Imaginez un peu : vous marchez dans un petit village tranquille d’Île-de-France, loin du bruit parisien, et vous tombez sur une source qui, selon la légende, aurait changé le cours de l’Histoire de France. Pas une grande fontaine majestueuse, non. Juste un filet d’eau discret qui coule sous une voûte de pierre, dans l’ombre d’une église de campagne. Et pourtant, cette eau-là aurait permis la naissance du plus grand roi que la France ait connu. Ça semble presque trop beau pour être vrai… et c’est exactement ce qui rend l’histoire tellement fascinante.
La source qui a donné un héritier à la France
Nous sommes en 1637. Anne d’Autriche, reine de France depuis vingt-deux ans, n’a toujours pas d’enfant. Le mariage avec Louis XIII est tendu, les rumeurs de répudiation courent, et la guerre de Trente Ans fait rage. La pression est énorme : sans dauphin, c’est toute la dynastie des Bourbon qui vacille. Alors, comme beaucoup de femmes de l’époque (et d’aujourd’hui encore), la reine se tourne vers ce qu’on appelle les remèdes du désespoir. Parmi eux : les sources réputées miraculeuses.
Et c’est là qu’intervient la petite source de Féricy, un village de 600 âmes à une quinzaine de kilomètres au nord-est de Fontainebleau. On l’appelle la source Sainte-Osmanne, du nom d’une sainte obscure qui aurait vécu là au Moyen Âge. La tradition veut que son eau favorise la maternité. Des dizaines, peut-être des centaines de femmes stériles y sont venues au fil des siècles. Mais aucune n’avait le statut d’Anne d’Autriche.
« La reine but de cette eau en 1637 et, l’année suivante, mit au monde Louis XIV, le Roi Soleil. »
Tradition locale rapportée depuis le XVIIe siècle
Le 5 septembre 1638, à Saint-Germain-en-Laye, naît Louis-Dieudonné. « Donné par Dieu », dit-on officiellement. Mais dans les campagnes autour de Fontainebleau, on murmure autre chose : donné par la source Sainte-Osmanne. Et cette croyance ne s’est jamais vraiment éteinte.
Un lieu resté incroyablement discret
Ce qui me frappe le plus quand on parle de cette source, c’est son humilité. Pas de grande chapelle clinquante, pas de boutique de souvenirs, pas même un panneau indicateur flambant neuf. Juste deux petits escaliers de pierre qui descendent vers un bassin voûté, derrière l’église du village. L’eau coule doucement, claire comme du cristal, et va remplir un bassin, puis file vers un étang où l’on raconte des histoires aux enfants l’été.
Beaucoup d’habitants de Féricy eux-mêmes ne la connaissent pas vraiment. J’ai discuté avec des gens nés là qui m’ont dit : « Ah bon ? Il y a une source miraculeuse chez nous ? » D’autres, au contraire, baissent la voix et préfèrent qu’on n’en parle pas trop. « Pour vivre heureux, vivons cachés », vous diront-ils avec un petit sourire en coin.
Et pourtant, discrètement, on continue d’y venir. Des couples qui essaient d’avoir un enfant depuis des années. Des femmes seules qui remplissent une petite bouteille avant de repartir. Personne ne fait de bruit. On boit, on prie, on repart. Comme au XVIIe siècle.
Qui était vraiment sainte Osmanne ?
L’histoire de la sainte elle-même est enveloppée de brume. On sait peu de chose. Une jeune fille noble, peut-être du VIIe ou VIIIe siècle, qui aurait refusé le mariage pour se consacrer à Dieu. Emmurée vivante par son père (oui, ça arrive dans les vies de saints…), elle aurait survécu grâce à une source qui jaillit miraculeusement. D’où le pouvoir attribué à l’eau.
Ce genre de légende est fréquent en Europe : sainte Maxellende à Caudry, sainte Rolende en Belgique, sainte Reine en Bourgogne… Toutes liées à des sources réputées pour la fertilité. Mais peu peuvent se vanter d’avoir « fonctionné » pour une reine de France.
La renaissance d’une tradition oubliée
Ces dernières années, une association locale, « À la source de Sainte-Osmanne », tente de faire revivre la mémoire du lieu. Ils ont relancé la fête patronnale le 8 décembre, jour de l’Immaculée Conception (et date choisie parce qu’elle coïncide avec la légende locale). Procession, messe en plein air, bénédiction de l’eau… Tout en douceur, sans vouloir transformer le lieu en attraction touristique.
Le président de l’association, Jean-François Caisso, et le père Philippe Mazur, curé de la paroisse, insistent là-dessus : il s’agit de préserver un patrimoine spirituel et historique, pas de créer un nouveau Lourdes. D’ailleurs, ils refusent poliment les demandes d’interview trop voyeuristes. On sent une vraie volonté de protéger la quiétude du lieu.
- Pas de parking géant
- Pas de boutique de médailles
- Pas de cars de pèlerins bruyants
- Juste le murmure de l’eau et le chant des oiseaux
Et franchement ? C’est ça qui rend le lieu si touchant.
Les sources « fertilité » : une longue tradition européenne
La source Sainte-Osmanne n’est pas seule. L’Europe est truffée de fontaines réputées aider à concevoir :
- La fontaine de la Vierge à Chartres
- La source Sainte-Reine à Alise-Sainte-Reine
- La fontaine de Saint-Gelven en Bretagne
- La fontaine Barenton en forêt de Brocéliande (liée à Merlin !)
- Et même à l’étranger : la fontaine de Santa Cristina en Sardaigne
Partout le même schéma : une sainte, une source, un miracle de maternité. Ces lieux étaient les cliniques de fertilité de nos ancêtres. Et quand la médecine ne pouvait rien, on se tournait vers l’eau, la prière, l’espoir.
Au XXIe siècle, on a la PMA, les FIV, les traitements hormonaux. Mais certains couples, épuisés par les échecs médicaux, finissent par faire le détour par ces vieilles fontaines. Comme un dernier recours. Ou simplement pour se raccrocher à quelque chose de plus grand.
Et si vous passiez par Féricy un jour ?
Si vous êtes en balade autour de Fontainebleau – après le château, la forêt, les rochers –, prenez quinze minutes pour faire un crochet par Féricy. L’église est ouverte. La source est accessible toute l’année. Vous descendrez quelques marches, vous verrez l’eau couler, peut-être croiserez une femme qui remplit sa bouteille en silence.
Vous n’êtes pas obligé d’y croire. Mais vous ressentirez quelque chose. Le poids de l’Histoire. La fragilité des espérances humaines. Et cette idée un peu folle qu’une simple gorgée d’eau, un jour de 1637, aurait peut-être changé la face de la France.
Parce qu’après tout, Louis XIV a bien existé. Et quelque part, dans un petit village de Seine-et-Marne, une source coule toujours.
Et vous, vous croyez aux miracles des fontaines ? Ou pensez-vous que tout n’est qu’heureuse coïncidence ? Dites-le-moi en commentaire, j’ai hâte de lire vos histoires…
