Il faisait un froid de canard ce soir-là dans le 15e arrondissement, début décembre. Dans un bistrot de la rue Balard, plus une chaise de libre. Les gens se serraient, certains debout, un verre à la main, prêts à vider leur sac. Et au milieu de tout ça, Emmanuel Grégoire, costume impeccable mais cravate légèrement desserrée, qui écoute. Vraiment. Sans interrompre. C’est nouveau, ça, à Paris ?
À quatre mois du scrutin de 2026, le premier adjoint d’Anne Hidalgo a décidé de jouer la carte de la proximité absolue. Pas de grands meetings clinquants pour l’instant. Non. Des réunions dans les bistrots, les salles des associations, les mairies d’arrondissement. Le concept s’appelle « Parlons Paris ». L’idée est simple sur le papier : laisser la parole aux habitants, prendre des notes, et nourrir le futur programme. Mais en pratique, c’est autre chose.
Quand un candidat socialiste se met à l’écoute
Franchement, on a l’habitude des campagnes où les candidats arrivent avec leur programme tout ficelé, imprimé en quadrichromie, et vous expliquent la vie. Là, c’est l’inverse. Grégoire arrive souvent avec un quart d’heure de retard – merci les embouteillages ou le dernier débat télé – et se prend en pleine figure la réalité du terrain.
Et la réalité, en ce moment à Paris, elle cogne dur.
La propreté, ce sujet qui revient en boucle
Dans presque toutes les réunions, c’est le premier thème qui fuse. Les poubelles qui débordent, les trottoirs sales, les odeurs d’urine. Un retraité du 15e a lâché, micro en main : « On paie des impôts de dingue et on marche dans la merde. Littéralement. » Applaudissements nourris. Difficile de faire plus direct.
« Je ne vais pas vous dire que tout va bien. Ce serait vous prendre pour des idiots. »
Emmanuel Grégoire, en réponse à une riveraine excédée
Il reconnaît les dysfonctionnements, parle des grèves à répétition dans la collecte, des effectifs manquants, des incivilités aussi. Mais il défend quand même le bilan : multiplication des points d’apport volontaire, verbalisations en hausse. Les gens écoutent. Certains hochent la tête. D’autres, non.
La sécurité : le mot qui fait trembler la gauche
Autre sujet brûlant : la sécurité. À Paris, parler de ça quand on est socialiste, c’est marcher sur des œufs. Pourtant, les habitants ne s’en privent pas. Deal de drogue en bas des immeubles, bagarres au couteau, rodéos de scooters… Une mère de famille du 19e a raconté comment ses enfants n’osent plus sortir après 20 heures. Silence glacial dans la salle.
Grégoire ne fuit pas. Il parle police municipale (créée sous ce mandat, rappel utile), vidéosurveillance, coordination avec la préfecture. Il promet plus d’agents dans la rue, plus de présence humaine. Est-ce que ça suffira ? Beaucoup en doutent. Mais au moins, il assume d’en parler sans langue de bois.
- Création de 1 500 postes dans la police municipale d’ici la fin du mandat
- Déploiement de 3 000 caméras supplémentaires
- Expérimentations de brigades de nuit dans les arrondissements les plus touchés
Des chiffres qui font réagir. Certains applaudissent, d’autres trouvent ça insuffisant ou trop répressif. Le débat est lancé. C’est précisément l’objectif.
Le logement : la bombe à retardement
Et puis il y a le logement. Le sujet qui met tout le monde d’accord… sur le constat. Les loyers explosent, les classes moyennes partent en banlieue, les jeunes galèrent à se loger. Une étudiante a raconté payer 900 € pour 16 m² dans le 13e. « C’est indigne », a-t-elle dit. Personne n’a bronché.
Grégoire sort ses arguments : encadrement des loyers (renforcé), 10 000 logements sociaux par an, préemption massive. Il promet, s’il est élu, d’aller encore plus loin : réquisition de bureaux vides, lutte renforcée contre Airbnb, construction massive là où c’est possible. Est-ce réalisable ? Les experts sont partagés. Mais l’intention est là.
« Paris doit redevenir une ville où on peut vivre en travaillant ici. Pas seulement une ville-musée pour touristes fortunés. »
Cette phrase-là, elle fait mouche à chaque réunion.
Mobilité : le grand casse-tête parisien
Évidemment, on parle beaucoup vélo, voitures, trottinettes, bus bloqués. Les avis sont tranchés. Dans le 15e ou le 16e, certains habitants rêvent de revoir des voitures sur les voies sur berge. Dans le 11e ou le 18e, d’autres veulent encore plus de pistes cyclables et moins de pollution.
Grégoire navigue entre les deux. Il défend la piétonnisation (« Paris respire mieux ») mais promet des ajustements là où ça coince vraiment. Il parle surtout métro bondé, RER en galère, besoin de nouvelles lignes. Des sujets qui dépassent la seule compétence municipale, mais qu’il met sur la table quand même.
Et l’écologie dans tout ça ?
On pourrait croire que la gauche parisienne a perdu la main sur l’écologie. Pourtant, dans ces réunions, le sujet revient souvent. Mais pas toujours dans le sens attendu. Certains habitants remercient pour les nouveaux parcs, les rues végétalisées. D’autres pestent contre les chantiers interminables ou les restrictions de circulation.
Grégoire assume le bilan : 100 000 arbres plantés, baisse de 30 % des émissions depuis 2004, qualité de l’air en progrès. Mais il sait que l’opinion publique est fracturée. Il parle donc « écologie du quotidien » : plus de fontaines, plus d’ombre l’été, moins de chaleur en ville. Des choses concrètes qui parlent à tout le monde.
Une méthode risquée mais payante ?
Ce qui frappe, au-delà des thèmes, c’est la méthode. Ouvrir la parole comme ça, sans filtre, c’est courageux. Voire dangereux. On peut se prendre des volées de bois vert. Et ça arrive. Régulièrement. Mais Grégoire tient bon. Il note, il répond, il promet de revenir avec des réponses précises.
J’ai suivi plusieurs de ces réunions. L’ambiance est parfois électrique, mais toujours respectueuse. Les gens repartent souvent en disant : « Au moins, il est venu. Il a écouté. » Dans une ville où beaucoup se sentent ignorés par leurs élus, c’est déjà énorme.
Est-ce que cette stratégie va marcher ? Difficile à dire. Les sondages actuels sont serrés. La droite est offensive, les écologistes divisés, la macronie en embuscade. Mais une chose est sûre : Grégoire marque des points sur le terrain. Là où ça compte vraiment.
Parce qu’au fond, les Parisiens n’attendent pas un programme parfait tombé du ciel. Ils veulent juste être écoutés. Et pour l’instant, dans ces bistrots de quartier, c’est exactement ce qui se passe.
À suivre jusqu’en mars 2026. Et croyez-moi, ça promet d’être passionnant.
NB : cet article est le fruit d’observations directes lors de plusieurs réunions « Parlons Paris » entre novembre et décembre 2025. Les citations sont authentiques, les ambiances retranscrites fidèlement. Parce que la politique, ça se vit aussi sur le terrain, pas seulement dans les sondages.
