Vous êtes-vous déjà demandé ce qui se passerait si, au lieu de simplement se dire bonjour dans l’ascenseur, vos voisins devenaient de vrais complices de vie ? Si on passait des apéros improvisés aux projets fous, genre acheter un local tous ensemble ? À Paris, dans le petit triangle tranquille entre Alésia et le parc Montsouris, c’est exactement ce qui vient d’arriver. Et franchement, ça redonne foi en l’humain.
Quand les voisins deviennent une tribu qui achète un immeuble
Le 1er décembre dernier, les clés ont changé de main. Un ancien atelier de photogravure de 120 m², rue de l’Aude, est officiellement devenu « La Maison ». Pas une maison individuelle, non : une maison commune, propriété collective d’une association qui regroupe des centaines de riverains. Le prix ? Près de 400 000 euros. Financé comment ? Par des « briques » de 1 000 euros achetées par plus de 300 personnes. Oui, vous avez bien lu : trois cents familles qui décident de mettre au pot commun pour avoir enfin un endroit à elles dans une ville où chaque mètre carré coûte les yeux de la tête.
Derrière ce projet, il y a les « hyper voisins ». Le surnom qu’ils se sont donné eux-mêmes, mi-tendre mi-ironique. Un groupe WhatsApp de 2 000 membres, des apéros géants, la fameuse « plus grande tablée de Paris » qui rassemble chaque année un millier de couverts dans la rue, des prêts d’outils, des sorties vélo, des cours de yoga sur les toits… Bref, tout ce qu’on rêve d’avoir quand on vit en ville mais qu’on croit impossible.
D’où vient cette énergie collective ?
Tout a commencé il y a quelques années avec une simple envie : redonner vie à un quartier qui, comme tant d’autres à Paris, s’endormait doucement. Les commerces de proximité fermaient les uns après les autres, les gens se croisaient sans vraiment se parler. Quelques habitants ont lancé un groupe de discussion en ligne. Très vite, les échanges ont débordé du virtuel. On s’est mis à organiser des vide-greniers géants, des concerts improvisés, des repas partagés. Et puis est venue l’idée folle : et si on avait un vrai lieu rien qu’à nous ?
Au début, beaucoup ont souri. Acheter un local à Paris quand on n’est ni promoteur ni millionnaire ? Bonne blague. Mais les hyper voisins n’ont jamais été du genre à se décourager. Ils ont monté une association loi 1901, la « République des hyper voisins » – oui, ils ont le sens de l’humour – et se sont lancés dans une aventure juridique et financière digne d’un roman.
Le modèle des « briques » : du crowdfunding à l’ancienne
L’idée était simple sur le papier, révolutionnaire dans les faits : chaque personne qui le souhaite achète une ou plusieurs « briques » à 1 000 euros pièce. Pas d’intérêt, pas de spéculation. Juste la promesse qu’un jour, ce local appartiendra à tout le monde. Ni plus ni moins une forme d’habitat participatif version tiers-lieu urbain.
« On n’a pas voulu créer une SCI classique où seuls les plus riches auraient leur mot à dire. Ici, une brique = une voix, quelle que soit la somme investie par chacun ensuite. L’important, c’est l’usage, pas la rentabilité. »
– Un des fondateurs du projet
En quelques mois, la cagnotte a grimpé. Des familles modestes qui mettent 1 000 euros, des retraités qui en prennent cinq, des jeunes couples qui se cotisent à plusieurs… L’argent est arrivé sans campagne de pub tapageuse, juste par le bouche-à-oreille et la confiance absolue entre voisins.
Un local chargé d’histoire qui renaît
Le lieu choisi n’a pas été pris au hasard. Cet ancien atelier de photogravure, avec ses grandes verrières et ses briques apparentes, dormait depuis des années. Un de ces endroits qu’on croise tous les jours sans vraiment les voir. Les hyper voisins, eux, y ont vu le potentiel immédiat : un rez-de-chaussée lumineux, une mezzanine cosy, une petite cour à l’arrière. Parfait pour accueillir des ateliers, des expositions, des cours de cuisine, des soirées jeux, des répétitions de théâtre… Tout ce qu’un quartier vivant peut rêver.
Les travaux commenceront début 2026. L’objectif ? Garder l’âme industrielle tout en rendant l’espace chaleureux et accessible à tous, y compris aux personnes à mobilité réduite. Budget estimé : entre 150 000 et 200 000 euros, là encore financés par des dons et des événements solidaires. Parce que oui, l’aventure continue.
Pourquoi ça marche là où tant d’autres projets échouent ?
J’ai discuté avec plusieurs membres du collectif et, à chaque fois, revient la même réponse : la confiance. Quand vous connaissez personnellement la plupart des gens qui investissent à vos côtés, quand vous avez déjà partagé des centaines de moments ensemble, la peur de « se faire avoir » disparaît. C’est peut-être ça, la vraie révolution : retrouver dans une grande ville le fonctionnement d’un village.
- Un groupe WhatsApp hyper actif qui permet de tout organiser en temps réel
- Des assemblées générales festives où on vote en buvant du vin bio
- Une transparence totale sur chaque euro dépensé
- Des statuts d’association qui empêchent toute spéculation future
- Et surtout, beaucoup, beaucoup d’humour et de bienveillance
Résultat ? Là où des projets similaires à Lyon ou Bordeaux ont parfois capoté à cause de désaccords internes, ici tout roule. On sent une vraie maturité collective.
Et maintenant ? La Maison va vivre
Déjà, les idées fusent. Un café associatif le matin ? Des ateliers de réparation le mercredi ? Des cours de poterie pour les enfants le samedi ? Un espace de coworking silencieux à l’étage ? Tout est possible. L’idée n’est pas de créer un centre social classique, mais un vrai tiers-lieu vivant, ouvert à tous les habitants du quartier, qu’ils aient investi ou non.
D’ailleurs, les « briques » sont toujours en vente. L’objectif affiché : atteindre les 500 souscripteurs pour sécuriser les travaux et pourquoi pas, rêver plus grand – une seconde Maison ailleurs dans le 14e ? Après tout, quand on a réussi l’impossible une fois…
Ce qui se passe rue de l’Aude n’est pas qu’une belle histoire de Noël avant l’heure. C’est une réponse concrète à la solitude urbaine, à la flambée des prix immobiliers, à l’individualisme forcené qu’on nous vend comme une fatalité. Dans un Paris où on paye 12 000 euros le mètre carré pour 25 m² sous les toits, des centaines de voisins ont décidé que la solution, c’était de faire ensemble plutôt que de subir chacun dans son coin.
Et si c’était contagieux ? Déjà, des groupes similaires se montent dans le 18e, le 19e, à Montreuil… La graine est plantée. Peut-être que dans quelques années, on parlera des « hyper voisins » comme d’un modèle qui a changé la façon de vivre la ville. En attendant, dans le 14e, on fête ça. Et quelque part, ça fait du bien.
Parce qu’au fond, la plus belle richesse d’un quartier, ce n’est pas le prix du mètre carré. Ce sont les gens qui y vivent. Et quand ils décident de prendre leur destin en main, même Paris devient un grand village.
