Vous souvenez-vous de la première fois où une chanson vous a littéralement scotché ? Pour moi, c’était Je l’aime à mourir qui passait en boucle sur l’autoradio de mon père. Et derrière cette voix chaude, il y avait déjà ce timbre de guitare inimitable. Des décennies plus tard, l’homme qui a écrit Petite Marie et La corrida n’a rien perdu de sa magie. À 72 ans tout juste fêtés, Francis Cabrel prépare tranquillement, dans l’ombre d’Astaffort, ce qui sera peut-être l’un de ses albums les plus personnels. Et franchement, ça fait du bien de savoir qu’il y a encore des artistes qui prennent leur temps.
Le gamin qui voulait être guitar hero
Il y a quelque chose de touchant à imaginer le petit Francis, dix ans à peine, déballer sa première guitare un matin de 1963. Pas une marque prestigieuse, non, juste un instrument modeste qui allait pourtant changer une vie. Depuis, la passion ne l’a jamais quitté. Elle s’est même transformée en véritable obsession : il possède aujourd’hui près de soixante guitares, certaines rarissimes, d’autres fabriquées sur mesure rien que pour lui.
Ce n’est pas une collection clinquante, du genre à épater les copains. Non. C’est une relation presque charnelle avec l’objet. Chaque bois, chaque corde, chaque luthier raconte une histoire. Et Cabrel, avec cette humilité qu’on lui connaît, a décidé de rendre hommage à ces artisans discrets qui passent des centaines d’heures à faire chanter le bois.
Trente ans après, le retour des luthiers
En 1995 sortait déjà un premier ouvrage sur les luthiers français. Trente ans plus tard, le chanteur remet le couvert avec Luthiers & guitares d’en France, la nouvelle génération. Et croyez-moi, ce n’est pas un simple livre photo. C’est un véritable acte d’amour.
« Ces femmes et ces hommes élèvent l’artisanat au rang d’art. Ils méritent qu’on parle d’eux autrement que dans les petites annonces entre deux festivals. »
Dans ces pages magnifiquement illustrées, on découvre une nouvelle génération d’artisans qui repoussent les limites de la lutherie acoustique. Des ateliers minuscules perdus dans la campagne jusqu’aux échoppes parisiennes, Cabrel a tout visité, tout essayé, tout écouté. Et ce qu’il raconte donne envie de tout plaquer pour apprendre à sculpter une table d’harmonie.
Soixante guitares et pas une de trop
Soixante. Le chiffre donne le vertige. Mais quand on écoute Cabrel en parler, on comprend vite que ce n’est pas une accumulation gratuite. Chaque instrument a sa personnalité, son histoire, son humeur.
- Il y a la vieille Martin des années 50 qui a enregistré la moitié de Sarbacane
- Celle fabriquée par un luthier landais qui sonne comme personne
- La douze cordes qui donne cette couleur si particulière à Hors-saison
- Et puis les prototypes, les ratés magnifiques, les cadeaux d’amis musiciens…
Il avoue d’ailleurs avec un sourire en coin qu’il joue encore régulièrement sur chacune d’entre elles. « Elles ont besoin de vivre », dit-il. Et quelque part, on sent que c’est lui qui a besoin d’elles pour rester vivant.
2027 : l’année du grand retour ?
Maintenant, la question que tout le monde se pose : mais qu’est-ce qu’il nous prépare, le bougre ? Son dernier album studio, À l’aube revenant, date déjà de 2020. Cinq ans sans nouveau matériel original, c’est long quand on a l’habitude d’être nourri régulièrement par cet auteur-compositeur hors norme.
Eh bien la réponse est tombée : ce sera pour 2027. Oui, vous avez bien lu. Pas 2026, pas « bientôt », non : 2027. Dans un monde où certains sortent un album tous les 18 mois comme on sort un single TikTok, Cabrel continue de prendre son temps. Et c’est précisément ça qui le rend précieux.
« Gamin, je rêvais d’être guitar hero. Aujourd’hui, je rêve juste que les chansons tiennent la route quand je serai plus là. »
Ce prochain disque, il le peaufine déjà depuis plusieurs mois. Pas de pression, pas de planning imposé par une maison de disques. Juste l’envie, quand elle est là. Et apparemment, elle commence à revenir sérieusement.
Astaffort, ce village qui respire la musique
On ne peut pas parler de Cabrel sans parler d’Astaffort. Ce petit coin du Lot-et-Garonne est devenu au fil des années un véritable lieu de pèlerinage pour les amoureux de la chanson française. Les Rencontres d’Astaffort, qu’il a créées il y a plus de trente ans, continuent de révéler des talents. C’est un peu le conservatoire alternatif de la chanson à texte.
Lui y vit toujours, dans la discrétion la plus totale. Entre deux tournées (quand il accepte encore d’en faire), il cultive son jardin, ses guitares et ses chansons. Et quelque part, cette lenteur, cette fidélité à ses racines, c’est ce qui fait que ses disques ne ressemblent à aucun autre.
Pourquoi Cabrel reste irremplaçable
Dans le paysage musical français actuel, saturé de productions lisses et d’autotune, écouter Cabrel fait figure d’oxygène. Pas de cynisme, pas de provocation gratuite. Juste des histoires, des mélodies qui restent en tête et des guitares qui parlent mieux que bien des paroles.
À l’heure où certains artistes de 72 ans remplissent les stades avec des hologrammes ou des reprises, lui continue d’écrire, de composer, de chercher la note juste. Et il le fait sans tambour ni trompette. C’est peut-être ça, la vraie classe.
Alors oui, il faudra attendre 2027. Deux ans, c’est long. Mais quand on sait la qualité de ce qui arrive, on est prêt à patienter. Parce qu’un album de Cabrel, ce n’est pas juste un disque. C’est un événement. Un de ces moments rares où la chanson française redevient grande.
Et quelque part, entre deux accords sur une vieille guitare landaise, le gamin qui rêvait d’être guitar hero continue de nous faire rêver. Preuve que certains rêves, quand ils sont vrais, ne meurent jamais.
Alors prenons notre mal en patience. Et en attendant, relisons ses textes, réécoutons Samedi soir sur la Terre ou In Extremis, et remercions le ciel qu’il y ait encore des artistes comme lui. Des artistes qui nous rappellent que la musique, la vraie, ça prend du temps.
2027, c’est loin. Mais ça vaut largement l’attente.
