Imaginez-vous tranquillement chez vous, un vendredi d’hiver bien gris, quand soudain des aboiements furieux déchirent le silence. Vous sortez, et là, devant votre porte, un animal magnifique, un cerf immense, haletant, les yeux remplis de panique. Il cherche à sauver sa peau. Et derrière lui, une meute de chiens, puis des hommes armés. Ce n’est pas le début d’un thriller. C’est exactement ce qui est arrivé en février dernier sur une propriété normande bien connue.
La propriété en question ? Celle du réalisateur Luc Besson, ce domaine de 160 hectares acheté en 1998 au cœur de l’Orne ou la nature règne encore en maître. Un endroit où les cerfs, chevreuils et autres animaux vivent relativement tranquilles… jusqu’à ce jour-là.
Un après-midi qui vire au cauchemar
Ce 21 février, Danielle, la mère du cinéaste, alors âgée de 85 ans, est chez elle. Vers le début d’après-midi, les hurlements des chiens la font sortir. Elle attrape son téléphone et filme. Ce qu’elle voit est difficilement soutenable.
Le cerf, traqué depuis des heures lors d’une battue, a franchi clôtures et obstacles pour tenter d’échapper à la meute. Épuisé, il s’effondre littéralement sur le perron de la maison. Les chiens le harcèlent. Et puis arrivent deux hommes. Au lieu de retenir les chiens ou de faire demi-tour en voyant qu’ils sont sur une propriété privée, ils décident d’achever l’animal. Sur place. À coups de couteau. Devant la maison.
« Ils l’ont massacré à coups de couteau » – c’est l’expression qui reviendra le plus souvent dans le dossier.
La scène est d’une violence rare. Le cerf, déjà blessé, est égorgé sous les yeux de la mère du réalisateur qui, impuissante, continue de filmer. La vidéo, particulièrement choquante, fera partie du dossier pénal.
Une propriété clairement privée
On pourrait penser à un malheureux accident de chasse. Sauf que non. Le domaine est entouré de clôtures, de panneaux « propriété privée », et surtout, il est connu localement. Personne ne peut prétendre ignorer qu’on n’y entre pas comme dans un moulin.
Et pourtant, ce jour-là, la règle semble avoir été oubliée. Les deux chasseurs, membres d’une société de chasse locale, ont suivi leur meute sans se poser de questions. Quand le cerf s’est réfugié là où il pensait être en sécurité, ils n’ont pas hésité.
Le code rural est pourtant clair : la chasse sur la propriété d’autrui sans autorisation du propriétaire est interdite. Point final. Même en pleine action de chasse, même si l’animal traqué franchit une clôture. La loi impose de retenir les chiens et de rebrousser chemin.
Ce que risque précisément les deux hommes
Ce mardi 8 décembre 2025, les deux chasseurs, âgés d’une quarantaine et d’une cinquantaine d’années, comparaitront devant le tribunal correctionnel d’Argentan. Ils sont poursuivis pour plusieurs chefs :
- Chasse sur le terrain d’autrui sans l’accord du propriétaire
- Refus de retenir les chiens malgré la présence de panneaux
- Atteinte volontaire à la vie d’un animal (l’achèvement à l’arme blanche)
- Cruauté envers un animal domestique ou apprivoisé (le cerf étant considéré comme espèce susceptible d’occasionner des dégâts, mais la méthode reste contestée)
Les peines encourues peuvent aller jusqu’à trois ans de prison et 45 000 euros d’amende, même si dans les faits, pour ce type de dossier, on parle plutôt de peines d’aménagement ou de fortes amendes, parfois assorties d’une interdiction de chasser.
Mais au-delà des sanctions pénales, c’est surtout la partie civile qui promet d’être musclée. Luc Besson et sa mère se sont constitués parties civiles. Ils demandent réparation pour le préjudice moral, le trouble de jouissance et le sentiment d’insécurité ressenti depuis l’incident.
Un symbole qui dépasse le simple fait divers
Franchement, cette histoire touche à quelque chose de plus profond. Elle cristallise le vieux conflit entre le droit de chasse – inscrit dans la tradition rurale française – et le droit de propriété privée. Quand on possède 160 hectares clôturés, a-t-on encore le droit de dire « ici, on ne chasse pas » ? Apparemment, pour certains, la réponse est non.
Il y a aussi la question de la violence. Achever un animal à coups de couteau, devant une maison habitée, devant une personne âgée… il y a une forme de brutalité qui choque, même ceux qui ne sont pas particulièrement sensibles à la cause animale.
Et puis il y a le côté presque cinématographique de l’affaire. Luc Besson, le réalisateur d’Arthur et les Minimoys, ces petits êtres qui vivent en harmonie avec la nature, qui a construit sur sa propriété une maison en bois directement inspirée de ses films… et qui se retrouve confronté à une scène digne d’un film d’horreur. La réalité dépasse parfois la fiction.
La chasse, entre tradition et nécessaire régulation
Attention, je ne vais pas tomber dans le piège du « tous les chasseurs sont des barbares ». La grande majorité respecte les règles, connaît les territoires, et fait même un travail utile de régulation. Mais il existe une minorité qui donne une image désastreuse à l’ensemble.
Cet incident n’est pas isolé. Chaque année, des propriétaires se plaignent de battues qui débordent sur leurs terrains, de clôtures abîmées, de chiens qui s’introduisent chez eux. Parfois ça finit mal. Très mal même.
Ce qui est intéressant, c’est que l’affaire Besson pourrait faire jurisprudence. Si le tribunal donne raison à la partie civile avec des dommages et intérêts conséquents, ça pourrait inciter d’autres propriétaires et renforcer la protection des grands domaines privés.
Que va-t-il se passer ce mardi au tribunal ?
Difficile de prédire le verdict exact, mais plusieurs éléments jouent :
- La vidéo tournée par la mère de Luc Besson est accablante
- La propriété est clairement identifiée comme privée
- Les deux chasseurs ont reconnu les faits en garde à vue, même s’ils minimisent la violence
- La personnalité de Luc Besson donne une caisse de résonance médiatique énorme
On peut raisonnablement s’attendre à une condamnation. Reste à savoir si elle sera symbolique ou si le tribunal voudra marquer le coup. Une chose est sûre : l’audience sera suivie de très près par les associations de chasseurs… et par celles de protection animale.
Ce qui est certain, c’est que ce cerf n’est pas mort pour rien. Son histoire, aussi tragique soit-elle, pose des questions essentielles sur nos rapports à la nature, à la propriété, et à la violence ordinaire qui, parfois, se cache derrière des traditions.
Et vous, qu’en pensez-vous ? La chasse doit-elle primer sur le droit de propriété ? Y a-t-il encore une place pour ce type de pratiques en 2025 ? Le débat est ouvert.
(Article mis à jour le 8 décembre 2025 – suivi de l’audience à venir)
