Vous est-il déjà arrivé de croquer dans une madeleine et, l’espace d’un instant, de vous retrouver propulsé en enfance ? Pour des milliers de Français, c’est exactement ce que représente la Maison Colibri. Et pourtant, cette petite douceur risque de ne plus jamais sortir des fours de Pons, en Charente-Maritime. L’usine historique, qui tourne depuis 1896, est menacée de fermeture définitive fin 2026. Ce n’est pas une rumeur : c’est acté. Et les salariés, eux, refusent de baisser les bras.
Un cri d’alarme adressé au sommet
Le 28 novembre dernier, une lettre a été envoyée. Pas à un directeur de site, pas à un DRH, non. Directement au grand patron, à l’homme qui pèse plusieurs milliards et dont le nom figure chaque année dans les classements des plus grandes fortunes françaises. Les salariés, par la voix de leur comité social et économique, ont choisi de s’adresser à celui qui a le pouvoir de tout changer… ou de tout laisser couler.
Dans ce courrier, que j’ai pu consulter, on sent la colère, mais surtout une immense tristesse. Ce n’est pas qu’une question d’emploi. C’est une histoire de vie, de fierté, de racines.
« Nous avons été profondément bouleversés d’apprendre, du jour au lendemain, la fermeture du site, sans concertation, sans préavis, sans voie de dialogue (…) Une centaine de familles seraient ainsi laissées au bord du chemin, comme si leur engagement, leurs sacrifices (…), n’avaient pas compté. »
Cette phrase, elle résume tout. On parle de gens qui ont accepté de renoncer à leur 13e mois pendant deux ans, qui ont bossé les week-ends et les jours fériés, qui ont tout donné pour que l’entreprise reste à flot. Et un matin, on leur annonce que c’est fini.
Une histoire qui a commencé il y a plus d’un siècle
Revenons un peu en arrière. La Maison Colibri, ce n’est pas n’importe quelle marque. Fondée en 1896 à Pons, elle fait partie de ces rares entreprises françaises qui ont traversé les deux guerres mondiales, les crises économiques, les révolutions industrielles… et qui continuent, encore aujourd’hui, de fabriquer localement. Les madeleines sorties de ces fours ont le goût du beurre, du vrai, et une coquille bien bombée, un moelleux inimitable. Les puristes le savent : il y a Colibri, et il y a les autres.
L’usine, avec ses vieilles briques rouges et ses cheminées, c’est un peu le cœur battant de la ville. Quand on passe devant, on sent parfois cette odeur sucrée qui s’échappe. Les habitants vous le diront : perdre Colibri, c’est perdre un bout d’identité.
Pourquoi fermer un site qui tourne depuis 130 ans ?
La réponse officielle ? Rentabilité. Le groupe propriétaire, via sa filiale spécialisée dans la pâtisserie industrielle, estime que le site de Pons n’est plus compétitif. Trop petit, trop vieux, trop cher à moderniser. La solution ? Tout concentrer sur d’autres usines, notamment celle de Derval, en Loire-Atlantique, où 20 millions d’euros viennent d’être investis pour augmenter la capacité de production.
En clair : on délocalise la production à quelques centaines de kilomètres, on ferme Pons, et on met 68 salariés (plus les dizaines d’intérimaires) à la porte. Le plan de sauvegarde de l’emploi est en cours de négociation. Autant dire que l’ambiance est glaciale.
Mais ce qui choque le plus les salariés, c’est le sentiment d’avoir été trahis. Pendant des années, on leur a demandé des efforts. Ils les ont faits. Et aujourd’hui, on leur dit merci, au revoir.
Une mobilisation qui monte en puissance
Face au silence du grand patron, les salariés ont décidé de passer à l’action. Ce mardi 9 décembre, ils prévoient un geste fort : pour la première fois depuis des décennies, ils vont cesser le travail et se rassembler devant l’usine. Pas de violence, pas de blocage, juste un message clair : on existe, on compte, écoutez-nous.
Ils espèrent que ce rassemblement fera enfin réagir. Qu’on les entendra. Qu’on viendra. Qu’on discutera. Parce que pour eux, tout n’est pas perdu. Il reste des pistes : une reprise par un autre industriel ? Un projet de reprise par les salariés ? Une aide publique pour moderniser le site ? Rien n’est impossible quand on veut sauver un outil de travail.
- Ils ont accepté des sacrifices financiers pendant la crise Covid
- Ils ont augmenté leur productivité malgré des machines vieillissantes
- Ils ont maintenu une qualité irréprochable, reconnue partout en France
- Ils forment les jeunes, transmettent un savoir-faire unique
Et tout ça pour se retrouver, du jour au lendemain, considérés comme un simple coût à réduire ? C’est ça qui fait mal.
Et si le propriétaire venait vraiment ?
Dans leur lettre, les salariés lancent une invitation solennelle : « Nous vous invitons humblement, mais avec force, à venir vous-même. » Ils veulent qu’il voie de ses yeux l’usine, qu’il rencontre les équipes, qu’il comprenne ce que représente Colibri pour toute une région.
Parce que derrière les bilans comptables, il y a des vies. Des familles qui ont tout misé sur cette entreprise. Des retraités qui ont passé quarante ans ici. Des jeunes qui espéraient y faire carrière. Pons sans Colibri, c’est un peu comme Commercy sans ses madeleines (même si on ne prononce pas le nom du concurrent, on sait tous de qui on parle).
J’ai discuté avec plusieurs salariés ces derniers jours. Ce qui revient sans cesse, c’est cette phrase : « On ne demande pas la charité. On demande juste qu’on nous donne une chance. »
Un précédent qui donne de l’espoir… ou pas
Ce n’est pas la première fois qu’un grand patron est interpellé ainsi. Parfois, ça marche. Parfois, non. On se souvient de certaines reprises in extremis, quand un actionnaire décide soudain de donner sa chance à un site menacé. Et parfois… le silence est assourdissant.
Là, pour l’instant, c’est le silence. Aucune réponse à la lettre. Pas un mot. Juste des négociations sèches sur le montant des indemnités. Comme si tout était déjà plié.
Mais les salariés, eux, n’ont pas dit leur dernier mot. Ils préparent d’autres actions. Ils contactent les élus. Ils alertent les médias locaux. Ils refusent de devenir un simple chiffre dans un rapport annuel.
Et nous, qu’est-ce qu’on peut faire ?
On peut déjà acheter des madeleines Colibri. Sérieusement. Tant que l’usine tourne, chaque paquet compte. On peut aussi en parler autour de soi. Partager leur histoire. Parce que parfois, la pression de l’opinion publique, ça change la donne.
Et surtout, on peut se poser la question : jusqu’où est-on prêt à laisser filer notre patrimoine industriel ? Combien d’usines centenaires devront encore fermer avant qu’on dise stop ?
L’histoire de la Maison Colibri n’est pas encore finie. Demain, il y aura du monde devant l’usine. Des banderoles. Des larmes, peut-être. Mais surtout de l’espoir.
Parce que tant qu’il y a des femmes et des hommes prêts à se battre pour leur outil de travail, rien n’est jamais totalement perdu.
Affaire à suivre. De très près.
