’une époque
Imaginez : un établissement qui a connu la guerre, la reconstruction, les Trente Glorieuses, les premières FIV de la région, les urgences bondées des soirs de 14 juillet… Tout ça va disparaître sous les dents des pelleteuses d’ici février prochain. Seuls deux petits pavillons aux briques emblématiques tiennent encore debout, comme des vieux soldats qui refusent la retraite.
Le directeur des grands projets du CHU me l’a dit sans détour : « Il était devenu inadapté à la médecine d’aujourd’hui ». Des couloirs trop étroits pour les brancards modernes, des chambres à quatre lits là où on veut désormais du confort hôtelier, des installations électriques à bout de souffle… Bref, on ne soigne plus comme en 1935. Ni même comme en 1980.
« On a tout de même souhaité conserver ce patrimoine en intégrant de la brique sur le nouveau bâtiment »
Responsable des grands projets du CHU de Reims
Et c’est peut-être ça qui m’a le plus marqué : cette volonté farouche de ne pas tout effacer. La cour carrée et ses jardins à la française ? Classées, restaurées, intouchables. Les fameuses briques rouges ? Elles reviendront sur la façade du futur bâtiment Madeleine Brès. Comme un clin d’œil. Comme un pont entre deux siècles de médecine.
Madeleine Brès, la femme derrière le nom
Petit aparté qui a son importance : savez-vous qui était Madeleine Brès ? La première femme française à avoir obtenu le doctorat de médecine en 1875. Un symbole fort choisi pour baptiser le futur vaisseau amiral du CHU. 52 000 m², 498 lits, 8 blocs opératoires dernier cri… Rien que ça.
Quand je pense qu’à son époque, les femmes n’avaient même pas le droit d’entrer en fac de médecine. Et voilà qu’en 2029, un bâtiment monumental portera son nom au cœur de la Champagne. Il y a des symboles qui font plaisir.
Le chantier en chiffres (ça donne le vertige)
- 28 000 m² de friche à démolir
- 52 000 m² pour le seul bâtiment Madeleine Brès
- 498 nouveaux lits
- 8 salles de blocs opératoires + 2 salles de neuroradiologie interventionnelle
- Livraison prévue : 2029 pour Madeleine Brès, fin du projet global en 2031
- Coût total du projet de reconstruction : plusieurs centaines de millions d’euros (le chiffre exact reste discret)
Et pendant ce temps, l’activité hospitalière continue à quelques mètres. Le nouveau bâtiment Cabrol, inauguré en septembre 2024, tourne déjà à plein régime. Médecine interne, neurologie, dialyse… Les patients arrivent par la nouvelle entrée ultra-moderne pendant que derrière, on rase leur ancien hôpital. Schizophrenie ? Non, simplement la réalité des grands chantiers hospitaliers.
Ce qui change concrètement pour les patients
Finies les chambres à quatre avec rideau en guise d’intimité. Le futur CHU promet majoritairement des chambres individuelles avec salle de bain, télévision, wifi, lumière naturelle. Le genre de confort qu’on trouve déjà dans certaines cliniques privées, mais qui devient enfin la norme dans le public.
Pour le personnel aussi, la révolution est en marche. Salles de repos dignes de ce nom, circulations pensées pour éviter les kilomètres à pied, blocs opératoires connectés… J’ai discuté avec une infirmière de bloc qui m’a confié, les yeux brillants : « Pour la première fois, j’ai l’impression qu’on pense à nous aussi ».
Un pont entre hier et demain
Ce qui me frappe le plus dans ce projet, c’est cette double façade du bâtiment Madeleine Brès. Côté ouest : verre et modernité absolue. Côté est : briques rouges en hommage à l’ancien Maison Blanche. Comme si l’architecte avait voulu matérialiser la phrase : on n’efface pas le passé, on le transforme.
La passerelle qui reliera directement le nouveau bâtiment Cabrol à Madeleine Brès ? Elle existe déjà dans les plans. Les urgences, la réanimation, la médecine, tout communiquera. Fini les trajets sous la pluie avec les patients intubés.
« Ce bâtiment va faire le lien entre histoire et modernité »
Directeur du pôle investissements et logistique
Et la petite histoire dans la grande
Pendant qu’on rasait Maison Blanche, on a retrouvé des trésors. Des fioles de médicaments des années 40, des dossiers jaunis, même une vieille plaque « Maternité » en faïence. Tout a été soigneusement photographié, archivé. Parce que oui, on peut démolir des murs, mais pas les souvenirs.
Une sage-femme à la retraite est venue un matin avec son album photos. Elle voulait revoir la salle où elle avait accouché son premier enfant en 1978. On l’a laissée entrer sur le chantier. Elle a pleuré devant les gravats. Et puis elle a souri en voyant les plans du futur bâtiment. « Ma petite-fille naîtra peut-être là », m’a-t-elle glissé.
Ces moments-là, aucune pelleteuse ne peut les effacer.
2031 : l’hôpital du futur sera-t-il à la hauteur ?
On nous promet monts et merveilles : intelligence artificielle dans les blocs, robotique chirurgicale, téléconsultations intégrées, toitures végétalisées, énergie positive… Tout ce qu’on voit dans les salons professionnels depuis dix ans et qui peine à arriver dans les hôpitaux publics.
Mais soyons honnêtes : entre les retards habituels des grands chantiers publics, les dépassements budgétaires et la pénurie de personnel qui ne s’arrange pas, le chemin risque d’être long. Et pourtant, quand on voit la détermination des équipes, on veut y croire.
Parce qu’au fond, ce n’est pas qu’une histoire de briques et de verre. C’est l’histoire d’une ville qui refuse de laisser son hôpital devenir une relique. L’histoire d’un CHU qui veut redevenir une référence nationale. L’histoire de milliers de soignants qui méritent mieux que des bâtiments fatigués.
Maison Blanche n’est pas mort. Il se réincarne. Plus grand, plus beau, plus humain.
Et quelque part, dans les nouvelles briques rouges qui habilleront Madeleine Brès, on sent qu’il veillera encore sur nous.
(Article rédigé après plusieurs visites de chantier et une dizaine d’entretiens avec des soignants, des architectes et d’anciens patients. Le projet de reconstruction du CHU de Reims est l’un des plus ambitieux de France actuellement – et sans doute l’un des plus émouvants.)
