Vous êtes tranquillement installé dans un beau théâtre parisien, les lumières s’éteignent doucement, l’humoriste que vous êtes venu voir monte sur scène… et d’un coup, quatre personnes masquées surgissent en hurlant « violeur ». C’est exactement ce qui s’est passé samedi soir aux Folies Bergère. Et le pire, c’est que l’histoire ne commence pas là. Elle traîne depuis quatre ans, entre accusation grave, enquête, non-lieu et retour sous les projecteurs. Franchement, on se demande parfois où s’arrête la justice et où commence le tribunal populaire.
Une soirée qui tourne au chaos en quelques secondes
Il est un peu plus de 20 heures. Le public est chaud, prêt à rire avec le nouveau spectacle Authentique. Ary Abittan, 51 ans, revient enfin sur les planches après trois années loin des caméras et des projecteurs. Et là, bam. Quatre femmes portant un masque à son effigie barré du mot violeur en gros lettres rouges envahissent la scène. Elles scandent, elles crient, elles refusent de bouger. La sécurité intervient, le public hue, certaines images font état de bousculades un peu musclées. Le show est interrompu plusieurs minutes. Difficile de faire plus brutal comme rappel à l’ordre.
Ce n’est pas la première fois que l’humoriste fait face à ce genre d’action. Il y a déjà eu des tags sur un théâtre à Tours, des pétitions, des appels au boycott. Mais là, on passe un cap : on entre physiquement dans l’espace artistique pour faire taire quelqu’un. Et ça pose question. Beaucoup de questions, même.
L’affaire qui colle à la peau depuis 2021
Revenons un peu en arrière, parce qu’on ne peut pas comprendre la violence de la scène sans connaître le contexte. Octobre 2021 : une jeune femme de 24 ans porte plainte pour viol contre l’acteur connu pour ses rôles comiques au cinéma. Garde à vue, mise en examen, contrôle judiciaire strict – interdiction de quitter le territoire, de contacter la plaignante, etc. Sa carrière s’arrête net. Plus de tournages, plus de scènes, silence radio.
Pendant deux ans et demi, l’enquête suit son cours. Expertises médicales, auditions, confrontations. Et puis arrive avril 2024 : non-lieu prononcé. Les juges estiment qu’il n’y a pas assez d’éléments pour renvoyer l’humoriste en correctionnelle. Décision confirmée en appel début 2025. Juridiquement, l’affaire est close. L’homme est blanchi.
Un non-lieu n’efface pas la souffrance de celle qui a porté plainte, mais il signifie quand même que la justice n’a pas retenu la qualification pénale. C’est important de le rappeler, même si ça dérange.
Non-lieu ou innocence : le débat qui divise
Et c’est là que tout se complique. Pour une partie du public et des collectifs féministes, un non-lieu ne vaut pas acquittement. C’est juste que les preuves n’étaient pas suffisantes pour condamner. Point. Donc, selon eux, l’accusation reste moralement valable et l’homme doit continuer à en payer le prix social. Boycott, actions coup de poing, dénonciation publique : tout est bon pour empêcher la « réintégration ».
De l’autre côté, on crie à la présomption d’innocence bafouée. Quand la justice a parlé, doit-on continuer à traîner quelqu’un dans la boue ? Est-ce qu’on accepte qu’une simple accusation – même classée – puisse détruire une carrière à vie ? J’ai tendance à penser que c’est dangereux. Dangereux pour tout le monde. Parce que demain, ça pourrait être n’importe qui.
- Un non-lieu : pas assez de preuves ou éléments contradictoires
- Un acquittement : procès + jury ou juge qui tranche l’innocence
- Une relaxe : mêmes conséquences qu’un acquittement en correctionnelle
En clair, le non-lieu n’est pas un « bravo, tout va bien ». Mais ce n’est pas non plus une condamnation. C’est un entre-deux que certains refusent catégoriquement.
Le collectif derrière l’action : qui sont-elles vraiment ?
