Vous êtes-vous déjà demandé ce qui se passe quand une association historique, celle qui a accompagné des milliers de personnes touchées par le VIH depuis plus de trente ans, doit tout simplement fermer une de ses antennes locales ? C’est exactement ce qui arrive à Reims. Et franchement, ça fait un pincement au cœur.
Je ne vais pas vous refaire l’histoire complète de la lutte contre le sida, vous la connaissez probablement. Mais quand une structure comme celle-ci réduit la voilure dans une ville de province, ça dit quelque chose de notre époque : les moyens se raréfient, les priorités bougent, et on tente de s’adapter… parfois à marche forcée.
Une fermeture qui ne tombe pas du ciel
Non, la décision n’a rien d’un coup de tête. Elle arrive après des mois, voire des années, de galères financières que beaucoup d’associations traversent en ce moment. Entre la fameuse prime Ségur qui a obligé tout le monde à revoir les salaires à la hausse (et c’est tant mieux pour les salariés, soyons clairs) et la baisse progressive des subventions publiques, le calcul est vite fait : il faut serrer la vis.
Et quand il faut choisir, on concentre les forces là où l’épidémie frappe le plus fort. Strasbourg, Lille, certaines grandes villes restent prioritaires. Reims ? L’incidence y est plus faible. Résultat : cinq antennes fermeront au deuxième trimestre 2026, dont celle de la rue du Barbâtre. Deux postes salariés supprimés, un local qui baissera le rideau. C’est brutal, mais c’est la réalité budgétaire.
« Ce sont des décisions particulièrement difficiles à prendre. Il n’y a pas eu d’évidence mais il a fallu faire des choix. »
– Un responsable de l’association
Et les bénévoles dans tout ça ?
Voilà peut-être l’aspect le plus touchant de l’histoire. Une quinzaine de personnes donnaient de leur temps, parfois depuis des années. Des figures connues dans le milieu rémois, qui accueillaient, écoutaient, organisaient des actions de prévention dans la rue ou dans les bars. Certains risquent de raccrocher, tout simplement parce que l’idée de militer sans local physique ne leur parle plus.
Mais l’association ne veut pas les lâcher. L’idée qui émerge ? Créer une équipe de bénévoles numériques. Concrètement, continuer la prévention sur les réseaux sociaux, répondre aux questions en ligne, organiser des lives, des stories, des campagnes ciblées sur Instagram ou TikTok. Parce que oui, les jeunes (et pas que) s’informent davantage là que sur des flyers distribués en sortie de boîte.
Je trouve ça à la fois malin et un peu triste. Malin parce que c’est adapté à 2025-2026. Triste parce qu’on perd ce lien humain, ce café partagé dans un local chaleureux avec quelqu’un qui traverse la même galère que toi.
Les groupes de parole en visio : solution ou pis-aller ?
C’était l’un des piliers de l’antenne : les groupes de parole en présentiel. Des moments où l’on pose les masques, où l’on parle séropositivité, traitements, fatigue, discriminations, sexualité… sans filtre. Avec la fermeture, ces réunions physiques disparaissent.
À la place ? Des groupes en visio. Certains diront que c’est mieux que rien. D’autres, et je les comprends, répondront que voir un visage à travers un écran, même allumé, ce n’est pas pareil que sentir la chaleur d’une main sur son bras quand les larmes montent.
- Avantages du distanciel : accès plus facile pour les personnes isolées géographiquement, anonymat renforcé, horaires plus souples.
- Inconvénients : perte du non-verbal, problèmes de connexion, fatigue liée à l’écran, sentiment de déshumanisation.
Personnellement, j’ai participé à des groupes en ligne pendant le Covid. Ça dépannait. Mais dès que le présentiel a été possible à nouveau, tout le monde a sauté dessus. Il y a des choses que Zoom ne remplacera jamais.
Reims et le VIH : des chiffres qui expliquent (un peu) le choix
Dans la Marne, on compte environ 700 personnes vivant avec le VIH et suivies médicalement. L’antenne locale détectait chaque année entre 20 et 40 nouvelles séropositivités. Ce n’est pas rien, mais comparé à d’autres régions, c’est relativement contenu.
Le tissu associatif local est aussi cité comme un argument : d’autres structures pourront prendre le relais pour certaines actions de terrain. Est-ce suffisant ? La question reste ouverte. Car AIDES, c’était aussi (surtout ?) cette expertise communautaire, cette approche par les pairs que peu d’autres possèdent.
Le virage numérique : opportunité ou cache-misère ?
Il faut être honnête : le numérique, c’est déjà une part énorme de la prévention aujourd’hui. Les campagnes sur Grindr, les tests rapides commandés en ligne, les forums anonymes… tout ça existe et sauve des vies. Transformer des bénévoles de terrain en community managers militants, pourquoi pas.
Mais il y a un risque, et il est réel : celui de laisser sur le bord de la route ceux qui ne maîtrisent pas les outils numériques. Les seniors, les personnes précaires sans smartphone récent, celles et ceux qui ont justement besoin d’un visage en face d’eux. La fracture numérique, elle existe aussi dans la santé.
« On imagine plusieurs solutions : certains pourront rejoindre d’autres structures mais aussi continuer de faire de la prévention sur les réseaux sociaux. »
Et ailleurs en France ?
Reims n’est pas un cas isolé. Amiens, Angers, Lorient, Perpignan… même sentence. Au total, ce sont 61 postes qui sont menacés dans le plan de sauvegarde de l’emploi. Sur plus de 500 salariés que compte l’association, c’est énorme.
Ça pose une question de fond : comment finance-t-on la lutte contre le VIH en 2025 ? Les crédits publics baissent, les dons privés ne suffisent plus, et pourtant l’épidémie n’a pas disparu. On parle de plus en plus de « fin de l’épidémie » à horizon 2030, mais en attendant, des antennes ferment. Cherchez l’erreur.
Ce que ça nous dit de la société
Au-delà du cas particulier, cette fermeture est un symptôme. Le monde associatif vit sous perfusion depuis des années. Quand les caisses de l’État toussent, ce sont toujours les mêmes qui trinquent : culture, santé communautaire, accompagnement social.
On nous parle sans cesse de résilience, d’innovation, de digitalisation. Très bien. Mais il y a des domaines où le lien humain reste irremplaçable. La santé sexuelle et reproductive en fait partie. Point.
Alors oui, les bénévoles numériques vont continuer à poster, à répondre aux DM à 2h du matin, à organiser des lives. Bravo à eux. Mais j’espère qu’on ne fera pas l’économie d’un vrai débat : combien coûte vraiment la solidarité dans ce pays ? Et qui paie la note quand on décide qu’elle coûte trop cher ?
En attendant, si vous croisez un jour un ancien bénévole rémois qui poste des stories avec le ruban rouge, pensez à lui mettre un petit cœur. Il ou elle le mérite largement.
