Imaginez-vous à 3h24 du matin, après des semaines de débats interminables, envoyer un tweet pour supplier les députés de voter votre budget. C’est exactement ce qu’a fait le Premier ministre ce samedi. Et franchement, on comprend pourquoi : tout se joue mardi, et rien n’est gagné.
Un budget de la Sécu sous très haute tension
Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2026 (PLFSS) arrive à son dénouement. Après des nuits blanches et des centaines d’amendements, l’Assemblée nationale a terminé l’examen des articles dans la nuit de vendredi à samedi. Le vote solennel sur l’ensemble du texte est programmé mardi. Et cette fois, le gouvernement a décidé de jouer cartes sur table : pas de 49.3. Tout repose donc sur la « conscience » des députés.
Autant dire que la pression est maximale.
La grande victoire symbolique : la réforme des retraites suspendue
Le point le plus spectaculaire, c’est évidemment le rétablissement de la suspension de la réforme des retraites. Le Sénat l’avait supprimée, l’Assemblée l’a remise vendredi soir par 162 voix contre 75. Un camouflet pour la chambre haute et un cadeau empoisonné (ou pas) pour la gauche qui avait conditionné sa non-censure du gouvernement à cette mesure.
« La parole donnée est tenue »
Sébastien Lecornu, sur les réseaux sociaux
En clair, le gouvernement accepte de mettre en pause la réforme portée il y a deux ans. Un recul stratégique pour éviter une motion de censure, mais qui risque de peser lourd dans les comptes à long terme.
Le gel des pensions et minima sociaux définitivement enterré
Autre mesure explosive rejetée une seconde fois : le gel des pensions de retraite et des minima sociaux. Les députés ont dit non massivement, comme en première lecture. Le Sénat avait tenté de la réintroduire partiellement, peine perdue.
Résultat ? Le déficit prévisionnel de la Sécu explose. On parle désormais de 22,5 milliards d’euros pour 2026, hors transferts exceptionnels de l’État vers les caisses. L’objectif initial était à 20 milliards. Deux milliards et demi d’écart qui font grincer des dents, même dans la majorité relative.
« Le grand perdant de la soirée, c’est le déficit de la Sécurité sociale »
Frédéric Valletoux, président de la commission des Affaires sociales
Un Ondam rehaussé à la dernière minute
Pour calmer les esprits, la ministre de la Santé a promis un geste : l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (l’Ondam) pourrait passer de +2 % à +3 %. Un effort bienvenu quand on sait que les hôpitaux et les professionnels de santé hurlaient au sous-financement.
Mais est-ce suffisant ? Clairement pas pour tout le monde. Beaucoup estiment que même 3 % reste en deçà des besoins réels, surtout avec l’inflation médicale et le vieillissement de la population.
Lecornu vend « le meilleur budget possible »
À 3h24 précises, le Premier ministre a publié un long message sur les réseaux. Ton inhabituellement direct, presque implorant :
« Ce budget n’est pas parfait, mais il est le meilleur budget possible (…). Chacun peut maintenant endosser ce texte. Ce n’est pas le texte du gouvernement, ni celui d’un parti politique, mais une avancée voulue par le Parlement. »
En gros : « J’ai lâché du lest partout, maintenant à vous de jouer. » Stratégie risquée, car rien ne garantit que les oppositions de gauche voteront le texte final, même avec la carotte retraites.
Et si le budget était rejeté ?
Le scénario noir, c’est l’absence de budget voté. Lecornu l’a répété plusieurs fois cette semaine : ce serait une « perte de contrôle total du pilotage de la Sécurité sociale ». Reconduction des règles 2025, impossibilité de mettre en œuvre les nouvelles mesures, pagaille dans les caisses.
Personne n’a envie de ça. Même les plus critiques reconnaissent qu’un vide juridique serait dramatique pour les hôpitaux, les retraites, les allocations familiales…
- Pas de revalorisation claire des pensions
- Gel de fait de certaines aides
- Impossibilité de lancer de nouvelles politiques de santé
- Risque sur le remboursement des soins courants
Bref, un cauchemar administratif et politique.
Les réformes par décret en embuscade
Attention cependant : Lecornu n’a pas dit son dernier mot. Il a laissé entendre que, budget voté ou pas, certaines réformes structurelles pourraient passer par décret après concertation. Il a notamment cité la « bureaucratie médicale » – comprendre la simplification des actes médicaux et la lutte contre les arrêts de travail abusifs.
Une façon de dire : « On a lâché sur les retraites, mais on ne lâchera pas tout. »
Ce qui se joue vraiment mardi
Au-delà des chiffres, c’est la capacité du Parlement à légiférer dans un contexte de majorité relative qui est en jeu. Depuis 2022, chaque budget est une épreuve. Cette fois, le gouvernement a choisi la voie du compromis jusqu’au-boutiste plutôt que la force du 49.3.
Résultat ? Un texte profondément modifié, presque méconnaissable par rapport à la version initiale, mais qui porte la marque de tous les groupes (ou presque). Une forme de co-construction forcée qui pourrait devenir la norme des années à venir.
Est-ce une victoire pour la démocratie parlementaire ou le signe d’une impotence chronique ? L’histoire le dira. En attendant, mardi soir, on saura si les députés ont préféré l’intérêt général… ou les calculs politiciens à dix-huit mois des municipales et à deux ans de la présidentielle.
Une chose est sûre : rarement un budget de la Sécu n’aura été aussi incertain jusqu’à la dernière minute. Et rarement un Premier ministre n’aura autant joué son va-tout sur la « conscience » des élus.
On croise les doigts. Ou pas.