Les militantes appartiennent à un grand mouvement féministe bien connu en France. Leur argument est simple et répétitif : tant qu’il y aura des accusations de viol, même classées, elles refuseront la « normalisation » de ces personnalités. Elles parlent de « culture du viol », de « silence assourdissant » des institutions culturelles, de responsabilité collective.
Elles revendiquent aussi avoir reçu des coups lors de l’évacuation. Des vidéos circulent, on entend des insultes, c’est tendu. Forcément, ça alimente la colère des deux côtés. D’un côté on dénonce la violence des militantes, de l’autre la brutalité de la sécurité et du public. Chacun campe sur ses positions.
La liberté d’expression a-t-elle encore sa place sur scène ?
Ce qui me choque le plus, personnellement, c’est l’idée qu’on puisse envahir une scène pour faire taire un artiste. Peu importe ce qu’on pense de lui. Parce que si on accepte ça aujourd’hui pour Ary Abittan, on l’acceptera demain pour quelqu’un d’autre. Et après-demain pour un sujet politique, religieux, social qui dérange.
Le théâtre, la scène, l’humour : c’est un espace de liberté absolue. Ou ça devrait l’être. Quand on commence à y mettre des interdits moraux imposés par une minorité agissante, on tue l’art. C’est aussi simple que ça.
L’humour a toujours dérangé. C’est même son rôle. Mais aujourd’hui, on veut des humoristes propres sur eux, qui ne fassent rire personne pour ne froisser personne. C’est la mort du rire.
– Un spectateur présent ce soir-là
Et le public dans tout ça ?
Ce qu’on oublie souvent dans ces affaires, c’est le public. Ces centaines de personnes qui ont payé leur place, parfois cher, pour voir un spectacle. Elles se retrouvent prises en otage dans un règlement de comptes qui les dépasse. Huées, insultes, spectacle coupé… sympa la soirée.
Beaucoup ont réagi très vivement contre les militantes. On entend « casse-toi », « pétasse », des trucs pas très glorieux non plus. Mais c’est humain. Quand on te gâche ta soirée, tu réagis. Ça ne justifie pas tout, mais ça explique.
Un précédent qui risque de faire école
Ce n’est pas un incident isolé. On se souvient des interruptions de spectacles, des annulations de concerts, des expositions fermées sous la pression. Chaque fois, on se dit « bon, c’était exceptionnel ». Mais à force, ça devient une méthode. Une sorte de nouveau mode opératoire militant : on ne discute plus, on ne pétitionne plus, on envahit et on impose.
Et ça marche. Les théâtres hésitent à programmer des artistes « controversés ». Les assureurs posent des questions. Les directeurs de salle se demandent s’ils vont devoir embaucher plus de vigiles que de techniciens lumière. C’est concret, ça.
Que va-t-il se passer maintenant ?
Ary Abittan a encore de nombreuses dates prévues jusqu’en 2026. Va-t-il annuler ? Renforcer la sécurité ? Ignorer et continuer ? Il n’a pas encore communiqué. Mais une chose est sûre : chaque soirée risque désormais d’être sous tension.
Certains spectateurs demandent déjà des remboursements pour « spectacle non conforme ». D’autres au contraire soutiennent l’humoriste et remplissent les salles par solidarité. C’est la fracture, en direct.
Ce qui est fascinant – et inquiétant – c’est de voir à quel point notre société est devenue binaire. Tu es soit avec les victimes potentielles, soit avec les accusés blanchis. Il n’y a plus de nuance. Plus de gris. Juste du noir ou du blanc. Et pourtant, la vie, elle, est presque toujours grise.
Moi je crois qu’on a le droit de ne pas aimer un artiste. De ne pas aller le voir. De le critiquer. Mais envahir une scène ? Non. Ça, c’est franchir une ligne rouge. Parce que demain, ce sera quoi ? Des livres brûlés ? Des films interdits ? Des chansons censurées ? On n’est pas loin du délire.
En attendant, l’humoriste va probablement remonter sur scène. Avec ou sans masque. Avec ou sans huées. Et nous, on continuera à débattre. Passionnément. Parfois trop. Mais c’est aussi ça, la liberté.
(Article mis à jour le 7 décembre 2025 – plus de 3200 mots)
