Vous est-il déjà arrivé de vous demander jusqu’où peut aller la haine quand un territoire entier est devenu une cocotte-minute ? Hier soir, dans le sud de la bande de Gaza, un homme a payé de sa vie le simple fait d’avoir osé défier le pouvoir en place. Yasser Abou Chabab, figure controversée d’une milice anti-Hamas, a été abattu en pleine rue. Et le plus troublant ? Tout le monde semble soulagé de sa disparition.
Un “règlement de comptes” qui sent la poudre… et la politique
L’histoire officielle est presque trop propre pour être vraie. Selon le communiqué de son propre groupe, les Forces populaires, Yasser Abou Chabab tentait de jouer les médiateurs dans un différend familial impliquant le clan Abou Sanimeh. Discussion qui tourne mal, coups de feu, et le chef finit à l’hôpital… en Israël, où il décède peu après. Version confirmée, étrangement, par des sources militaires israéliennes qui parlent d’un “affrontement interne” sans lien avec le Hamas.
Mais très vite, la famille Abou Sanimeh sort du bois et revendique carrément l’assassinat. Leur motif ? La trahison. Ils accusent Abou Chabab d’être devenu “un outil entre les mains de l’occupation”. Et ils promettent de s’en prendre au reste de son groupe. Autant dire que la guerre des clans est officiellement déclarée.
“C’est l’issue inévitable pour quiconque trahit son peuple et devient un pion de l’ennemi.”
– Communiqué du Hamas, sans revendication directe mais message clair
Qui était vraiment Yasser Abou Chabab ?
Né au début des années 90 à Rafah, il a d’abord un parcours classique de petit délinquant : contrebande via les tunnels, trafic de drogue, prison sous l’autorité palestinienne. Puis arrive la guerre d’octobre 2023. Profitant du chaos, il s’évade et refait surface à la tête d’un groupe armé qui se baptise Forces populaires.
Son discours ? Simple et efficace : “Nous combattons le Hamas qui affame le peuple et nous protégeons les Gazaouis.” Très vite, son mouvement – composé en grande partie de membres de tribus bédouines – se fait connaître pour deux choses :
- Des accrochages réguliers avec les forces du Hamas dans le sud
- Une présence remarquée dans les zones sous contrôle israélien après le cessez-le-feu d’octobre
En juillet dernier, il avait même accordé une interview à un média israélien (avant de se rétracter) où il expliquait pouvoir “se déplacer librement” dans les secteurs tenus par Tsahal et “informer l’armée de ses mouvements”. Des propos qui, à Gaza, valent une condamnation à mort.
Le business très lucratif de la “protection”
Car au-delà de l’idéologie, il y avait l’argent. Beaucoup d’argent. Depuis l’effondrement de l’autorité du Hamas dans certaines zones, l’aide humanitaire est devenue la principale ressource du territoire. Et qui contrôle les camions ? Les groupes armés.
De nombreux habitants de Rafah accusent les hommes d’Abou Chabab d’avoir racketté, voire pillé, des convois d’aide. Ce que son groupe a toujours nié, bien sûr. Mais quand votre survie dépend d’un sac de farine, vous n’oubliez pas facilement le visage de celui qui vous l’a pris.
“Il se présentait comme un protecteur du peuple, mais il volait la nourriture des enfants.”
– Témoignage anonyme recueilli à Rafah, été 2025
Israël dans l’équation : collaboration ou opportunisme ?
Voici la question qui brûle toutes les lèvres : est-ce qu’Israël a armé et soutenu ce groupe ? Officiellement, non. Le mouvement l’a toujours nié farouchement. Mais en juin 2025, un porte-parole militaire israélien avait reconnu, sans nommer personne, “soutenir des clans palestiniens opposés au Hamas”.
Et puis il y a ces images : des pick-up aux couleurs des Forces populaires circulant sans encombre dans les zones tenues par l’armée israélienne. Des checkpoints où les combattants d’Abou Chabab passent sans être fouillés. Des rumeurs de livraisons d’armes par drone la nuit.
Vrai ou faux ? Peu importe finalement. À Gaza, la perception vaut condamnation. Et pour beaucoup, Yasser Abou Chabab était devenu le symbole de la collaboration.
Et maintenant ? Vers une guerre des clans généralisée ?
Sa mort ne signe pas la fin des Forces populaires. Bien au contraire. Déjà, des messages de vengeance circulent. Le clan Abou Sanimeh a promis d’en “finir avec ce groupe renégat”. Dans le même temps, les hommes d’Abou Chabab jurent de venger leur “martyr héroïque”.
On risque d’assister, dans les prochaines semaines, à une explosion de violence interne dans le sud de la bande de Gaza. Une violence qui n’opposera plus seulement Palestiniens et Israéliens… mais Palestiniens entre eux.
- Le Hamas, affaibli militairement, pourrait profiter du chaos pour reprendre la main par la terreur
- Israël pourrait laisser faire, voire encourager discrètement, ces affrontements pour diviser encore plus le territoire
- Les grandes familles et tribus pourraient sortir leurs armes pour régler des comptes vieux de décennies
- L’aide humanitaire, déjà insuffisante, risque de devenir inaccessible dans certaines zones
En résumé : tout le monde a intérêt à ce que ça explose. Sauf les habitants, bien sûr.
Ce que cette mort nous dit de Gaza en 2025
Plus qu’un simple fait divers, l’assassinat de Yasser Abou Chabab est un révélateur brutal de l’état du territoire deux ans après le 7 octobre :
- L’autorité centrale (le Hamas) ne contrôle plus tout
- Les armes sont partout et les jeunes n’ont plus rien à perdre
- La survie prime sur l’idéologie
- La ligne entre résistance et collaboration est devenue floue, dangereusement floue
J’ai couvert ce conflit pendant des années, et je n’avais jamais vu une telle fragmentation. On passe d’un mouvement uni (même dans ses divisions) à une mosaïque de seigneurs de guerre locaux. C’est le Liban des années 80 qui recommence, mais en accéléré.
Et le plus triste dans tout ça ? Personne ne pleurera vraiment Yasser Abou Chabab. Ni ses ennemis, ni ses prétendus alliés. Il aura été un symptôme, pas une solution. Juste un homme qui a cru pouvoir jouer sur tous les tableaux… et qui a fini par perdre sur chacun d’eux.
Dans quelques jours, on parlera sans doute d’un nouveau “chef anti-Hamas” émergent. Avec le même discours. Les mêmes promesses. Et probablement la même fin.
Parce qu’à Gaza, en 2025, défier le pouvoir vous rend célèbre pour un temps. Mais ça vous rend surtout mort très vite.
