Vous est-il déjà arrivé de tomber sur un numéro qui promet monts et merveilles en deux clics ? En l’occurrence, il promettait plutôt un voyage express… vers les urgences ou la prison. Pendant près d’une année entière, un simple service de centrale d’appel a écoulé des dizaines de kilos de kétamine et de drogues de synthèse partout en Île-de-France. Et le pire ? Le nom choisi par les trafiquants faisait sourire : ils s’étaient baptisés comme un grand quotidien national. L’ironie est cruelle.
Un coup de filet qui fait vaciller tout un réseau
La chute est brutale. Début décembre 2025, les enquêteurs de la brigade des stupéfiants mettent fin à l’aventure d’un des plus gros fournisseurs de produits festifs de la région. Bilan : 57 kg de kétamine et 18 kg de drogues de synthèse saisis, six hommes interpellés, tous mis en examen et placés en détention provisoire. Des quantités industrielles pour un réseau qui fonctionnait avec une simplicité déconcertante.
Ce qui frappe, c’est l’organisation presque… administrative du trafic. Un numéro unique, un standard téléphonique, des livreurs qui rayonnaient dans les huit départements franciliens. Presque une start-up de la drogue, version low-cost et ultra-dangereuse.
La kétamine, cette star montante des soirées
À l’origine, la kétamine est un anesthésiant vétérinaire et humain parfaitement légal en milieu médical. Mais depuis quelques années, elle s’est invitée dans les soirées techno et les afters parisiens. Effet dissociatif puissant, sensation de sortie du corps, prix relativement bas : le cocktail parfait pour détrôner la MDMA chez certains consommateurs.
Le problème ? Les doses vendues dans la rue n’ont rien à voir avec les protocoles hospitaliers. On parle de poudre brute, parfois coupée avec tout et n’importe quoi. Résultat : overdoses, comas, troubles psychiatriques durables. Et pourtant, la demande explose. Les saisies de kétamine en France ont été multipliées par dix en cinq ans. Terrifiant.
« On voit arriver aux urgences des jeunes qui ne savent plus où ils habitent après une seule prise. C’est devenu aussi banal que l’ecstasy il y a vingt ans. »
Un médecin urgentiste parisien
Un fonctionnement d’une simplicité effrayante
Le client appelait. Un répondeur lui proposait plusieurs options : « Tapez 1 pour la kétamine, tapez 2 pour la 3-MMC, tapez 3 pour la 2C-B… » Une fois le choix fait, un opérateur prenait la commande, demandait l’adresse, et un livreur (souvent un jeune en scooter) arrivait en moins d’une heure. Paiement en liquide ou crypto, jamais de trace.
Les enquêteurs ont mis des mois à remonter la piste. Écoutes téléphoniques, géolocalisation, filatures discrètes. Ce qui les a le plus surpris ? L’absence totale de violence. Pas d’armes, pas de menaces. Juste une logistique rodée et une discrétion absolue. Le genre de réseau qui passe sous les radars parce qu’il ne fait pas de vagues.
- Commande 24h/24 et 7j/7
- Livraison express dans toute l’Île-de-France
- Paiement anonyme (cash ou crypto)
- Aucun contact physique entre les têtes du réseau et les clients
C’est presque une entreprise modèle… si on oublie qu’elle tue à petit feu une partie de la jeunesse francilienne.
Qui sont les six hommes arrêtés ?
Ils ont entre 20 et 51 ans. Certains étaient déjà connus des services de police pour des faits mineurs, d’autres avaient un casier vierge. On trouve pêle-mêle un ancien livreur Uber Eats reconverti, un étudiant en école de commerce qui gérait la comptabilité, et un quinquagénaire présenté comme le « cerveau » logistique du réseau.
Ce qui ressort des premiers éléments, c’est l’absence de profil type. Pas de gros bras tatoués, pas de cliché du caïd de banlieue. Juste des gens ordinaires qui ont vu dans la kétamine une mine d’or. Et qui ont gagné beaucoup, très vite. Les enquêteurs estiment le chiffre d’affaires à plusieurs centaines de milliers d’euros par mois.
Et maintenant ?
Le réseau est décapité, mais la demande, elle, reste intacte. D’autres prendront probablement la relève. La vraie question, c’est de savoir pourquoi cette drogue, pourtant classée stupéfiant depuis des décennies, continue de circuler aussi facilement.
Manque de contrôles sur les importations ? Facilité déconcertante à détourner des produits vétérinaires ? Ou simple reflet d’une société où l’on cherche à tout prix à s’évader, même au risque de ne jamais revenir ?
Une chose est sûre : cette affaire n’est pas qu’un fait divers de plus. C’est le symptôme d’un malaise plus profond. Et tant qu’on ne s’attaquera pas à la racine du problème, les numéros changeront, mais les livreurs continueront de sonner aux interphones.
Personnellements, ce qui me glace le plus, c’est de penser que ce numéro était peut-être dans le téléphone de quelqu’un que je connais. Un collègue, un voisin, un cousin. Parce que oui, la kétamine n’est plus réservée aux raveurs des warehouses de Pantin. Elle s’invite désormais dans les appartements haussmanniens et les pavillons de banlieue tranquille.
La guerre contre la drogue est loin d’être gagnée. Mais chaque saisie de 75 kg nous rappelle qu’on peut encore limiter les dégâts. Espérons que cette fois, la leçon sera retenue.
