Imaginez-vous en train de vous balader dans un bois tranquille, l’odeur de la terre humide, le chant des oiseaux… et soudain, vous tombez sur une pancarte « Abattage autorisé – 600 arbres ». C’est exactement ce qui est en train de se passer à deux pas de La Rochelle, dans le bois de la Faucherie. Un coin de nature coincé entre l’agglomération et l’aéroport. Et là, patatras, la sécurité aérienne exige qu’on rase presque tout. Sauf que, miracle de dernière minute, le maire annonce qu’on ne touchera « que » 129 arbres. Vraiment ? Allons voir ça de plus près.
Un poumon vert dans le viseur de l’aéroport depuis des années
Le bois de la Faucherie, ce n’est pas n’importe quel bosquet. C’est l’un des derniers espaces boisés encore intact entre la ville et la plaine d’Aunis. Privé, oui, mais tellement privé qu’il appartient à une seule famille depuis des générations, mais tellement précieux pour la faune locale qu’on y croise des chauves-souris, des loriots d’Europe et même des coléoptères rares. Un vrai refuge, comme disent les naturalistes.
Problème : il jouxte la piste de l’aéroport La Rochelle – Île de Ré. Et depuis des années, la direction de l’aéroport répète la même antienne : ces arbres deviennent trop hauts, ils pénètrent la surface de décollage et d’approche. Pour la sécurité des vols, il faut couper. Point final.
En 2024, un accord avait été trouvé avec les propriétaires : 129 arbres à abattre. Tout le monde trouvait raisonnable. Et puis, au printemps 2025, l’Office national des forêts refait l’inventaire et tombe des nues : non, en réalité, il en faudrait près de 600 pour être vraiment tranquille. Autorisation préfectorale signée en octobre, discrètement, et c’était parti pour une coupe quasi rase avant le 15 février 2026.
« La compensation mettra 50 ans à produire ses effets ! La faune et la flore se développent sur des arbres anciens, pas sur des jeunes pousses. »
Belinda Revillon, présidente de l’association Ciel Vert
Quand l’écologie locale se réveille les consciences
Évidemment, l’annonce des 600 arbres a mis le feu aux poudres. Les réseaux sociaux s’enflamment, les pétitions tournent, les associations appellent à manifester. On parle de milliers de Rochelais prêts à venir défendre « leur » bois. Parce que oui, même si c’est privé, tout le monde se l’est approprié comme un bien commun.
Et là, timing parfait (ou calculé ?), à J-2 de la grande mobilisation prévue un dimanche matin, le maire, Thibaut Guiraud, sort du bois – si j’ose dire – avec une grande nouvelle : nouveau round de négociations, nouvel accord, et hop, on repasse à 129 arbres. Mieux : pour chaque arbre coupé, cinq seront replantés dans une zone de compensation toute proche.
Le maire parle de « solution équilibrée » et de « victoire obtenue de haute lutte ». Il assure qu’il n’a pas cédé à la pression de l’aéroport ni à celle des autres candidats aux municipales de 2026. Mouais… Disons que le calendrier fait sourire pas mal d’observateurs.
Les écologistes restent sur leurs gardes
Du côté des associations, on ne débouchonne pas le champagne tout de suite. La manifestation de dimanche est maintenue. On veut des garanties écrites, une contre-expertise indépendante, et surtout on repose la question de fond : est-ce qu’il n’existerait pas d’autres solutions que de couper des arbres centenaires ?
- Rehausser légèrement la trajectoire des avions ?
- Installer des balises répulsives pour les oiseaux ?
- Négocier avec les propriétaires pour une gestion forestière progressive plutôt qu’une coupe brutale ?
- Mettre en place un plan de gestion à long terme avec l’ONF qui préserverait à la fois la biodiversité ?
Jean-Marc Soubeste, conseiller municipal écologiste dans l’opposition, résume bien le sentiment général :
« Des milliers d’avions ont atterri ici sans problème, y compris celui du président de la République. Si le fort Boyard était à la place du bois, personne ne proposerait de le raser. Pourquoi un patrimoine vivant vaudrait-il moins ? »
Compensation écologique : gadget ou vraie solution ?
On nous promet donc cinq arbres plantés pour un abattu. Sur le papier, c’est joli. En pratique, c’est une autre paire de manches. Un jeune plant met des décennies à offrir le même service écologique qu’un arbre mature : ombre, stockage de carbone, habitat pour les espèces cavernicoles, régulation hydrique… Sans parler du sol forestier qui met des siècles à se structurer.
Les scientifiques sont formels : replanter ailleurs ne remplace pas un écosystème ancien. C’est un peu comme si on rasait Notre-Dame de Paris et qu’on proposait de reconstruire cinq églises neuves dans la campagne. Sympa, mais ce n’est pas pareil.
Un contexte politique explosif
Soyons honnêtes : on est à cinq mois des élections municipales. La Rochelle s’est autoproclamée « Territoire Zéro Carbone » ambition 2040, avec son maire en chef d’orchestre. Laisser abattre 600 arbres juste avant le scrutin, c’était prendre le risque de se faire laminé dans les urnes par les électeurs écolos – qui pèsent lourd dans cette ville.
Ce revirement soudain sent donc la manœuvre électorale à plein nez pour certains. D’autres y voient simplement la preuve que la mobilisation citoyenne paie. Peut-être un peu des deux, d’ailleurs. En politique, les miracles n’arrivent jamais tout seuls.
Et maintenant ?
La manifestation de dimanche aura lieu, c’est certain. Les associations veulent garder la pression pour obtenir des garanties solides. De son côté, la mairie promet que le nouvel accord sera officialisé rapidement et que les travaux ne commenceront pas avant validation définitive.
Moi, ce qui me frappe dans cette histoire, c’est à quel point elle résume parfaitement les dilemmes de notre époque : sécurité versus écologie, développement versus préservation, court terme versus long terme. Et surtout, la capacité – ou pas – des élus à tenir bon face aux lobbys quand l’opinion publique gronde.
Parce qu’au fond, 129 arbres ou 600, la question reste la même : avons-nous encore le droit de sacrifier ce qui reste de nature ancienne pour quelques vols supplémentaires ? Ou est-il temps d’inventer enfin une aviation compatible avec le vivant ?
À La Rochelle comme ailleurs, la réponse est entre les mains des citoyens qui marcheront dimanche. Et peut-être, entre vos mains à vous qui lisez ces lignes. Parce que oui, parfois, une forêt ça se défend. Arbre par arbre.
(Article rédigé le 5 décembre 2025 – l’histoire est en cours, je mettrai à jour si de nouveaux éléments tombent après la mobilisation de dimanche.)
