Dimanche après-midi, j’étais dans les travées d’Ernest-Wallon et, franchement, j’ai eu l’impression de revivre les grandes heures du Stade Toulousain version 2010-2012. Huit essais, un bonus offensif pris en vingt-quatre minutes, puis une petite sieste collective… et malgré tout une victoire 56-19 face aux Sharks. Mais ce qui m’a marqué plus que tout, c’est la performance de deux joueurs que tout oppose sur le papier : Julien Marchand et Ange Capuozzo. À eux deux, ils plantent cinq des huit essais. Cinq. Rien que ça.
Quand le talonneur devient buteur et l’ailier funambule
On a l’habitude de voir les ailiers marquer, c’est leur métier. Mais quand votre talonneur de 30 ans, 1m81, 108 kg, commence à empiler les essais comme un trois-quart centre, là on se dit que quelque chose de spécial est en train de se passer à Toulouse.
Ange Capuozzo, l’art de marquer autrement
Commençons par le plus spectaculaire : le triplé de Capuozzo. Trois essais, trois manières différentes. C’est ça qui rend le bonhomme si excitant à regarder.
Le premier ? Une simple passe au pied millimétrée de Thomas Ramos, il n’a plus qu’à courir tout droit et aplatir. Facile ? Sur le papier oui. Mais il faut être là au bon moment, sentir le coup venir, et avoir cette pointe de vitesse qui fait la différence.
Le deuxième est déjà plus savoureux. Touche aux 40 mètres sud-africains, ballon porté, Guillaume Cramont fixe, Capuozzo arrive en soutien intérieur, accélère, transperce, et tend le bras comme un vieux briscard pour aplatir malgré le retour désespéré du défenseur. Là, on se dit : « Ok, il ne marque pas que sur des cadeaux. »
Et puis arrive le troisième, le chef-d’œuvre. 71e minute, ballon récupéré dans nos 40 mètres, contre-attaque, Capuozzo reçoit à hauteur, voit l’espace dans le dos de la défense, tape un petit par-dessus rasant pour lui-même, récupère en pleine course et file à l’essai. Le stade explose. Moi le premier. Ce genre d’action, on la revoit dix fois au ralenti en se disant que c’est presque trop beau pour être vrai.
« Un ailier doit marquer des essais, c’est son job. »
Ugo Mola, avec son franc-parler habituel
Et pourtant, Capuozzo est déjà à huit essais cette saison avec Toulouse (dix en comptant l’Italie). À ce rythme-là, il va pulvériser son record personnel. Ce qui impressionne, c’est sa capacité à être dangereux partout, tout le temps. Il met le feu dès qu’il touche le ballon. Et dans une équipe qui joue à 200 km/h, c’est une arme absolue.
Julien Marchand, le talonneur qui ne veut pas qu’on parle de lui
De l’autre côté, il y a Julien Marchand. Le gars est discret, presque timide hors du terrain. Mais sur la pelouse, c’est un monstre. Deux essais dimanche, six depuis le début de saison (quatre avec Toulouse, deux avec les Bleus). Pour un talonneur, c’est complètement dingue.
Quand on lui parle de ses stats, il hausse les épaules :
« J’ai surtout la chance d’être derrière le maul, derrière un paquet d’avants qui bosse comme des fous. Le talonneur est souvent à la conclusion, ça s’imbrique comme ça. »
Julien Marchand, toujours aussi humble
Mais soyons honnêtes : être « souvent à la conclusion », c’est bien plus qu’une question de chance. Il faut sentir le bon timing, se placer au millimètre, résister aux défenseurs qui savent très bien que le ballon va arriver là. Et Marchand, lui, il est toujours au bon endroit.
Et ce n’est pas que les essais. Dimanche, il a été monstrueux en mêlée, impérial en touche, et il a cassé je ne sais combien de plaquages en portant le ballon. Le genre de match complet où tu te dis que le mec est au top de sa forme à 30 ans.
L’émulation, la vraie force toulousaine
Ugo Mola l’a très bien résumé après le match. À Toulouse, au poste de talonneur, il y a actuellement quatre joueurs de niveau international : Marchand, Mauvaka (bientôt de retour), Cramont et Lacombre. Quatre. Vous vous rendez compte ?
Quand tu sais que derrière toi, il y a Peato Mauvaka qui pousse comme un fou pour revenir, tu n’as pas le droit de te reposer. Et ça, Marchand l’a bien compris. Depuis que son genou le laisse tranquille, il a remis le rugby au centre de tout. Résultat : il est redevenu le patron qu’on avait vu exploser il y a quelques années.
- 6 essais en 2025-2026 (déjà)
- 48 sélections avec le XV de France
- Leader vocal du paquet d’avants
- Précision chirurgicale en touche
Et le plus fou, c’est que quand Mauvaka reviendra, la concurrence sera encore plus rude. C’est ça, le luxe toulousain.
Pourquoi cette saison sent le très très bon
Regardons les chiffres froids : après seulement quelques mois de compétition, Toulouse affiche déjà une moyenne effrayante d’essais par match. Et surtout, les marqueurs sont partout. Les avants, les trois-quarts, les remplaçants, tout le monde y va de son petit essai.
Mais ce qui change par rapport aux années précédentes, c’est cette capacité à marquer de mille façons différentes. Maul porté ? Oui. Contre-attaque éclair ? Oui. Jeu au pied d’occupation retournée ? Oui aussi. Petit coup de pied par-dessus pour soi-même ? Évidemment.
Et quand tu as un Capuozzo qui peut transformer n’importe quelle munition en essai, et un Marchand qui conclut les efforts collectifs, tu deviens presque injouable à domicile.
Attention, le match contre les Sharks n’a pas été parfait. Il y a eu ce gros relâchement après le bonus offensif pris très tôt. Trente minutes où Toulouse a joué à l’économie, laissé les Sud-Africains revenir à 28-19, et pris quelques frayeurs. Mais même dans ces moments-là, l’équipe a su remettre un coup d’accélérateur au bon moment.
Et maintenant ?
Prochain rendez-vous : Glasgow, là-bas, dans une semaine. Un vrai test. Les Warriors sont costauds, jouent vite, et ne lâchent rien. Mais avec un Capuozzo en feu et un Marchand en mode bulldozer, Toulouse a clairement les armes pour aller chercher quelque chose en Écosse.
Et puis soyons fous : si ces deux-là continuent à ce rythme, on pourrait bien assister à une saison historique en termes d’essais marqués. Parce que derrière, il y a encore Ramos, Kinghorn, Ahki, Chocobares, Costes… La liste est longue.
Une chose est sûre : en ce moment, aller voir un match du Stade Toulousain à Ernest-Wallon, c’est l’assurance de prendre une claque rugby. Dans le bon sens du terme. Et moi, je signe tout de suite pour revivre ça tous les week-ends.
Alors oui, on n’a joué qu’un match de Coupe des Champions. Oui, il reste énormément de chemin. Mais quand tu démarres par 56 points et huit essais face à une équipe sud-africaine réputée pour sa défense, tu te dis que cette équipe-là a clairement envie de remettre les pendules à l’heure européenne.
Et quelque part, c’est terriblement excitant.
