Imaginez la scène : une nuit claire, la lune presque trop grosse dans le ciel breton, et soudain des points lumineux qui dansent au-dessus d’un des endroits les plus secrets de France. Ce n’est pas un film d’espionnage. C’est arrivé jeudi soir, vers 19 h 30, à l’Île Longue.
Je ne sais pas vous, mais moi, quand j’entends « tir à balles réelles sur des drones au-dessus des sous-marins nucléaires », j’ai tout de suite l’estomac qui se serre. Parce que derrière l’anecdote technique se cache une question bien plus lourde : quelqu’un teste-t-il vraiment les nerfs de la dissuasion française ?
Ce qui s’est réellement passé dans la rade de Brest
Les faits sont simples, presque trop pour être anodins. Cinq appareils volants non identifiés pénètrent l’espace aérien interdit de la presqu’île de Crozon. Direction : la base opérationnelle des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE). En clair, l’endroit où dorment les missiles qui portent la frappe nucléaire française.
Le bataillon de fusiliers marins, ces gars qu’on appelle parfois les « commandos marine de garde », ne fait pas dans la demi-mesure. Alerte immédiate, déploiement du dispositif anti-drone, et tirs d’interception. Oui, vous avez bien lu : on a tiré à balles réelles sur des drones civils ou militaires au-dessus du sanctuaire le plus protégé du pays.
Le plus fou ? La pleine lune rendait la visibilité exceptionnelle. Les opérateurs ont vu les engins comme en plein jour. Aucun n’a été abattu (pour l’instant, on ne sait pas s’ils ont été touchés ou simplement mis en fuite), mais le message est clair : ici, on ne plaisante pas.
L’Île Longue, ce n’est pas n’importe quelle base
Pour ceux qui ne connaissent pas, un petit rappel s’impose. L’Île Longue, c’est le coffre-fort de la force de frappe française. Quatre SNLE de la classe Le Triomphant y sont entretenus, armés, ravitaillés. À tout moment, au moins un d’entre eux est en patrouille quelque part dans les océans, prêt à riposter si la France subissait une attaque nucléaire.
120 gendarmes maritimes et plusieurs centaines de fusiliers marins se relaient 24 h/24 pour protéger le site. Barrières infranchissables, radars, patrouilles armées, systèmes de brouillage… Et pourtant, des drones passent.
« On est formé pour répondre à tous les types de menaces, y compris les plus asymétriques », confiait il y a quelques mois un officier fusilier marin à un collègue. Ce soir-là, ils ont mis leurs entraînements en pratique.
Les survols de drones, une nouvelle normalité inquiétante
Ce n’est pas la première fois. Le 17 novembre déjà, un drone avait été signalé au-dessus de la presqu’île. Avant cela, d’autres incidents similaires autour de sites militaires sensibles en France et ailleurs en Europe.
Ce qui change, c’est la fréquence. Et surtout le culot. Survoler une base qui abrite l’arme absolue, c’est un peu comme sonner à la porte du Kremlin avec un haut-parleur. Ça ne passe pas inaperçu.
- Janvier 2025 : plusieurs drones au-dessus de la base aérienne 125 Istres
- Octobre 2025 : survols répétés de centrales nucléaires civiles
- Novembre : l’incident de Crozon
- 5 décembre : cinq drones simultanés sur l’Île Longue
Le schéma commence à être trop régulier pour être le fruit de simples curieux ou de pilotes distraits.
Qui peut bien faire ça, et pourquoi ?
Là, on entre dans le domaine des hypothèses. Mais certaines sont plus crédibles que d’autres.
Première piste, la plus évidente : l’espionnage. Un drone commercial modifié peut emporter une caméra haute définition, un capteur infrarouge, voire un petit système d’écoute. En quelques minutes de survol, on peut cartographier précisément les installations, repérer les horaires de garde, identifier les zones aveugles des radars.
Deuxième possibilité : le test de nos défenses. Envoyer des drones, même civils, pour voir comment réagit la chaîne de commandement. Combien de temps met-on à détecter ? À alerter ? À ouvrir le feu ? Des informations précieuses si un jour on voulait saturer les défenses avec une nuée plus importante.
Troisième option, plus psychologique : l’intimidation. Montrer qu’on peut approcher le cœur de la dissuasion sans être immédiatement abattu. Faire douter. Semer le trouble.
Et puis il y a la piste qu’on n’ose pas trop évoquer publiquement, mais qui trotte dans toutes les têtes : certains états ont les moyens techniques et l’intérêt stratégique de faire ce genre d’opérations. Je vous laisse deviner lesquels.
La réponse française : entre fermeté et discrétion
Ce qui m’a marqué, c’est le silence assourdissant des autorités après l’incident. Préfecture maritime, parquet, ministère des Armées : personne ne communique officiellement. Seule la gendarmerie a confirmé laconiquement les tirs.
C’est compréhensible. Parler trop, c’est reconnaître qu’on a été surpris. Parler trop peu, c’est laisser courir les rumeurs. Le juste milieu est compliqué.
Mais sur le terrain, les choses bougent. On parle de renforcement des moyens anti-drones : brouilleurs plus puissants, lasers d’interception, peut-être même des petits missiles sol-air dédiés. La Marine ne veut plus se contenter de « faire peur » aux intrus.
Et nous, simples citoyens, dans tout ça ?
On pourrait se dire que ça ne nous concerne pas directement. Après tout, l’Île Longue est à des centaines de kilomètres pour la plupart d’entre nous.
Et pourtant… La dissuasion nucléaire, c’est le parapluie qui nous protège tous. Si quelqu’un commence à le chatouiller sérieusement, c’est toute la sécurité nationale qui vacille.
Je trouve ça fascinant, et un peu flippant à la fois : à l’heure où on s’inquiète des cyberattaques ou des missiles hypersoniques, ce sont des petits drones à 500 euros qui viennent chatouiller le géant nucléaire. La guerre change de visage, et elle devient terriblement accessible.
Alors oui, les fusiliers marins ont tiré. Et ils referont sans hésiter. Mais la vraie question reste en suspens : combien de temps avant qu’un de ces engins ne soit plus un simple observateur ?
Parce que sous la super lune de décembre, dans le silence de la rade de Brest, on vient peut-être d’assister au premier acte d’une pièce dont personne ne connaît encore la fin.
