Imaginez la scène : vous êtes à Pékin, à des milliers de kilomètres du front ukrainien, et pourtant c’est bien de la guerre en Europe dont on parle. Emmanuel Macron, en pleine visite d’État en Chine, choisit ce décor pour envoyer un message clair, presque solennel. L’unité entre l’Europe et les États-Unis ? « Indispensable ». L’effort de guerre ? À maintenir, voire à renforcer. La pression sur Moscou ? À accentuer. Difficile de faire plus direct.
Dans un contexte où Donald Trump s’apprête à reprendre les clés de la Maison-Blanche avec l’idée affichée de « terminer la guerre » en quelques semaines, ces mots prennent une résonance particulière. On sent presque le président français poser une ligne rouge : pas question de lâcher l’Ukraine, même si Washington change de cap.
Un message à double détente depuis Pékin
Pourquoi parler si fort depuis la Chine ? La réponse est assez simple. Pékin est aujourd’hui l’un des rares capitals capables d’influencer – un peu – Moscou. La Russie dépend économiquement de son « partenaire sans limites » chinois. Acheter du pétrole et du gaz à prix cassés, contourner les sanctions via des circuits parallèles, obtenir des composants électroniques… Tout passe en grande partie par là.
En venant discuter avec Xi Jinping, Macron joue donc sur deux tableaux. D’abord, rappeler à la Chine qu’elle a une responsabilité dans la durée du conflit. Ensuite, montrer que l’Europe ne se résigne pas à un rôle de spectatrice pendant que Trump et Poutine discuteraient éventuellement en tête-à-tête.
« Il est indispensable que nous restions unis avec nos partenaires américains et que nous maintenions l’effort de guerre tout en accroissant la pression sur l’économie russe. »
Emmanuel Macron, Pékin, 5 décembre 2025
Cette phrase, prononcée devant la presse, n’est pas anodine. Elle arrive au moment exact où les spéculations vont bon train sur la future position américaine. Trump a répété vouloir « arrêter cette folie » et a même laissé entendre que l’Ukraine devrait peut-être céder du terrain. Des déclarations qui font frémir en Europe.
L’Europe face au risque d’un désengagement américain
Depuis 2022, les États-Unis ont été le premier soutien militaire et financier de Kiev. Plus de 70 milliards de dollars d’aide rien que de leur part. L’Europe, dans son ensemble, a suivi, mais avec des contributions très inégales selon les pays. Si demain Washington réduit drastiquement son effort, l’équation change radicalement.
Macron le sait. Tout le monde le sait. D’où cette volonté affichée de « maintenir l’effort de guerre ». Traduction concrète : continuer à livrer des armes, former des soldats ukrainiens, financer la reconstruction, et surtout ne pas relâcher les sanctions.
- Livraisons de Caesar, de Scalp/Storm Shadow, de missiles anti-aériens
- Formation de dizaines de milliers de militaires ukrainiens sur le sol européen
- Gel de centaines de milliards d’avoirs russes
- Plafond sur le prix du pétrole russe
- Exclusion partielle du système Swift
Tous ces leviers, l’Europe les a actionnés. Mais elle sait aussi qu’elle n’a pas – encore – la capacité de remplacer totalement les États-Unis sur le plan militaire.
La Chine, arbitre malgré elle ?
En parallèle, le président français a glissé une phrase qui a surpris : il existerait « une volonté de la Chine de contribuer à la paix ». Vraiment ? Officiellement, Pékin se pose en médiateur neutre et a présenté un plan en 12 points il y a deux ans. Dans les faits, la Chine n’a jamais condamné l’invasion russe et continue de fournir un soutien économique massif à Moscou.
Mais les temps changent. L’économie chinoise ralentit, l’Europe représente toujours un marché crucial, et Xi Jinping n’a aucun intérêt à voir le conflit s’éterniser indéfiniment. Certains diplomates estiment que Pékin pourrait, le moment venu, exercer une pression réelle sur Poutine pour accepter un cessez-le-feu.
Macron semble vouloir croire – ou faire semblant de croire – à cette possibilité. C’est en tout cas l’argument qu’il avance pour justifier le dialogue avec la Chine, malgré les critiques de ceux qui y voient une forme de naïveté.
Et maintenant, quelle stratégie pour 2026 ?
L’année qui s’ouvre s’annonce décisive. D’un côté, une administration Trump qui risque de pousser pour une sortie de crise rapide, quitte à entériner des gains russes. De l’autre, une Europe qui redoute de se retrouver seule face à une Russie revancharde.
Dans ce contexte, plusieurs scénarios se dessinent :
- Un accord négocié sous pression américaine, avec des concessions territoriales ukrainiennes
- Un gel du conflit sur la ligne de front actuelle, avec garanties de sécurité pour Kiev
- Une poursuite de la guerre par inertie, l’Europe compensant un retrait partiel des États-Unis
- Une escalade inattendue (cyber, nucléaire tactique, incident en mer Baltique…)
Aucun de ces scénarios n’est réjouissant. Mais le message de Macron est clair : l’Europe doit se préparer à tous, et surtout ne pas baisser la garde.
Une défense européenne qui devient urgente
Derrière les déclarations martiales, il y a aussi une réalité plus profonde. L’Europe découvre, presque malgré elle, qu’elle doit apprendre à se défendre seule. Les discours sur « l’autonomie stratégique » datent d’avant la guerre, mais ils prennent aujourd’hui une tout autre dimension.
Augmenter les budgets défense (l’Allemagne est passée de 1,2 % à 2 % du PIB en quelques années), créer un fonds européen pour l’armement, réfléchir à une force de réaction rapide… Tout cela avance, lentement, mais sûrement.
Et puis il y a la question nucléaire. La France, seule puissance atomique de l’UE post-Brexit, repose la question de l’extension de sa dissuasion. Macron l’a déjà évoquée plusieurs fois. Sans aller jusqu’à partager la bombe, l’idée d’une protection élargie fait son chemin.
Ce que j’ai personnellement retenu
Ce qui me frappe dans cette séquence, c’est le contraste. D’un côté, un président français qui parle d’unité transatlantique alors même que cette unité vacille. De l’autre, une volonté affichée de ne rien lâcher, presque une forme de défi.
On sent que Paris veut incarner une forme de résistance européenne, au cas où. C’est courageux. C’est aussi risqué. Car si Trump décide vraiment de tourner la page ukrainienne, l’Europe se retrouvera devant un choix cornélien : suivre ou tenir bon, au prix d’une fracture historique avec Washington.
En attendant, la guerre continue. Les soldats ukrainiens tiennent toujours la ligne à Kourakhové, les drones russes frappent Odessa, et les civils meurent encore tous les jours. Derrière les grandes phrases diplomatiques, il y a cette réalité-là, brutale, implacable.
Et quelque part, c’est peut-être ça le plus important à retenir : tant que ces images continueront d’arriver sur nos écrans, l’Europe n’aura pas d’autre choix que de rester mobilisée. Coûte que coûte.
Alors oui, l’unité avec les Américains est indispensable. Mais peut-être que le vrai message de Macron, c’est que l’Europe doit aussi apprendre à marcher seule. Parce que demain, elle n’aura peut-être plus le choix.
