Imaginez-vous en train de prendre votre café du matin quand, soudain, la télévision nationale annonce qu’un groupe de militaires vient de renverser le président. C’est exactement ce qui est arrivé à des millions de Béninois ce dimanche 7 décembre 2025. Un scénario digne d’un film politique… sauf que c’était bien réel.
En quelques heures seulement, le pays est passé de l’effroi à un retour apparent au calme. Mais derrière cette apparente maîtrise, les questions fusent : était-ce vraiment sérieux ? Qui sont ces officiers ? Et surtout, qu’est-ce que cela dit de l’état réel du Bénin à quatre mois de l’élection présidentielle ?
Une matinée qui a fait trembler Cotonou
Tout commence vers 8 heures du matin. Des tirs nourris résonnent autour du palais présidentiel. Très vite, huit militaires en uniforme font irruption sur le plateau de la télévision publique. Visage fermé, ton martial, ils se présentent comme le « Comité militaire pour la refondation ».
Ils proclament la destitution immédiate du président et désignent le lieutenant-colonel Pascal Tigri comme nouveau homme fort du pays. Le motif ? Une liste longue comme le bras : dégradation sécuritaire dans le nord, abandon des familles de soldats tombés au combat, promotions injustes, et même une « remise en cause déguisée des libertés fondamentales ».
« Nous ne pouvons plus accepter que le sang de nos frères soit versé en vain pendant que certains s’enrichissent dans l’ombre. »
Extrait du communiqué des putschistes diffusé en direct
En quelques minutes, les réseaux sociaux s’enflamment. Les vidéos tournent en boucle. On voit les militaires poser devant le logo de la chaîne, kalachnikov en bandoulière. Pour beaucoup, l’histoire semble écrite d’avance : un énième coup d’État en Afrique de l’Ouest.
La riposte ultra-rapide des autorités
Mais cette fois, le scénario déraille très vite. Dès midi, le ministre de l’Intérieur apparaît à l’antenne – sur la même chaîne – pour annoncer que la situation est « totalement sous contrôle ». Le président va bien, il est en lieu sûr, et les forces loyalistes ont repris la main.
L’après-midi, Cotonou retrouve peu à peu son rythme habituel. Les marchés rouvrent, les motos-taxis circulent à nouveau. Seuls les abords du palais et du camp militaire Guézo restent bouclés. Des journalistes sur place confirment : plus aucun signe des putschistes.
En fin de journée, on apprend qu’une douzaine de militaires ont été arrêtés, dont la plupart de ceux qui sont apparus à l’écran le matin. L’opération semble avoir été étouffée dans l’œuf, sans effusion de sang majeure.
Pourquoi ce putsch a-t-il échoué si vite ?
Plusieurs éléments ont joué. D’abord, les putschistes n’ont jamais réussi à prendre le contrôle physique des points stratégiques : ni le palais, ni la présidence, ni même la radio nationale plus de quelques heures. Ensuite, la hiérarchie militaire est restée globalement fidèle – un point crucial que beaucoup de coups d’État récents au Sahel n’ont pas réussi à obtenir.
J’ai discuté avec un ancien officier béninois qui m’expliquait : « Ici, l’armée est encore très marquée par la culture républicaine héritée de la conférence nationale de 1990. Ce n’est pas le Mali ou le Burkina. Un coup d’État, ça ne passe pas comme ça. »
- Aucun soutien visible d’unités d’élite
- Pas de ralliement massif dans les casernes
- Réaction immédiate des autorités civiles et militaires
- Condamnation instantanée de la communauté internationale
Tous ces facteurs ont transformé ce qui aurait pu être un séisme en simple secousse rapidement absorbée.
Un contexte explosif à quatre mois de la présidentielle
Mais réduire l’événement à un coup de poker raté serait une erreur. Car derrière les uniformes, il y a des frustrations bien réelles qui couvaient depuis longtemps.
