Imaginez que vous recevez un courrier officiel : votre nom a été tiré au sort pour figurer sur une liste aux élections municipales. Pas de meeting, pas de tract, pas de promesses électorales. Juste l’invitation à participer à la gestion de votre ville. C’est exactement ce qui pourrait arriver à quelques centaines de Brestois en décembre 2025.
Un homme de 47 ans, animateur auprès de jeunes en situation de handicap, a décidé de secouer la campagne des municipales 2026 à Brest d’une manière qu’on n’avait jamais vue en France à cette échelle. Pas de programme figé, pas de tête de liste qui se rêve maire. Son seul engagement ? Rendre le pouvoir aux habitants, vraiment.
Et si le prochain maire de Brest n’était qu’un exécutant ?
Le concept fait sourire certains, agace les habitués de la politique traditionnelle, mais il fascine de plus en plus. L’idée est simple sur le papier : les élus ne décident plus seuls dans leur coin pendant six ans. À la place, des assemblées de quartier, des commissions temporaires, des jurys citoyens tirés au sort et surtout des référendums réguliers. Le maire ? Il applique. Point.
Ce n’est pas une nouveauté théorique. Des penseurs comme Étienne Chouard ou David Van Reybrouck défendent depuis longtemps le tirage au sort comme antidote à la professionnalisation de la politique. Mais passer de la théorie à la pratique dans une ville de 140 000 habitants, c’est une autre paire de manches.
Comment construire une liste sans militant ?
Mi-décembre, l’instigateur du projet va plonger dans les listes électorales et sortir au hasard entre 200 et 300 noms. Ensuite, il ira frapper aux portes. Pas pour convaincre de voter pour lui, non. Juste pour demander : « Acceptez-vous de figurer sur la liste Brest Démocratie Directe ? »
Il le reconnaît lui-même : le score sera probablement modeste. En 2020, avec une liste déjà atypique, il avait frôlé les 2,12 %. Alors pourquoi retenter l’aventure ? Parce que l’objectif n’est pas de gagner la mairie dès 2026, mais de planter une graine. Une graine qui pourrait, un jour, devenir un arbre.
« On sait très bien qu’on ne va pas faire un gros score, donc ce n’est pas très engageant pour ceux qui acceptent. C’est surtout une façon de soutenir l’idée. »
Traduction : même si vous n’avez jamais fait de politique de votre vie, même si vous travaillez de nuit ou que vous avez trois enfants, votre présence sur la liste a du sens. C’est un acte symbolique fort.
Le modèle suisse, mais en version breton
Le projet s’inspire ouvertement de la Suisse, où les référendums d’initiative populaire sont monnaie courante. Mais il va plus loin. L’idée est d’instaurer quatre référendums par an sur les sujets majeurs, et de faire tourner en permanence des assemblées citoyennes dans chaque quartier.
- Une idée émerge dans le quartier Saint-Marc ?
- Elle passe en commission temporaire composée de volontaires et de tirés au sort.
- Si elle tient la route, un panel de 50 citoyens tirés au sort vote.
- Pour les gros dossiers (budget, urbanisme lourd…), référendum obligatoire.
Le maire et le conseil municipal deviennent alors des exécutants. Plus des décideurs tout-puissants. Un peu comme si l’Assemblée nationale n’était plus qu’une chambre d’enregistrement des décisions populaires. Fou ? Peut-être. Mais pas plus fou que de laisser 1 % d’abstentionnistes décider pour tout le monde.
Pourquoi maintenant ? Parce que plus personne n’y croit
Soyons honnêtes : l’abstention aux municipales dépasse souvent les 50 %. À Brest comme ailleurs, beaucoup d’habitants ont l’impression que, peu importe le bulletin glissé dans l’urne, rien ne change vraiment. Les mêmes visages, les mêmes promesses, les mêmes dossiers qui traînent.
Ce sentiment de dépossession est le terreau parfait pour des expériences radicales. D’ailleurs, on voit fleurir un peu partout en France des listes participatives, des budgets citoyens, des conseils de quartier qui tentent de reprendre la main. Mais rarement avec une proposition aussi tranchée.
Le candidat le dit sans détour : la démocratie représentative telle qu’on la pratique aujourd’hui favorise les carrières plus que le bien commun. Elle crée des professionnels de la politique déconnectés. Et surtout, elle ouvre la porte à tous les petits arrangements.
Les objections qu’on entend déjà dans les bistrots brestois
Évidemment, tout le monde n’est pas convaincu. Voici les critiques qui reviennent le plus souvent :
- « Les gens n’ont pas le temps ni les compétences pour décider de tout. »
- « On va voter sur des sujets complexes après avoir lu trois posts Facebook. »
- « Qui va gérer au quotidien ? On ne peut pas référendum sur le ramassage des poubelles. »
- « C’est le règne de la démagogie et des lobbies. »
Ces questions sont légitimes. Elles méritent des réponses sérieuses. Les défenseurs de la démocratie directe répondent généralement que les citoyens, quand on leur fait confiance et qu’on les accompagne, sont souvent plus raisonnables que leurs élus. Regardez les conventions citoyennes : la convention pour le climat a produit des propositions bien plus ambitieuses que ce qu’osent les parlementaires.
Et si ça marchait vraiment ?
Imaginons un instant que la liste obtienne 10, 15, voire 20 % en 2026. Même sans majorité, elle pourrait imposer le débat. Forcer les autres candidats à se positionner. Peut-être même obtenir quelques sièges au conseil municipal et commencer à expérimenter dans certains quartiers.
Dans dix ans, on pourrait voir des villes françaises avec des maires « porte-plume » et des décisions prises collectivement. Ou alors l’expérience tournerait court et on en resterait aux systèmes actuels. Mais au moins, on aura essayé autre chose.
Personnellement, je trouve l’idée à la fois terrifiante et excitante. Terrifiante parce qu’elle remet en cause tout ce qu’on a appris sur la politique. Excitante parce qu’elle redonne du pouvoir à ceux qui l’ont perdu depuis longtemps.
Un combat de longue haleine
Le porteur du projet ne se fait pas d’illusion. Il parle lui-même d’un combat qui prendra des décennies. Mais il suffit parfois d’une petite pierre pour déclencher une avalanche. Qui sait si Brest 2026 ne sera pas cette pierre ?
En attendant, si vous habitez Brest et que vous recevez une lettre bizarre en décembre, lisez-la jusqu’au bout. Vous pourriez faire partie des prochains décideurs de votre ville. Sans même l’avoir demandé.
Et quelque part, c’est peut-être ça le plus beau : redonner du pouvoir à ceux qui n’en ont jamais réclamé. Parce que souvent, ce sont eux les plus sages.
Alors, utopie gentille ou début d’une révolution démocratique à la française ? L’avenir nous le dira. Mais une chose est sûre : à Brest, la campagne 2026 ne ressemblera à aucune autre.
