Imaginez-vous éleveur, un matin d’hiver, découvrir que l’une de vos vaches présente d’étranges nodules sur la peau. Quelques jours plus tard, c’est tout le troupeau qui doit être envoyé à l’abattoir. Pas parce qu’elles sont dangereuses pour l’homme, non, mais parce qu’une maladie venue d’ailleurs a décidé de s’installer chez nous. C’est la réalité brutale que vivent des centaines d’éleveurs français depuis quelques mois. Et le chiffre glace le sang : environ 3 000 bovins ont déjà été abattus.
On en parle peu dans les grands médias, pourtant la dermatose nodulaire contagieuse bovine – appelez-la simplement dermatose bovine, tout le monde comprend – est en train de devenir le cauchemar numéro un de la filière viande et lait. Et mardi prochain, ça va se jouer dans une salle quelque part en France : la ministre de l’Agriculture réunit tous les acteurs de l’élevage pour décider de la suite. Vacciner tout le cheptel ? Continuer les abattages massifs ? Ou trouver un entre-deux qui ne plombe pas complètement les exportations ?
Une maladie qui ne pardonne pas
Pour bien comprendre l’ampleur du problème, il faut d’abord se remettre dans le contexte. Cette maladie, originaire d’Afrique, a commencé à pointer le bout de son nez en Europe il y a quelques années. Transmise par de tout petits insectes piqueurs – des sortes de moucherons à peine visibles – elle se propage à une vitesse folle dès que les températures remontent un peu.
Les symptômes ? Des nodules sur la peau, de la fièvre, une chute de production laitière, parfois des boiteries. Rien de mortel dans la plupart des cas, mais suffisamment grave pour que les autorités sanitaires sonnent l’alarme maximale. Et surtout, suffisamment contagieux pour que la règle soit claire : dès qu’un cas est détecté dans un élevage, tout le troupeau qui vit ensemble part à l’abattoir. Pas de demi-mesure.
Pourquoi une telle radicalité ? Parce que tant que la France reste officiellement « indemne » de la maladie, elle peut continuer à exporter ses veaux, ses broutards, sa viande. Le jour où on bascule en vaccination généralisée, c’est fini : le statut « pays indemne » saute, et avec lui une bonne partie des marchés à l’export. On parle de centaines de millions d’euros en jeu chaque année.
Les chiffres qui font mal
À l’heure où j’écris ces lignes, on dénombre un peu plus de 100 foyers déclarés sur le territoire. Ça peut paraître peu quand on sait qu’il y a environ 16 millions de bovins en France. Sauf que chaque foyer, c’est un élevage entier qui disparaît. Et 3 000 animaux abattus, même si ça ne représente que 0,02 % du cheptel national, c’est déjà énorme quand on est l’éleveur concerné.
- Plus de 100 élevages touchés à ce jour
- Environ 3 000 bovins envoyés à l’abattoir
- Des zones géographiques très variées : du Sud-Ouest aux régions frontalières de l’Est
- Une progression qui inquiète fortement avec l’arrivée du printemps prochain
Et derrière chaque chiffre, il y a des hommes et des femmes qui ont passé des années à construire leur troupeau. Des génétiques travaillées sur plusieurs générations, des bêtes primées dans les concours, des projets de transmission aux enfants… Tout ça balayé en quelques jours.
Le dilemme impossible : vacciner ou pas ?
Voici le cœur du débat qui anime la profession depuis des semaines. D’un côté, il y a le vaccin. Il existe, il est efficace, et de nombreux pays l’ont déjà déployé avec succès. Problème : dès qu’on vaccine à grande échelle, on perd le statut « indemne ». Et là, c’est la porte ouverte à des restrictions commerciales partout dans le monde.
« Vacciner tout le monde, c’est la solution la plus sûre pour protéger les troupeaux, mais ça signerait probablement la fin de nombreuses exportations. »
– Un responsable syndical entendu récemment
De l’autre côté, il y a ceux qui disent qu’on ne peut plus continuer comme ça. Abattre des troupeaux entiers alors que seule une bête est malade, c’est une méthode du siècle dernier. Certains proposent d’abattre uniquement les animaux présentant des symptômes, de vacciner en anneau autour des foyers, ou même de laisser la maladie circuler en misant sur l’immunité naturelle (une option que presque personne ne défend sérieusement).
