Imaginez une ligne peinte en jaune sur une carte, censée n’être qu’une étape temporaire. Et puis, un beau jour, le plus haut gradé de l’armée d’une armée annonce qu’elle est désormais la « nouvelle frontière » de son pays. C’est exactement ce qui vient de se produire à Gaza, et franchement, ça donne le frisson.
On en parle peu en Europe, coincés qu’on est entre les grèves et la météo, mais sur le terrain, cette histoire change profondément la donne pour des millions de personnes. Alors prenons le temps de comprendre, calmement, ce que cache vraiment cette ligne jaune qui divise aujourd’hui la bande de Gaza en deux mondes.
D’où sort cette ligne jaune, au juste ?
Tout commence début octobre 2025. Un accord de cessez-le-feu est signé sous l’égide du président américain fraîchement réélu. Sur son réseau, il poste une carte toute simple : la bande de Gaza coupée en deux par un trait jaune qui va grosso modo de la mer Méditerranée jusqu’à la frontière égyptienne.
L’idée, à l’époque, semblait claire : cette ligne marque la zone où l’armée israélienne accepte de se retirer dans un premier temps. À l’ouest, Gaza-Ville, Deir al-Balah, Khan Younès : la partie la plus densément peuplée reste théoriquement sous administration palestinienne. À l’est, tout le reste – dont Rafah et une large bande le long de la frontière israélienne – passe sous contrôle militaire israélien temporaire.
Sur le papier, c’était la phase 1 d’un retrait progressif en trois étapes, avec à la clé le déploiement d’une force internationale et, à très long terme, la restitution totale du territoire. Belle promesse, non ?
Quand le temporaire devient… permanent
Mais voilà. Le 7 décembre 2025, le chef d’état-major israélien lâche une phrase qui fait l’effet d’une bombe : cette ligne jaune est désormais « la nouvelle frontière d’Israël » et constitue à la fois « une ligne de défense avancée pour nos localités et une ligne d’attaque ».
Autrement dit : on ne bouge plus. Ou en tout cas, pas dans le sens prévu initialement.
En quelques mots, ce qui était présenté comme une étape technique devient une revendication territoriale pure et dure. Et sur le terrain, ça se voit : des blocs de béton peints en jaune, des miradors, des routes militaires toutes neuves, des terres agricoles rasées sur des kilomètres. Le décor d’une frontière qui n’ose pas encore dire son nom.
À quoi ressemble concrètement ce tracé ?
La ligne suit à peu près l’ancien corridor de Netzarim que l’armée avait déjà occupé pendant la guerre, mais élargi. Elle démarre au niveau de l’ancien kibboutz Be’eri, traverse le centre de la bande et rejoint la zone de Rafah à l’est.
- À l’ouest : environ 42 % du territoire, très urbanisé, où vit encore la majorité de la population.
- À l’est : 58 % du territoire, dont presque toutes les terres cultivables restantes et la totalité de la frontière avec l’Égypte.
- Entre les deux : une zone tampon de plusieurs centaines de mètres, entièrement rasée, surveillée 24 h/24.
Des témoins sur place décrivent des blocs de béton jaune posés comme des bornes, parfois tous les 200 mètres, parfois plantés au milieu de rien. Interdiction formelle de s’en approcher. Plusieurs dizaines de personnes ont déjà été tuées en essayant de franchir la ligne pour récupérer des affaires ou tenter de cultiver ce qui reste de leurs champs.
Pourquoi cette ligne pose un problème majeur
Parce qu’elle ne coupe pas seulement la terre. Elle coupe aussi l’accès à l’eau, aux cultures, aux écoles, aux hôpitaux parfois. Des familles entières se retrouvent séparées. Un habitant de l’ouest ne peut plus rejoindre son oliveraie à l’est sans risquer sa vie.
Des organisations de défense des droits humains parlent déjà d’une « expulsion de fait de centaines de milliers de personnes. Les terres agricoles derrière la ligne ont été méthodiquement détruites – satellites à l’appui – rendant impossible tout retour à une vie normale même si un jour l’armée se retirait.
« On nous prive de tout moyen de subsistance indépendant », résume un rapport récent d’une grande ONG internationale.
Et pendant ce temps, les travaux continuent : routes bitumées, bases arrière, systèmes de surveillance dernier cri. Tout l’attirail d’une occupation pensée pour durer.
Le plan Trump est-il mort ?
Officiellement, non. On parle toujours d’une phase 2 qui commencerait après la restitution du dernier otage. On parle toujours d’une force internationale. Mais dans les faits, chaque jour qui passe rend le retour en arrière plus compliqué.
Le Hamas, de son côté, refuse catégoriquement tout désarmement tant que l’occupation perdure. Israël refuse de partir tant que le Hamas reste armé. Classique cercle vicieux, mais avec une ligne jaune plantée en plein milieu qui change toute la géographie du conflit.
Et puis il y a l’Égypte, qui regarde avec inquiétude cette nouvelle « frontière » à quelques mètres de chez elle et promet que le passage de Rafah ne servira jamais à « déplacer » la population – sous-entendu : on ne veut pas d’un nouvel exode massif.
Et maintenant ? Trois scénarios possibles
- Le statu quo durci – La ligne devient de facto une frontière définitive, avec ou sans reconnaissance internationale. Scénario le plus probable à court terme.
- La négociation miracle – Retour des derniers otages, déploiement d’une force arabe ou onusienne, retrait partiel. On y croit tous un peu, mais franchement…
- L’embrasement – Tentatives répétées de franchissement, nouvelles violences, et la ligne jaune devient le nouveau mur des Lamentations version 2025.
Personnellement, j’ai du mal à être optimiste. Quand un chef d’état-major parle de « ligne d’attaque », on sent que la logique militaire a pris le dessus sur la logique diplomatique.
Ce que ça nous dit du conflit en général
Cette histoire de ligne jaune, c’est un concentré de tout ce qui ne va pas dans ce conflit : des cartes dessinées à des milliers de kilomètres, des promesses qui s’évaporent dès que les caméras s’éteignent, et surtout une population prise en otage entre deux narratifs qui ne se parlent plus.
On nous vendait un cessez-le-feu « historique ». On se retrouve avec une partition qui rappelle les heures les plus sombres des partages coloniaux. Et le pire, c’est que personne ne semble vraiment surpris.
Alors la prochaine fois qu’on vous parlera d’une « simple ligne technique », souvenez-vous de celle-ci. Parce qu’une ligne jaune sur une carte peut très vite devenir une cicatrice définitive sur une terre et dans les mémoires.
Et vous, vous en pensez quoi ? Cette ligne va-t-elle bouger un jour, ou vient-on d’assister à la naissance de la nouvelle carte du Proche-Orient ?
