Imaginez-vous marcher sur une plage déserte de Long Island, le vent iodé qui vous fouette le visage, et tomber soudain sur les restes d’une enfant de deux ans. C’est exactement ce qui est arrivé en 2011. Et pendant des années, tout le monde a cru que cette petite faisait partie des victimes du célèbre tueur en série de Gilgo Beach. Sauf que non. L’histoire est bien plus intime, bien plus glaçante.
Un cold case qui refusait de mourir
Tout commence – ou plutôt tout éclate – en juin 1997. Des promeneurs découvrent un torse féminin dans le parc d’État de Hempstead Lake, à Long Island. Pas de tête, pas de membres, juste un buste. Sur la peau, un tatouage représentant deux pêches mordues. Les enquêteurs la baptisent immédiatement Peaches. À l’époque, les moyens techniques sont limités, l’identification traîne, l’affaire finit dans un tiroir.
Quatorze ans plus tard, en avril 2011, les recherches liées à la disparition de Shannan Gilbert (celle qui a permis de découvrir les corps du tueur de Gilgo Beach) mettent au jour de nouveaux restes. Parmi eux : le squelette d’une toute petite fille, à peine deux ans, enveloppé dans une couverture. On l’appelle Baby Doe. Et là, stupeur : les analyses ADN réalisées en 2015 révèlent que Baby Doe est la fille de Peaches. Mère et fille, tuées à des années d’intervalle, déposées à des endroits différents. Le mystère s’épaissit.
« Nous avons 27 ans de retard à rattraper »
– Un capitaine de police du comté de Nassau, avril 2025
Avril 2025 : les victimes ont enfin un nom
C’est seulement au printemps dernier que les autorités annoncent publiquement l’identité des deux victimes. La mère s’appelait Tanya Jackson, 26 ans au moment de sa mort. Elle avait servi dans l’armée américaine – une photo d’elle en uniforme circule alors, le regard déterminé. Sa fille se prénommait Tatiana Dykes et aurait aujourd’hui 30 ans. Oui, vous avez bien lu le nom de famille de la petite : Dykes.
À ce moment-là, les enquêteurs offrent 25 000 dollars de récompense et promettent de tout mettre en œuvre. On sent la pression : l’affaire Gilgo Beach est sous les projecteurs depuis l’arrestation de Rex Heuermann, et personne n’a envie qu’un autre tueur en série rôde dans l’ombre. Pourtant, pendant huit mois, silence radio.
Mercredi 3 décembre 2025 : l’arrestation qui fait trembler la Floride
Puis, comme un coup de tonnerre, l’annonce tombe. Un homme de 66 ans, Andrew Dykes, est arrêté à son domicile près de Tampa, Floride. Le même nom que la petite Tatiana. Hasard ? Absolument pas. Les enquêteurs le soupçonnent d’être le père de l’enfant et l’ancien compagnon de Tanya Jackson.
Jeudi, il comparait menotté devant un juge du comté de Hillsborough. Visage fermé, cheveux blancs, l’air de quelqu’un qui sait que la partie est terminée. Prochaine audience fixée au 11 décembre. Entre-temps, il sera extradé vers New York.
Ce qui frappe, c’est la chronologie. Tanya disparaît (et est tuée) vers 1997. Tatiana naît probablement peu après – les experts estiment qu’elle avait environ 2 ans lors de son meurtre, survenu donc vers 2009-2011. Andrew Dykes aurait donc vécu avec elles… ou du moins eu un lien direct.
Pourquoi avoir attendu si longtemps ?
La vraie question que tout le monde se pose : comment a-t-il pu passer entre les mailles du filet pendant autant d’années ? Plusieurs éléments ont joué :
- À l’époque du premier meurtre, l’ADN n’était pas encore systématiquement comparé à l’échelle nationale comme aujourd’hui.
- Le lien mère-fille n’a été établi qu’en 2015 grâce à de nouvelles bases de données généalogiques.
- Andrew Dykes vivait tranquillement en Floride, loin des radars new-yorkais.
- L’ombre écrasante du tueur de Gilgo Beach a parasité l’enquête pendant plus de dix ans – tout le monde cherchait un serial killer, pas un drame familial.
Et pourtant, des indices étaient là. Le tatouage de pêches, notamment, était très spécifique. Certains proches de Tanya l’auraient reconnu dès 1997 si on leur avait montré la photo plus tôt. Mais les dossiers dormaient.
Le tueur en série de Gilgo Beach : coupable ou bouc émissaire commode ?
Rex Heuermann, l’architecte arrêté en 2023 pour au moins sept meurtres, a longtemps été le suspect numéro un pour Baby Doe. Même mode opératoire apparent, même zone géographique… Sauf que les dates ne collaient pas parfaitement et surtout, aucun lien ADN avec la petite.
Au final, cette piste a probablement retardé l’enquête sur le vrai coupable. L’aspect le plus triste ? Pendant que les médias et la police traquaient un monstre, le vrai responsable prenait le soleil en Floride, peut-être même en regardant les journaux télévisés parler de « son » affaire.
Que va-t-il se passer maintenant ?
Andrew Dykes est inculpé pour les deux meurtres. Les chefs d’accusation exacts n’ont pas encore été précisés, mais dans l’État de New York, un double meurtre avec circonstances aggravantes (victime enfant) peut valoir la prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle.
- Extradition vers le comté de Nassau
- Audience préliminaire le 11 décembre
- Analyse complète des preuves ADN et téléphoniques
- Éventuel procès en 2026-2027
Les enquêteurs restent prudents : ils cherchent encore à comprendre le mobile. Violence conjugale ? Dispute ayant mal tourné ? Ou quelque chose de plus sombre ? Les voisins floridiens décrivent Dykes comme un retraité discret, aimable. Classique.
« Les monstres ne portent pas toujours des masques. Parfois, ils ont juste l’air… normal. »
Ce qui est certain, c’est que Tanya et Tatiana vont enfin pouvoir reposer en paix avec un nom sur leur tombe. Et que justice, même tardive, finit souvent par frapper à la porte.
Personnellement, ce genre d’histoire me glace le sang. On parle de 27 ans d’attente pour une mère et sa fille. Vingt-sept Noël sans réponse, vingt-sept anniversaires oubliés. Et puis un jour, un coup de filet en Floride, et tout bascule. Preuve que la persévérance des enquêteurs et les progrès de la science finissent, presque toujours, par payer.
Affaire à suivre, évidemment. Parce que maintenant que le suspect est derrière les barreaux, les langues vont peut-être se délier. Et qui sait quelles autres zones d’ombre cette arrestation va éclairer…