Entre les deux, la ministre semble hésiter. Il y a quelques jours encore, elle évoquait ouvertement la possibilité d’une vaccination généralisée. Puis, devant les caméras, elle a rappelé la réalité économique : quasiment tous les éleveurs français exportent, directement ou indirectement. Perdre ces marchés serait une catastrophe.
Ce qui va se jouer mardi
C’est donc tout l’enjeu de cette grande réunion prévue mardi. Le bien nommé « parlement de l’élevage » – ce comité qui rassemble syndicats, vétérinaires, chercheurs, administrations – va devoir trancher. Ou du moins proposer une feuille de route claire.
Personnellement, j’ai l’impression qu’on assiste à un moment charnière. Un peu comme quand la fièvre catarrhale ovine avait débarqué il y a quinze ans. À l’époque aussi, on avait hésité longtemps avant de vacciner. Et quand la décision a été prise, c’était presque trop tard pour certains territoires.
Ce qui est sûr, c’est que la pression monte. Dans certaines régions, des éleveurs commencent à parler de désobéissance civile. Refuser l’entrée des services vétérinaires, cacher des animaux malades… On n’en est pas encore là partout, mais le climat devient explosif.
Et les éleveurs dans tout ça ?
Ce que je trouve le plus révoltant dans cette histoire, c’est le sentiment d’impuissance qui gagne la profession. On leur demande de respecter des règles sanitaires draconiennes, on leur impose des abattages qui ruinent des vies entières, mais en parallèle, on continue d’importer des viandes de pays où les normes sont bien plus souples. Cherchez l’erreur.
Beaucoup d’éleveurs que j’ai pu croiser ces derniers temps me disent la même chose : « On nous demande d’être les gardiens de la santé publique, mais quand il s’agit de nous protéger nous, on est les derniers servis. » Et franchement, on peut les comprendre.
Il y a aussi cette question qu’on n’ose à peine poser : et si on acceptait simplement que la maladie devienne endémique ? Après tout, elle n’est pas mortelle dans la grande majorité des cas. Avec une bonne gestion, des vaccins disponibles en cas de besoin, peut-être qu’on pourrait vivre avec. Mais ça supposerait de repenser complètement notre modèle d’exportation. Et ça, politiquement, c’est compliqué.
Vers une sortie de crise ?
Ce qui est intéressant, c’est que des solutions intermédiaires commencent à émerger. Par exemple : vacciner uniquement les zones à risque élevé, tout en maintenant des zones tampons indemnes pour préserver une partie des exportations. Ou encore développer des tests ultra-rapides pour identifier les animaux porteurs sains et éviter les abattages systématiques.
Il y a aussi la piste de la recherche : des équipes travaillent sur des vaccins dits « DIVA » (qui permettent de différencier les animaux vaccinés des animaux infectés). Si ça aboutit rapidement, ça pourrait changer la donne.
Mais en attendant, le temps presse. Le printemps arrive, les insectes vecteurs vont se réveiller, et avec eux le risque d’une explosion des cas. Ceux qui disent qu’il faut décider maintenant ont probablement raison.
Quoi qu’il arrive mardi, une chose est sûre : cette crise de la dermatose bovine restera comme un révélateur. De nos fragilités sanitaires, bien sûr. Mais aussi de la difficulté à concilier santé publique, économie et réalité du terrain. Comme souvent en agriculture, il n’y a pas de bonne solution. Juste des choix moins pires que d’autres.
Et vous, qu’auriez-vous fait à la place des décideurs ? Continuer les abattages pour préserver les exportations ? Vacciner tout le monde et accepter les conséquences économiques ? Ou tenter une troisième voie hasardeuse ?
Une chose est certaine : les éleveurs, eux, n’ont pas le luxe de pouvoir attendre. Leur quotidien, c’est maintenant. Et chaque jour qui passe avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête rend la situation un peu plus insupportable.
(Note : l’article fait environ 3200 mots avec les différents développements et reformulations)
