Imaginez-vous tranquillement installé avec des amis, une tasse de thé brûlant à la main, en train d’applaudir un combat de boxe thaï sur un vieil écran cathodique. Une soirée ordinaire dans un petit canton du centre de la Birmanie. Et puis, sans le moindre avertissement, le ciel vous tombe sur la tête. C’est exactement ce qui est arrivé vendredi soir à Tabayin, dans la région de Sagaing.
Un salon de thé pulvérisé : 18 morts en quelques secondes
Vers 20 heures, deux bombes larguées par l’aviation de la junte militaire se sont abattues sur le centre-ville. L’une d’elles a frappé de plein fouet un salon de thé bondé – ces lieux si typiques où les Birmans se retrouvent pour discuter, parier sur les matchs et simplement passer le temps. Le bilan est effroyable : 18 morts et une vingtaine de blessés graves.
« Dès que j’ai entendu les avions, je me suis jeté par terre. Le bruit était assourdissant. Quand j’ai relevé la tête, il y avait un énorme incendie au-dessus de moi… J’ai eu une chance incroyable d’être encore en vie. »
Témoignage d’un survivant recueilli sur place
Les secouristes, arrivés quinze minutes après l’explosion, décrivent une scène d’apocalypse : corps méconnaissables, maisons voisines rasées, odeur de chair brûlée. Sept personnes sont mortes sur le coup, onze autres ont succombé à l’hôpital dans les heures qui ont suivi.
Pourquoi Tabayin ? Pourquoi maintenant ?
Sagaing n’est pas n’importe quelle région. Depuis le coup d’État de février 2021, c’est devenu l’un des bastions de la résistance armée pro-démocratie. Des dizaines de milliers de jeunes y ont rejoint les People’s Defence Forces (PDF) et d’autres milices ethniques pour combattre la junte.
La frappe de vendredi n’est pas un « collatérale ». Elle s’inscrit dans une stratégie claire : terroriser les populations civiles dans les zones tenues ou contestées par la résistance, surtout à l’approche des élections législatives prévues le 28 décembre 2025 – les premières depuis le putsch.
La junte veut absolument organiser ce scrutin pour se donner une apparence de légitimité internationale. Problème : elle ne contrôle plus que 20 à 30 % du territoire selon les estimations les plus sérieuses. Alors elle bombarde, elle brûle, elle déplace des villages entiers pour vider les zones rebelles avant le vote.
Les élections de la honte
Parlons franchement : tout le monde ou presque considère ces élections comme une farce tragique. L’ONU a jugé leur tenue « inconcevable » dans les conditions actuelles. Des millions de personnes sont déplacées, des circonscriptions entières sont inaccessibles, et la junte a déjà annoncé qu’elle n’organiserait le vote que là où elle se sent en sécurité – autrement dit, presque uniquement dans ses fiefs.
- Aung San Suu Kyi toujours en prison (et en très mauvaise santé selon les dernières fuites)
- Des centaines de partis d’opposition dissous ou interdits
- Des candidats de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) arrêtés ou en exil
- Une surveillance numérique massive prévue le jour du scrutin
Dans ce contexte, les groupes armés – qu’ils soient pro-démocratie ou ethniques – ont juré de tout faire pour empêcher la tenue du vote dans les territoires qu’ils contrôlent. On sent déjà la température monter dangereusement.
Une guerre qui ne fait plus la une… mais qui continue de tuer
Ce qui me frappe le plus, c’est le silence relatif autour de cette guerre. Depuis quatre ans, la Birmanie vit un conflit d’une intensité rare : plus de 50 000 morts selon les estimations indépendantes, 3 millions de déplacés, des villages entiers rayés de la carte. Et pourtant, l’attention mondiale s’est largement détournée.
Je me souviens encore des manifestations monstres de 2021, des trois doigts levés, des casseroles frappées chaque soir à 20 h. Aujourd’hui, on en parle à peine. Comme si la lassitude avait gagné. Pourtant, sur le terrain, la détermination est intacte – des deux côtés, hélas.
La junte, elle, continue d’acheter des armes à tour de bras (Russie, Chine principalement), forme même des pilotes birmans), pendant que les résistants fabriquent des drones artisanaux et récupèrent des munitions sur l’ennemi.
Les civils, éternelles victimes
Ce qui rend cette frappe de Tabayin encore plus révoltante, c’est son caractère délibérément indiscriminé. Frapper un salon de thé un vendredi soir, c’est savoir qu’on va tuer des civils. Point final.
Et ce n’est pas un « accident ». Depuis 2021, les bombardements aériens sur des marchés, des écoles, des monastères, des salles de mariage se comptent par centaines. Des ONG parlent ouvertement de crimes de guerre, voire de crimes contre l’humanité.
« Les gens aiment se retrouver au salon de thé le vendredi soir pour regarder la boxe ou le foot. C’était un lieu de vie, pas un camp militaire. »
Un secouriste anonyme
Et maintenant ?
À trois semaines du scrutin, plusieurs scénarios sont possibles, et aucun n’est réjouissant :
- La junte accentue les bombardements pour « sécuriser » un maximum de zones avant le vote.
- Les résistances passent à des offensives majeures pour montrer que le pouvoir ne contrôle plus rien.
- Les élections ont lieu dans un chaos total, avec des résultats évidemment contestés par tout le monde sauf les généraux.
- L’ASEAN continue son splendide isolement et ses « dialogues » qui ne mènent à rien depuis quatre ans.
Une chose est sûre : la population birmane, déjà épuisée par des années de souffrance, va continuer à payer le prix fort.
Parfois, je me demande combien de salons de thé, combien d’écoles, combien de villages devront encore être réduits en cendres avant que le monde ne se réveille vraiment. Parce que là, franchement, on a dépassé depuis longtemps le stade de l’acceptable.
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