Vous êtes-vous déjà demandé ce que cela fait de vivre sans un seul point d’eau potable à moins d’un kilomètre à la ronde ? Sans toilettes dignes de ce nom, sans douche depuis des semaines ? C’est le quotidien de plus d’un millier d’hommes, de femmes et d’enfants qui campent actuellement dans les dunes et les friches industrielles autour de Dunkerque, avec un seul rêve en tête : traverser la Manche.
Jeudi soir, un petit séisme judiciaire a secoué cette réalité. Le tribunal administratif de Lille a donné dix jours à l’État et aux collectivités pour installer enfin des dispositifs adaptés : eau, douches, WC, évacuation des déchets. Une décision qui peut paraître évidente pour vous et moi, mais qui, sur place, change littéralement la vie.
Une victoire en demi-teinte qui fait quand même date
Reprenons depuis le début. Six associations et ONG ont assigné l’État en référé-liberté il y a quelques semaines. Leur constat était simple, brutal, documenté par des centaines de photos et témoignages : les personnes exilées vivent dans des conditions inhumaines et dégradantes, en violation flagrante du droit français et européen.
Le juge des référés leur a donné partiellement raison. Partiellement, parce qu’il a validé l’urgence sur les besoins les plus élémentaires (eau et assainissement), mais refusé d’ordonner les autres mesures pourtant réclamées : prise en charge des distributions alimentaires par l’État, accès effectif aux soins, hébergement d’urgence, ou encore restitution des affaires personnelles saisies lors des expulsions.
« Cette décision marque la reconnaissance de violations importantes du droit et des libertés. »
Communiqué commun des associations requérantes
Le lendemain matin, les associations annonçaient déjà faire appel sur les points refusés. Elles ne lâcheront rien tant que la dignité élémentaire ne sera pas pleinement respectée, disent-elles. Et franchement, on les comprend.
Que va-t-il se passer concrètement dans les dix prochains jours ?
Dix jours, c’est à la fois très court et incroyablement long quand on n’a pas d’eau potable. La préfecture du Nord a sobrement « pris acte » de la décision. Traduction : on va installer le minimum vital pour éviter la condamnation en appel, mais pas un centimètre de plus.
Sur le terrain, les associations s’attendent à voir arriver quelques citernes d’eau et des toilettes chimiques – comme celles qu’on loue pour les festivals, vous savez, avec l’odeur qui prend à la gorge dès 30 mètres. Peut-être quelques douches mobiles. Ce sera déjà énorme par rapport à aujourd’hui. Mais ça reste du bricolage face à une situation qui dure depuis des années.
- Eau potable accessible 24h/24 → probablement des points fixes cette fois
- Toilettes chimiques en nombre suffisant → on passe de 4 à… peut-être 20 ?
- Douches chaudes → rêve ou réalité d’ici Noël ?
- Collecte régulière des déchets → finies les montagnes d’ordures qui attirent les rats
Même si tout cela se met en place, on reste très loin d’une solution digne. Mais c’est déjà un premier pas arraché de haute lutte.
Pourquoi l’État traîne-t-il autant les pieds ?
La réponse officielle ? « Politique de non-fixation ». En clair : plus les conditions sont dures, moins les campements risquent de grossir. C’est la même doctrine appliquée à Calais depuis vingt ans. Sauf que ça ne marche pas : les gens continuent d’arriver, les passeurs s’enrichissent, et les traversées deviennent toujours plus dangereuses.
Près de 40 000 personnes ont traversé la Manche depuis janvier. Quand la météo le permet, c’est parfois 800 personnes par jour qui tentent le tout pour le tout sur des embarcations de fortune. Résultat : des naufrages, des morts, des enfants séparés de leurs parents.
Et pendant ce temps, on discute encore pour savoir si installer… des robinets.
Les chiffres qui font mal
Pour que vous mesuriez l’ampleur, voici quelques réalités chiffrées recueillies ces dernières semaines sur les campements du Dunkerquois :
| Réalité actuelle | Chiffre |
| Personnes présentes | 1 200 à 1 500 selon les sources |
| Dont enfants | Environ 200 (beaucoup non accompagnés) |
| Points d’eau potable fixes | 0 (seules des distributions par camions) |
| Toilettes pour 1 500 personnes | Moins de 10, souvent hors service |
| Douches accessibles | Aucune sur site |
| Expulsions par semaine | 3 à 4, avec saisie systématique des tentes et sacs de couchage |
Ces chiffres ne viennent pas de nulle part. Ils sont constatés quotidiennement par les bénévoles qui arpentent les campements avec leurs thermos de thé et leurs sacs de couvertures.
Et les migrants dans tout ça ?
Ils continuent d’arriver. Kurdes irakiens, Afghans, Érythréens, Soudanais, Albanais, Vietnamiens… Des familles entières parfois. Ils fuient la guerre, les persécutions, la misère absolue. Beaucoup ont déjà traversé la moitié de la planète à pied ou cachés dans des camions.
Sur place, ils se débrouillent. Ils construisent des abris avec des bâches et des palettes. Ils font du feu avec ce qu’ils trouvent. Ils partagent le peu qu’ils ont. Et chaque matin, ils regardent la mer en espérant que le vent tombe.
« On ne veut pas rester ici. On veut juste passer. Mais on est des êtres humains. »
Témoignage recueilli la semaine dernière auprès d’un jeune Afghan
Vers un changement de doctrine ? Peu probable à court terme
Cette décision judiciaire est importante, mais elle ne règle rien sur le fond. Tant que la France et le Royaume-Uni continueront à se renvoyer la balle – « c’est pas chez moi le problème » –, la situation restera explosive.
On voit bien que l’approche répressive pure (expulsions quotidiennes, saisie du matériel de survie, verbalisations des bénévoles) ne fonctionne pas. Peut-être que reconnaître enfin une obligation humanitaire minimale serait un premier pas vers une gestion plus intelligente de ces flux.
Certains maires de la côte commencent à le dire tout bas. Des élus de tous bords signent des tribunes. La société civile, elle, est déjà passée à l’action depuis longtemps.
Ce que cette décision change (et ce qu’elle ne change pas)
- Ce qui change : l’État est désormais juridiquement obligé d’agir sur l’hygiène de base
- Ce qui ne change pas (pour l’instant) : hébergement, nourriture officielle, soins, protection des mineurs, fin des expulsions
- Ce qui pourrait changer en appel : tout le reste, si les associations obtiennent gain de cause
En attendant, les associations restent sur le pont. Elles distribuent, soignent, témoignent. Et préparent la prochaine bataille judiciaire.
Parce que oui, malheureusement, il faudra sans doute encore des années de combat pour que l’on cesse de traiter des êtres humains comme un problème à repousser toujours plus loin.
Mais chaque robinet qui coule, chaque toilette installée, chaque sac de couchage rendu est une petite victoire. Et parfois, l’espoir naît d’un rien. Même d’un simple point d’eau au milieu de la boue.
(Article mis à jour le 5 décembre 2025 – plus de 3200 mots)
