Vous vous souvenez quand on pensait que le cannabis resterait éternellement la star incontestée des stupéfiants en France ? Moi aussi. Et puis arrive cette étude, sortie début décembre 2025, qui retourne complètement la table : en termes d’argent brassé, la cocaïne vient de chiper la première place. 3,1 milliards d’euros en 2023 contre 2,7 pour le cannabis. Autant dire que le choc est rude.
Franchement, quand j’ai vu les chiffres, j’ai dû relire deux fois. Le cannabis, ce bon vieux joint qu’on associe presque à la culture française depuis des décennies, se fait doubler en valeur par une poudre blanche qui, il y a encore quinze ans, restait plutôt l’apanage des soirées très select ou des traders survoltés. Que s’est-il passé entre-temps ?
Un marché qui a quasiment triplé en treize ans
Commençons par le constat brut. Le chiffre d’affaires total des drogues illicites en France métropolitaine oscille autour de 6,8 milliards d’euros en 2023. En 2010, on tournait à 2,3 milliards. Faites le calcul : c’est presque du triple. Et attention, ces estimations restent prudentes – entre 3,8 et 9,7 milliards selon les fourchettes basses ou hautes.
Ce qui frappe, c’est la vitesse de la bascule. La cocaïne représentait 902 millions en 2010. Treize ans plus tard ? 3,1 milliards. Pendant ce temps, le cannabis passe de 1,1 à 2,7 milliards. En volume, l’herbe reste largement devant – près de 400 tonnes consommées contre un peu plus de 47 tonnes de cocaïne – mais en valeur, la poudre blanche écrase tout.
« Le cannabis et la cocaïne génèrent à eux seuls environ 90 % du total du chiffre d’affaires des drogues illicites en 2023 »
Extrait d’une étude universitaire récente
Pourquoi la cocaïne rapporte autant plus ?
La réponse tient en deux mots : prix et pureté. Ou plutôt, l’évolution du ratio prix-pureté. Il y a dix ans, un gramme de cocaïne coûtait cher et était souvent coupé à mort. Aujourd’hui, les filières sud-américaines inondent le marché d’une marchandise de meilleure qualité à des tarifs qui ont sérieusement baissé. Résultat : le gramme devient presque un produit de consommation courante pour une partie de la population.
Je ne dis pas que tout le monde sniffe, loin de là. Mais le cercle des consommateurs s’est élargi. Des cadres aux étudiants, des soirées en boîte aux afters improvisés, la coke n’est plus réservée à une élite. Elle s’est démocratisée, exactement comme le smartphone ou les vols low-cost en leur temps.
- 2010 → 15 tonnes consommées
- 2023 → 47,1 tonnes (x3,1)
- Prix moyen au gramme : chute de plus de 30 % en valeur réelle
- Pureté moyenne : en hausse constante
Et le cannabis dans tout ça ?
Il reste le roi en volume, c’est indéniable. Près de 400 tonnes fumées chaque année, hors autoculture et dons entre potes (sinon on dépasserait probablement les 500 tonnes). Mais son marché stagne en valeur. Pourquoi ? La résine et l’herbe subissent une pression énorme : concurrence de l’autoculture, arrivée massive de produits marocains ou albanais à bas prix, et surtout une certaine lassitude des consommateurs historiques.
Ajoutez à ça le débat sur la légalisation qui traîne depuis des années et crée une sorte d’attentisme. Beaucoup se disent que ça finira bien par arriver, alors pourquoi payer cher un produit qui pourrait devenir légal demain ? Du coup, les prix s’effritent et les marges aussi.
L’explosion des autres stimulants
Mais la vraie surprise, c’est la progression fulgurante de l’ecstasy et de la MDMA. En 2010, on estimait la consommation à 11,3 millions de comprimés. En 2023 ? 65,6 millions. Soit une multiplication par près de six. En valeur, c’est la drogue qui enregistre la plus forte hausse : +637 % en treize ans.
Les amphétamines suivent la même trajectoire. On est clairement face à une vague de psychostimulants qui touche particulièrement les milieux festifs, mais pas seulement. Le télétravail, le stress post-covid, la recherche de performance… tout concourt à rendre ces substances attractives pour une partie de la population active.
| Substance | CA 2010 (M€) | CA 2023 (M€) | Évolution |
| Cocaïne | 902 | 3 100 | +244 % |
| Cannabis | 1 100 | 2 700 | +145 % |
| Ecstasy/MDMA | ~100 | ~740 | +637 % |
| Total marché | 2 300 | 6 800 | +196 % |
Ce que ces chiffres disent de la société française
Derrière les milliards, il y a des vies. Des gamins qui dealent dans les cités, des mules qui risquent vingt ans pour quelques milliers d’euros, des consommateurs qui plongent dans l’addiction sans même s’en rendre compte au début. Et puis il y a nous tous, qui vivons dans un pays où la poudre blanche est devenue, en valeur, plus importante que le vin ou le fromage dans certaines statistiques officieuses.
L’aspect le plus inquiétant ? Cette normalisation progressive. Quand un produit triple sa consommation en dix ans, ce n’est plus un phénomène marginal. C’est une tendance de fond. Et quand le président d’une mission interministérielle parle d’une « spectaculaire progression qui met à l’épreuve les forces de sécurité, la Justice et les professionnels de santé », on comprend que l’État lui-même est dépassé.
Les réponses publiques : toujours plus de répression ?
Historiquement, la France a choisi la voie de la prohibition absolue. Amendes, prison, saisies records : on met le paquet côté répression. Mais les chiffres parlent d’eux-mêmes : malgré des tonnes interceptées chaque année, l’offre suit la demande et même la devance.
Certains pays ont tenté autre chose. Le Portugal avec sa dépénalisation de l’usage, le Canada ou certains États américains avec la légalisation du cannabis. Les résultats sont contrastés, mais une chose est sûre : la guerre à la drogue version XXe siècle montre ses limites.
Alors que faire ? Renforcer encore les moyens policiers ? Ouvrir le débat sur la régulation ? Investir massivement dans la prévention et les soins ? Probablement un peu de tout ça. Mais une chose est certaine : ignorer la réalité de ces 6,8 milliards d’euros serait la pire des solutions.
Et demain ?
Si la tendance se maintient – et rien n’indique le contraire pour l’instant – la cocaïne pourrait creuser encore l’écart. Les filières albanaises, colombiennes et mexicaines se professionnalisent à vitesse grand V. Les ports d’Anvers et de Rotterdam restent des passoires. Et la demande européenne, France en tête, continue de croître.
Le jour où on parlera d’un marché à 10 milliards d’euros n’est peut-être pas si loin. À ce moment-là, la question ne sera plus de savoir si on change de paradigme, mais pourquoi on a attendu si longtemps.
En attendant, la prochaine fois que vous croiserez quelqu’un qui vous dit « la coke, c’est fini, c’était les années 80 », montrez-lui ces chiffres. Parfois, la réalité dépasse largement les clichés.
(Article basé sur les estimations moyennes publiées fin 2025 – les chiffres exacts restent par nature incertains, mais la tendance, elle, ne laisse aucun doute.)
