Vous souvenez-vous de votre première visite chez le dentiste ? Moi, j’avais sept ans et j’étais terrorisé. Aujourd’hui, les choses ont radicalement changé. Désormais, certains enfants découvrent le fauteuil (ou plutôt la petite chaise de l’école) dès la grande section de maternelle. Et franchement, quand on voit les chiffres des caries non soignées chez les plus petits, on se dit que c’était temps.
Un tournant majeur dans la prévention dentaire des tout-petits
Depuis quelques mois, le programme national baptisé M’T Dents a franchi un cap décisif. Exit le dépistage en CP, bonjour la grande section de maternelle. Pourquoi ce changement ? Tout simplement parce qu’à 5-6 ans, les premières dents définitives commencent à pointer le bout de leur émail, et qu’il est bien plus facile de prévenir que de courir après des caries déjà installées.
Le principe est limpide : une professionnelle de santé dentaire se déplace directement dans les écoles, surtout celles classées en réseau d’éducation prioritaire. Elle examine rapidement les enfants, donne quelques conseils d’hygiène et, surtout, remet aux parents un bon pour une consultation totalement gratuite chez le dentiste de leur choix. Et ce bon est valable chaque année jusqu’aux 18 ans de l’enfant. Autant dire une petite révolution.
Les chiffres qui font mal (aux dents)
On parle souvent des inégalités sociales, mais rarement avec des chiffres aussi brutales. À 6 ans, un enfant d’ouvrier a presque six fois plus de risques d’avoir une carie non soignée qu’un enfant de cadre. 23 % contre 4 %. Laissez-moi vous dire que derrière ces pourcentages, il y a des sourires abîmés, des douleurs inutiles et parfois des infections graves.
Et le pire ? Beaucoup de parents ne se rendent même pas compte du problème. Une petite tache brune sur une dent de lait ? « De toute façon, elle va tomber »… Sauf que les caries sur dents de lait peuvent contaminer les dents définitives juste en dessous. Et là, c’est parti pour des années de soins compliqués.
« On voit encore trop d’enfants arriver au cabinet avec des bouches en très mauvais état alors qu’un simple suivi précoce aurait tout changé », confie une chirurgienne-dentiste spécialisée en pédodontie que j’ai pu interroger récemment.
Comment se passe concrètement le dépistage à l’école ?
Imaginez la scène. Une bibliothèque ou une salle de classe transformée pour l’occasion. Des petites chaises, un tabouret pour la dentiste, un miroir et une lampe frontale. L’enfant arrive, parfois intimidé, souvent curieux. La professionnelle lui demande d’ouvrir « comme un lion » ou « comme un hippopotame » (les techniques varient selon l’imagination). En trente secondes, elle a fait le tour.
Pas de roulette qui vrombit, pas d’anesthésie, rien de traumatisant. Juste un examen visuel rapide et des conseils adaptés. Si tout va bien, l’enfant repart avec un petit diplôme « J’ai vu la dentiste et j’ai été super courageux ! ». Si quelque chose cloche, les parents reçoivent immédiatement l’information et le précieux bon de prise en charge à 100 %.
- Examen sans douleur ni stress
- Conseils personnalisés donnés à l’enfant et aux parents
- Bon M’T Dents remis systématiquement
- Orientation prioritaire si besoin de soins urgents
Pourquoi la maternelle et pas plus tôt ?
On pourrait se dire : pourquoi pas dès la petite section, voire à la crèche ? La réponse est à la fois pratique et scientifique. Avant 4-5 ans, beaucoup d’enfants ne tiennent pas encore assez longtemps immobiles pour un examen correct, et les toutes premières dents de lait n’ont pas encore toutes percé. En grande section, on arrive au moment parfait : l’enfant est assez grand pour coopérer, les premières molaires définitives arrivent, et on peut vraiment agir avant que les dégâts ne soient irréversibles.
D’ailleurs, saviez-vous que la première molaire définitive pousse souvent derrière les dents de lait, vers 6 ans ? Beaucoup de parents ne la voient même pas arriver. Résultat : elle se carie en silence pendant des mois. C’est exactement ce genre de piège que le nouveau dispositif veut éviter.
La consultation gratuite annuelle : le vrai game-changer
On a beau faire de la prévention à l’école, si les parents ne donnent pas suite, tout tombe à l’eau. C’est là qu’intervient le deuxième pilier du programme : chaque enfant, sans condition de ressources, a droit à une consultation gratuite par an chez le dentiste, de 3 à 18 ans. Détartrage, soins des caries, pose de vernis fluoré… tout est pris en charge à 100 % dans ce cadre.
Et ça marche. Dans les départements où le dispositif est bien implanté depuis plusieurs années, on observe déjà une baisse significative du taux de caries. Certains parlent même de la plus grande avancée en santé publique dentaire depuis la fluoration de l’eau (là où elle existe).
Les bons gestes à la maison : on ne le dira jamais assez
Évidemment, tout ne repose pas sur l’école et le dentiste. 80 % du travail se fait à la maison. Et là, il y a encore du boulot. Voici les règles d’or que tout parent devrait avoir en tête :
- Brossage deux fois par jour dès la première dent (oui, même une seule !)
- Dentifrice adapté à l’âge (500 ppm de fluor jusqu’à 3 ans, puis 1000-1500 ppm)
- Quantité de dentifrice : un grain de riz avant 3 ans, un petit pois après
- Les parents finissent toujours le brossage jusqu’à au moins 7-8 ans
- Pas de grignotage sucré entre les dents
- Première visite chez le dentiste dès 1 an ou dès l’apparition des premières dents
Petit aparté personnel : j’ai trois enfants, et je peux vous dire que le plus dur, c’est la régularité du soir. Quand on est crevé à 21 h, donner envie à un bout de chou de se brosser les dents pendant deux minutes relève parfois du miracle. Mais quand on voit le résultat quelques années plus tard – des dents saines et un enfant qui n’a pas peur du dentiste –, on se dit que ça valait le coup.
Et demain ? Vers une génération sans carie ?
Si le programme continue sur sa lancée, les experts estiment qu’on pourrait diviser par deux le taux de caries chez les enfants d’ici dix ans. Certains pays nordiques, qui ont mis en place des mesures similaires il y a trente ans, affichent aujourd’hui des taux proches de zéro chez les moins de 12 ans. Rien n’est impossible.
Ce qui est sûr, c’est que la France est en train de rattraper son retard. Longtemps à la traîne en matière de santé bucco-dentaire infantile (on était parmi les plus mauvais élèves d’Europe), on commence enfin à inverser la tendance. Et ça, ça fait plaisir à voir.
Alors la prochaine fois que votre enfant rentrera de l’école avec un petit papier « M’T Dents » dans le cartable, ne le rangez pas au fond d’un tiroir. Prenez rendez-vous. Parce que derrière ce simple geste, c’est tout l’avenir de son sourire qui se joue.
Et qui sait… peut-être que dans quelques années, la peur du dentiste ne sera plus qu’un vieux souvenir qu’on racontera aux enfants, comme on leur parle aujourd’hui du téléphone à cadran ou des cassettes audio.
En attendant, bravo à tous les professionnels qui se déplacent dans les écoles, aux enseignants qui facilitent ces actions, et aux parents qui jouent le jeu. Ensemble, on est en train d’écrire une belle page de santé publique. Et ça, ça mérite largement qu’on s’y attarde un peu.
