Vous vous souvenez de cette période, début décembre, où l’on commence à voir des guirlandes un peu partout ? Moi oui. Et chaque année, comme un rituel, surgit la même question : est-ce qu’une crèche de Noël a vraiment sa place dans le hall d’une mairie ? On dirait un marronnier journalistique indéboulonnable. Pourtant, derrière les cris d’orfraie et les « on-dit, il y a une réponse juridique limpide que beaucoup préfèrent ignorer.
La laïcité n’est pas négociable, même à Noël
Non, ce n’est pas une lubie de laïcistes enragés. C’est simplement l’application stricte d’un texte fondateur de notre République : la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État. Cette année, on fête ses 120 ans. L’occasion ou jamais de relire calmement ce que dit vraiment l’article 28, souvent cité mais rarement compris jusqu’au bout.
Je vais vous la faire courte : il est interdit d’apposer un signe ou emblème religieux sur un bâtiment public ou dans l’espace public, sauf exceptions très précises (cimetières, musées, etc.). Une crèche avec l’enfant Jésus, Marie, Joseph, l’âne et le bœuf ? C’est clairement un emblème religieux chrétien. Point.
Ce que disent vraiment les juges depuis quinze ans
Depuis 2010 environ, les tribunaux administratifs ont été saisis des dizaines de fois. Et le résultat est toujours le même. Que ce soit à Béziers, à Beaucaire, à Perpignan ou ailleurs, les crèches installées dans les mairies sont systématiquement annulées. Pourquoi ? Parce que l’hôtel de ville n’est pas un musée ni un lieu de culte, mais le siège d’un service public qui doit rester neutre.
« L’installation d’une crèche de la nativité dans un bâtiment public constitue un acte contraire au principe de neutralité »
Conseil d’État, arrêt du 9 novembre 2016
Cet arrêt fait jurisprudence. Il distingue clairement deux cas :
- Si la crèche est installée dans un musée ou lors d’une exposition temporaire à caractère culturel ou artistique → autorisée.
- Si elle est posée dans le hall de la mairie « pour faire joli » ou par tradition → interdite.
Et non, dire que c’est « une tradition provençale » ou « un élément du patrimoine » ne change rien. Le Conseil d’État a déjà balayé cet argument plusieurs fois. La neutralité ne souffre pas d’exception folklorique.
Mais alors, pourquoi tant de maires s’entêtent ?
Franchement, je me pose la question tous les ans. Certains y voient un moyen de flatter un électorat attaché à l’identité chrétienne. D’autres pensent sincèrement que c’est anodin. Quelques-uns, enfin, jouent la provocation assumée : « Moi vivant, il y aura une crèche dans ma mairie ! »
Le problème, c’est que ça coûte cher aux contribuables. Entre les frais de justice et les astreintes quand la mairie refuse d’obéir, certaines collectivités ont déjà déboursé des dizaines de milliers d’euros. Pour une crèche en plastique, on marche sur la tête.
La laïcité, ce n’est pas l’interdiction de croire
Attention, il y a souvent confusion. Personne ne veut interdire aux familles d’installer une crèche chez elles. Personne ne veut arracher les santons des églises ou des marchés de Noël. La règle concerne uniquement l’État et les collectivités dans leurs bâtiments officiels.
D’ailleurs, la loi de 1905 commence par garantir la liberté de conscience et le libre exercice des cultes. Elle protège les croyants autant que les non-croyants. Elle dit simplement : l’État reste à équidistance de toutes les religions. Ni subvention, ni privilège, ni symbole officiel.
Et les sapins alors ? Les illuminations ?
Bonne question. Le sapin de Noël n’est plus considéré comme un emblème religieux par la justice. Il est devenu un symbole laïc de fin d’année que l’on retrouve dans tous les pays, y compris ceux où le christianisme est minoritaire (Japon, pays arabes, etc.). Même chose pour les illuminations ou les marchés de Noël : ils ont une dimension commerciale et festive qui dépasse largement le cadre religieux.
La crèche, elle, raconte une histoire précise : la naissance de Jésus dans une étable. Impossible de la déreligiouser complètement, même en ajoutant un Père Noël ou des lutins.
L’argument culturel tient-il la route ?
Certains maires affirment que la crèche fait partie du « patrimoine culturel immatériel ». C’est vrai que les santons de Provence sont superbes et que la tradition est ancienne. Mais le patrimoine ne donne pas un passe-droit pour enfreindre la loi.
Si demain une commune décide d’installer un grand croissant lumineux pour l’Aïd ou une menorah géante pour Hanoucca en invoquant « la tradition », on criera au scandale (et on aura raison). La neutralité doit s’appliquer à tout le monde, sinon elle n’existe plus.
Et dans les autres pays européens ?
En Allemagne ou en Autriche, les crèches sont fréquentes dans les bâtiments publics. En Italie aussi. Mais ces pays n’ont pas le même modèle de laïcité. La France a choisi, dès 1905, une séparation radicale que l’on appelle souvent laïcité de combat. C’est une exception, mais c’est la nôtre.
On peut le regretter ou s’en féliciter, mais on ne peut pas faire semblant de l’ignorer quand on est élu de la République.
Comment fêter Noël sans froisser la loi ?
Il y a plein de solutions créatives ! Certaines mairies installent des crèches dans des lieux culturels (médiathèque en mode exposition, musée local). D’autres organisent des « villages de Noël » sur la place publique avec des chalets, des animations laïques, des sapins décorés par les écoles. Tout le monde est content et personne ne finit au tribunal.
Franchement, est-ce si compliqué de respecter la loi tout en gardant l’esprit de fête ?
En conclusion : la loi n’est pas méchante, elle est juste cohérente
À l’approche des fêtes, j’ai envie de dire : célébrons Noël comme on veut, mais laissons les mairies en dehors du débat religieux. La crèche a parfaitement sa place dans les églises, les maisons, les vitrines des commerçants ou même sur les places publiques si c’est une association privée qui l’organise.
Mais dans le hall de la mairie ? Non. Pas parce qu’on déteste Noël. Simplement parce que la République a choisi, il y a 120 ans, de ne privilégier aucun culte. Et cette neutralité, même si elle peut sembler rigide parfois, reste l’un des piliers qui nous protège tous, croyants ou non.
Alors cette année, si votre maire installe une crèche dans l’hôtel de ville, souriez-lui poliment… et rappelez-lui gentiment que la loi existe pour une raison. Joyeux Noël quand même !
