Vous êtes-vous déjà demandé jusqu’où peut aller la miséricorde d’une cour d’assises ?
Quand l’accusé est déjà condamné par son propre corps, quand la victime elle-même ne hurle plus vengeance mais seulement fatigue, quand une mère supplie qu’on lui rende son fils parce que « son corps est déjà en prison »… que reste-t-il à punir ?
J’ai suivi ce procès. Et franchement, deux jours après, j’y pense encore. Parce que c’est le genre d’histoire qui vous retourne l’estomac et qui, en même temps, vous oblige à reposer toutes vos certitudes sur la justice pénale.
Un faits divers qui dépasse l’entendement
Tout commence comme des milliers de séparations douloureuses. Un couple qui se déchire. Lui, 29 ans à l’époque, sans histoire, jamais connu des services de police. Elle, sa compagne depuis plusieurs années. Et puis la rupture, brutale, définitive.
Un soir d’octobre, à Brétigny-sur-Orge, il attend qu’elle sorte de chez elle. Il surgit, arme au poing. Un revolver 357 Magnum. Il tire. Une fois ? Deux fois ? Les témoins parleront d’un bruit assourdissant. Elle s’effondre, grièvement blessée mais vivante. Lui remonte en voiture, fonce sur l’A86, colle le canon sur sa tempe et presse la détente.
Le véhicule fait plusieurs tonneaux. Les pompiers le retrouvent inconscient, le visage en sang, une partie du crâne emportée par la balle. Miracle : il respire encore.
Deux ans plus tard : l’accusé ne se souvient de rien
Lorsqu’il comparait enfin devant la cour d’assises de l’Essonne, l’homme que l’on pousse en fauteuil roulant n’a plus grand-chose à voir avec le jeune homme athlétique d’avant. Hémiplégique côté gauche. Parole difficile. Visage reconstruit à la va-vite. Et surtout : une amnésie totale des faits.
Les experts sont unanimes : l’amnésie est authentique. Le lobe frontal a été littéralement pulvérisé par la balle. Il ne simule pas. Il ne se souvient ni de la séparation, ni de la dispute, ni du coup de feu, ni même parfois du prénom de sa propre mère.
« Je ne sais pas pourquoi je suis là. On me dit que j’ai fait quelque chose de grave, mais je ne m’en souviens pas. »
L’accusé, voix hésitante, lors de son interrogatoire
Ce moment où il prononce ces mots, la salle entière retient son souffle. Même l’avocat général baisse les yeux. C’est rarissime aux assises de voir un accusé incapable de se défendre autrement que par le silence de sa mémoire détruite.
Une victime qui ne demande plus vengeance
Elle est là, elle aussi. Assise au premier rang des parties civiles. Les cicatrices encore visibles. Le regard éteint. Elle parle d’une voix monocorde, comme si elle récitait une histoire qui ne lui appartenait plus tout à fait.
Elle raconte la peur. Les menaces avant le drame. Le bruit de la détonation. Et puis… plus rien. Le trou noir. Le réveil à l’hôpital. Les mois de rééducation. Les cauchemars. Mais jamais elle ne hurle. Jamais elle ne réclame la tête de son ex-compagne.
À la barre, elle lâche simplement : « Je veux juste tourner la page. Je ne dors plus, je ne vis plus, mais je ne veux pas qu’il pourrisse en prison. Il est déjà puni. »
Ce témoignage désarme tout le monde. Même les journalistes les plus endurcis. On sent que la haine a laissé place à une immense lassitude.
Quinze ans requis, cinq ans prononcés… dont un seul ferme
L’avocat général, pourtant réputé sévère sur les violences conjugales, ne peut pas ignorer l’état de l’accusé. Il requiert quinze ans, mais on sent que le cœur n’y est pas complètement. Il parle de « responsabilité pénale malgré tout », de « signal à la société », mais ses mots sonnent presque comme une formalité.
Puis vient le délibéré. Cinq ans de prison, dont quatre avec sursis probatoire. Soit, en clair, un an ferme. Et surtout : pas de mandat de dépôt. L’accusé repart avec sa mère. Chez lui. En fauteuil roulant.
Dans la salle, personne n’ose applaudir ni protester. On reste sonné. La mère pleure en silence. La victime reste immobile. Les avocats rangent leurs dossiers sans un mot.
- Peine maximale encourue : réclusion criminelle à perpétuité
- Réquisition du parquet : 15 ans
- Peine prononcée : 5 ans dont 4 avec sursis
- Temps déjà passé en détention provisoire : environ 10 mois
- Conséquence concrète : sortie immédiate du palais de justice
La justice peut-elle encore punir un corps déjà brisé ?
C’est la question qui hante tout le monde après ce verdict.
D’un côté, on peut hurler à la clémence scandaleuse. Une tentative d’assassinat, même ratée, même suivie d’une tentative de suicide, reste une tentative d’assassinat. La victime vivra toute sa vie avec des séquelles. Le message envoyé aux auteurs de violences conjugales peut paraître terrifiant : « Si tu rates ton coup et que tu te flingues juste après, tu t’en sors bien. »
Mais de l’autre côté… comment ignorer l’évidence ? L’homme est déjà condamné à vie. Il ne remarchera probablement jamais correctement. Il ne se souviendra jamais de ses enfants (il en avait, semble-t-il, d’une précédente union). Il dépendra de sa mère jusqu’à sa mort. Sa vie d’avant est rayée de la carte.
Un expert psychiatre l’a dit crûment à la barre : « Monsieur a déjà exécuté sa propre peine de mort sociale et physique. La prison ne lui enlèverait rien qu’il possède encore. »
Un procès sans haine, une première pour moi
En quinze ans à couvrir des assises, je n’avais jamais vu ça. Pas une insulte. Pas un regard noir. Pas de larmes rageuses. Juste une immense tristesse partagée.
La mère de l’accusé et la victime se sont même croisées dans un couloir. Elles se sont regardées. Longtemps. Sans hostilité. Comme deux femmes qui portent le même fardeau.
Ce moment m’a plus marqué que tous les cris du monde.
Et maintenant ?
L’accusé va rentrer chez sa mère. Suivi socio-judiciaire obligatoire, soins, interdiction d’approcher la victime, remise du moindre arme… les classiques du sursis probatoire. Mais concrètement, il est libre.
La victime, elle, va continuer sa reconstruction. Seule. Avec ses nuits blanches et ses flashs.
Et nous, on reste avec cette impression bizarre que la justice, parfois, ne sait plus où placer le curseur entre punition et humanité.
Personnellement, je ne sais pas si ce verdict est juste ou scandaleux. Je sais seulement qu’il est humain. Et peut-être que, dans certains cas extrêmes, c’est déjà énorme.
Si vous avez vécu ou suivi des affaires similaires, si vous avez un avis tranché ou au contraire complètement perdu comme moi, dites-le en commentaire. Parce que franchement, cette histoire mérite qu’on en parle encore longtemps.