Depuis 2016, le président Patrice Talon a profondément transformé le pays. Économiquement, les résultats sont là : croissance solide, modernisation des infrastructures, retour de la confiance des investisseurs. Mais politiquement, beaucoup lui reprochent un durcissement autoritaire : réforme constitutionnelle controversée, exclusion de l’opposition majeure aux législatives de 2019, arrestations de figures politiques et de journalistes.
Au nord, la menace djihadiste venue du Sahel s’est installée durablement. Les attaques se multiplient, les militaires tombent, et les populations locales se sentent parfois abandonnées. C’est précisément ce ressentiment qu’ont exploité les putschistes dans leur communiqué.
« Comment expliquer qu’on envoie nos frères mourir dans le nord pendant que certains vivent dans le luxe à Cotonou ? »
Un soldat anonyme contacté après les événements
Et puis il y a la question de la succession. Patrice Talon a annoncé qu’il ne briguerait pas de troisième mandat – chose rare dans la région. Son dauphin putatif, l’actuel ministre des Finances Romuald Wadagni, fait figure de grand favori pour avril 2026. Beaucoup y voient une continuité déguisée, ce qui nourrit les rancœurs.
La réponse musclée de la communauté internationale
À peine l’annonce du putsch connue, les condamnations pleuvent. L’Union africaine parle d’une tentative « inacceptable ». Mais c’est surtout la Cédéao qui passe à la vitesse supérieure.
En fin de soirée, l’organisation régionale annonce le déploiement immédiat de la Force en attente avec des contingents nigérians, ivoiriens, ghanéens et sierra-léonais. Objectif affiché : « soutenir le gouvernement légitime et préserver l’ordre constitutionnel ».
Le Nigeria, président en exercice de la Cédéao, confirme même avoir procédé à des frappes aériennes ciblées même si on ignore encore sur quelles cibles précises. Un message clair : plus question de laisser les coups d’État devenir la norme en Afrique de l’Ouest.
Et maintenant ? Les vraies questions qui restent
Officiellement, tout est rentré dans l’ordre. Mais dans les conversations privées, à Cotonou comme à Porto-Novo, on sent une certaine nervosité. Cette tentative, même avortée, a révélé des fissures qu’on ne pourra pas ignorer éternellement.
Est-ce que l’exécutif va profiter de l’occasion pour renforcer encore son contrôle sur l’armée et la société ? Va-t-on assister à une vague d’arrestations dans les casernes ? Et surtout, comment restaurer la confiance d’une partie de la population et des militaires qui se sentent laissés pour compte ?
L’aspect peut-être le plus inquiétant, c’est que ce coup d’État raté pourrait n’être qu’un symptôme. Dans une région où le Mali, le Burkina et le Niger ont basculé sous uniforme en quelques années, le Bénin était souvent cité comme un îlot de stabilité. Cette image vient d’en prendre un sérieux coup.
Comme me le confiait un diplomate européen en poste à Cotonou : « On a évité le pire aujourd’hui. Mais si on ne traite pas les causes profondes – sécurité au nord, sentiment d’injustice, concentration du pouvoir –, on risque de revivre la même chose dans six mois ou deux ans. »
En attendant, la vie reprend son cours. Les enfants retournent à l’école ce lundi, les fonctionnaires à leur bureau, les commerçants à leur étal. Mais dans beaucoup de têtes, une question tourne en boucle : était-ce vraiment la dernière alerte ?
Ce qui est sûr, c’est que le Bénin entre dans une période décisive de son histoire. À quatre mois d’avril 2026, il ne s’agira plus seulement de choisir un président, mais peut-être de décider si le pays continue sur la voie d’une démocratie perfectible… ou s’il bascule dans l’instabilité qui ronge ses voisins.
Et vous, pensez-vous que cet événement va marquer un tournant ? Ou juste une parenthèse rapidement oubliée ? L’avenir proche nous le dira. Mais une chose est certaine : on n’a pas fini d’entendre parler du Bénin.
