Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi, d’un seul coup, votre écran semble obsédé par Marseille ? Un jour c’était les clichés habituels – kalach en bandoulière et accents qui chantent un peu trop fort – et puis, presque sans prévenir, la ville est devenue l’un des décors stars du streaming mondial. Franchement, quand on m’a parlé il y a quelques années d’une série politique avec Gérard Depardieu tournée ici, j’ai levé les yeux au ciel. Et pourtant… aujourd’hui je me surprends à reconnaître des ruelles du Panier dans trois séries différentes en une seule soirée.
Ce n’est pas un hasard. Il se passe réellement quelque chose dans la cité phocéenne, quelque chose de profond, d’organique, qui dépasse largement le simple effet de mode.
Marseille, le nouveau studio à ciel ouvert du streaming
Tout a commencé en 2016. Une plateforme américaine décide de planter ses caméras dans la deuxième ville de France pour sa toute première production française. L’idée ? Une saga politique sombre, ambitieuse, avec un casting cinq étoiles. On connaît la suite : la série divisera la critique, mais elle marquera un tournant irréversible.
Le plus fou ? Les gigantesques lettres « MARSEILLE » installées sur la colline pour la promo. Elles devaient rester quelques semaines. Neuf ans plus tard, elles dominent toujours la ville, intégrées au paysage comme si elles avaient toujours été là. Un symbole parfait de ce qui allait suivre.
Un écosystème qui s’est réveillé en quelques mois
Ce que beaucoup ignorent, c’est l’effet domino immédiat. Dès les premiers tournages, les techniciens locaux se sont multipliés, les sociétés de production se sont créées à la chaîne, les écoles de cinéma ont vu leurs candidatures exploser. On parle d’un secteur qui est passé de quasiment rien à plusieurs centaines d’emplois qualifiés en moins de cinq ans.
J’ai discuté récemment avec un chef opérateur marseillais qui travaillait avant surtout sur des pubs et des clips. Aujourd’hui il enchaîne les séries internationales sans quitter sa ville. « On n’a plus besoin de monter à Paris pour exister », m’a-t-il lancé avec un sourire jusqu’aux oreilles.
« Avant, on venait tourner à Marseille pour le côté carte postale ou pour le cliché. Aujourd’hui, on vient parce qu’il y a un vrai savoir-faire local, des équipes rodées, et une ville qui sait accueillir les gros budgets. »
– Un producteur exécutif installé depuis 2018
Des récits qui sortent enfin des clichés
Longtemps, Marseille à l’écran se résumait à deux registres : le polar ultra-noir ou la comédie soleil-et-pétanque. C’était pratique, ça vendait, mais ça réduisait une ville complexe à quelques stéréotypes éculés.
Le streaming a tout changé. D’abord parce que les plateformes cherchent avant tout des histoires universelles qui parlent partout dans le monde. Ensuite parce qu’elles ont les moyens de prendre des risques créatifs que la télévision traditionnelle n’osait plus.
Résultat ? On voit enfin apparaître des séries qui parlent de la jeunesse des quartiers nord avec nuance, des comédies romantiques qui se passent dans le 7e arrondissement sans caricature, des thrillers psychologiques dans des villas du Roucas-Blanc, des histoires de famille sur fond de mer et de collines. Marseille devient un personnage à part entière, mais un personnage vivant, contradictoire, passionnant.
Les chiffres qui ne mentent pas
Difficile de parler de cette révolution sans quelques chiffres. Et croyez-moi, ils impressionnent.
- Plus de 40 séries et films majeurs tournés partiellement ou totalement à Marseille depuis 2018
- Une augmentation de 400 % des jours de tournage dans la région en dix ans
- Près de 2 000 emplois directs créés dans l’audiovisuel local
- Des retombées économiques estimées à plusieurs centaines de millions d’euros
- Des formations spécialisées qui affichent complet chaque année
Et ce n’est pas fini. Les projets s’enchaînent, les annonces pleuvent, les castings locaux n’ont jamais été aussi fournis.
Les quartiers qui deviennent des stars à leur tour
Ce qui me frappe le plus, c’est la diversité des décors maintenant exploités. Avant, on tournait Vieux-Port, Canebière, Notre-Dame de la Garde, et basta. Aujourd’hui ? Les caméras s’aventurent partout.
Le Panier bien sûr, mais aussi les quartiers nord, les calanques, les cités, les zones industrielles de la Capelette, les plages du Prado, les hauteurs de Luminy, les terrasses du Roucas… Marseille montre enfin tous ses visages. Et ça change tout.
Les habitants jouent le jeu, eux aussi. Là où certains tournages étaient autrefois mal vus, aujourd’hui on voit des gamins faire la queue pour être figurants, des commerçants qui ferment boutique une matinée pour laisser passer une équipe, des riverains qui proposent leur appartement comme décor. Il y a une fierté nouvelle.
Et l’image de la ville dans tout ça ?
C’est peut-être l’aspect le plus intéressant. Pendant des années, Marseille traînait une réputation compliquée à l’international. Trop de faits divers, trop de clichés, pas assez de nuances.
Les séries récentes changent la donne. Elles montrent une ville vibrante, créative, métissée, parfois dure mais toujours humaine. Des millions de spectateurs dans le monde découvrent une Marseille qu’ils ne soupçonnaient pas. Et ça, ça n’a pas de prix.
« Quand je voyage maintenant, on me parle moins de drogue et de fusillades, et plus de séries qu’on a adorées. C’est con, mais ça fait du bien. »
– Un chauffeur de taxi marseillais, la trentaine
Le futur ? Il s’annonce encore plus fou
On parle déjà de nouveaux studios en projet, de formations renforcées, de partenariats durables avec les grandes plateformes. Certains rêvent même d’un « Marseillewood » à la provençale.
Ce qui est sûr, c’est que la dynamique est lancée. Et quand on voit la qualité des projets qui sortent, quand on croise ces équipes passionnées qui bossent douze heures par jour sous le soleil ou la pluie, on se dit que oui, vraiment, il se passe quelque chose ici.
Quelque chose de grand.
La prochaine fois que vous lancerez une série et que vous reconnaîtrez la corniche ou le bruit des cigales en arrière-plan, souriez. Vous êtes en train de regarder l’une des plus belles réussites culturelles françaises de ces dernières années.
Et quelque part sur une colline, des lettres géantes veillent sur tout ça. Elles n’étaient pas censées rester. Elles ne partiront probablement jamais.
Parce que Marseille, aujourd’hui, ce n’est plus seulement une ville. C’est une marque. Un décor. Un personnage. Et surtout, un incroyable terrain de jeu créatif qui n’a pas fini de nous surprendre.
