Il y a des voix qui marquent une génération entière. Quand j’étais gamin, dès que j’entendais « Your soul is mine » dans le salon, je savais que mon grand frère venait encore de lancer Mortal Kombat. Et cette voix, grave, menaçante, presque théâtrale, c’était celle de Cary-Hiroyuki Tagawa. Hier, en apprenant sa disparition à 75 ans, j’ai eu ce pincement au cœur bizarre qu’on ressent quand un bout de notre enfance s’en va définitivement.
Il n’était pas seulement Shang Tsung. Il était bien plus que ça. Et pourtant, pour des millions de fans, il restera à jamais ce sorcier au sourire carnassier qui aspirait les âmes dans l’arène. Difficile de faire plus iconique.
Un destin écrit entre deux mondes
Né à Tokyo en 1950 d’un père japonais militaire américain et d’une mère actrice de théâtre, Cary-Hiroyuki Tagawa a grandi à un carrefour culturel. Enfant, il déménage aux États-Unis, dans le Sud profond d’abord, puis en Californie. Imaginez un peu : un gosse nippo-américain dans les années 60, avec un accent, un nom imprononçable pour beaucoup, et une passion déjà visible pour le spectacle.
Il a souvent raconté combien il s’était senti différent. Mais cette différence, il en a fait une force. Après des études de théâtre, il enchaîne les petits rôles jusqu’à ce que Bernardo Bertolucci le repère pour Le Dernier Empereur en 1987. À 37 ans, il joue l’interprète de Puyi. Le film rafle neuf Oscars. Et lui, il entre dans la cour des grands.
« J’ai toujours été l’étranger. Mais au cinéma, être l’étranger, c’est parfois le rôle le plus intéressant. »
Cary-Hiroyuki Tagawa, dans une interview des années 2000
1995 : l’année où il devient une légende geek
Revenons un instant en 1995. J’avais 12 ans, le film Mortal Kombat sort au cinéma. À l’époque, adapter un jeu vidéo, c’était du jamais-vu. Tout le monde s’attendait au pire. Et puis il y a cette scène : Shang Tsung apparaît, drapé de noir et d’or, et balance sa réplique culte. La salle entière frissonne. L’acteur a 45 ans, une présence magnétique, un charisme froid. Il vole presque la vedette à tout le monde.
Ce qui est fou, c’est qu’il a accepté le rôle sans même connaître le jeu. Il a découvert Mortal Kombat en tournant. Et pourtant, il a compris immédiatement l’importance du personnage. Il a travaillé la voix, les gestes, le regard. Résultat : même dans le jeu Mortal Kombat 11, des années après, les développeurs utilisent encore sa ressemblance et sa voix pour certains skins. Preuve que l’impact était total.
- 1995 – Shang Tsung dans Mortal Kombat
- 1997 – Reprise du rôle dans Mortal Kombat : Destruction finale
- 2013 – Apparition dans la web-série Mortal Kombat: Legacy
- 2023 – Son visage utilisé dans Mortal Kombat: Onslaught
Quatre décennies plus tard, il était encore là. C’est rare, non ?
Au-delà du sorcier : une filmographie impressionnante
On réduit souvent Tagawa à Shang Tsung ou à Heihachi Mishima dans l’adaptation Tekken (2009), mais regardez un peu plus loin et vous tombez sur une carrière d’une richesse folle.
Il incarne des officiers japonais dans Pearl Harbor et Mémoires d’une geisha, un chef yakuza dans Soleil levant, un seigneur de guerre dans La Planète des singes (2001), un trafiquant dans Permis de tuer aux côtés de Timothy Dalton… Partout où il passe, il apporte cette intensité tranquille, ce mélange de menace et de dignité.
Et puis il y a The Man in the High Castle. De 2015 à 2019, il interprète Nobusuke Tagomi, le ministre japonais dans un monde où l’Axe a gagné la guerre. Là, fini le méchant de service. Tagawa livre une performance tout en nuances, presque spirituelle. C’est sans doute son rôle le plus profond, celui où il a pu montrer toute l’étendue de son talent.
« Tagomi était un personnage qui cherchait la paix dans un monde de violence. Jouer ça à mon âge, après tant de rôles de vilains, c’était une forme de rédemption. »
Un homme en quête de sens
Ce que beaucoup ignorent, c’est que Cary-Hiroyuki Tagawa s’était converti au christianisme orthodoxe russe en 2015. Il avait même pris la nationalité russe un temps, expliquant vouloir vivre dans un pays « qui défend les valeurs traditionnelles ». Il parlait souvent de spiritualité, de pardon, de l’importance de l’amour face à la haine.
Drôle de contraste avec l’image du sorcier maléfique, non ? Mais c’est peut-être ça qui rendait l’homme si fascinant : il avait joué les ténèbres toute sa carrière, et il cherchait la lumière dans sa vie.
Ses proches ont confié qu’il est parti entouré de sa famille, dans la paix. À Santa Barbara, là où il vivait ces dernières années, loin des projecteurs.
Un héritage qui ne mourra jamais
Aujourd’hui, les réseaux s’enflamment. Les hommages pleuvent du monde entier. Des joueurs de la première heure aux fans de la série Amazon, tout le monde y va de son souvenir. Parce que Tagawa, c’était ça : il transcendait les générations et les supports.
Personnellement, je trouve qu’on perd rarement un acteur capable de marquer à ce point deux mondes aussi différents que le cinéma et le jeu vidéo. Il était l’un des derniers ponts vivants entre ces univers.
Alors oui, Shang Tsung est immortel dans les jeux. Mais l’homme derrière le personnage, lui, nous a quittés. Et quelque part, ça fait bizarre de se dire qu’on ne le verra plus jamais surgir à l’écran avec ce sourire glaçant.
Merci pour tout, Cary. Tu as volé bien des âmes à l’écran… mais tu en as touché des millions dans le réel.
Repose en paix, maître.
