Imaginez un peu : un gamin de la banlieue lyonnaise, pur produit du football français, qui se retrouve un jour au milieu du Pays basque espagnol à diriger le club le plus atypique d’Europe. Et qui finit, des années plus tard, par avouer que là-bas, il a laissé une partie de son cœur. Cette histoire, c’est celle de Luis Fernandez et de l’Athletic Club de Bilbao.
Quand on parle de lui, on pense immédiatement PSG, bien sûr. Le capitaine de 1986, le coach de la Coupe des coupes 1996, l’animateur radio qui ne mâche pas ses mots. Mais il y a cette parenthèse basque, entre 1996 et 2000, qui a tout changé. Quatre années qui ont transformé l’homme autant que l’entraîneur.
L’arrivée d’un Français dans le sanctuaire basque
1996. Luis vient de remporter la Coupe des coupes avec Paris. Il est au sommet. Et pourtant, il dit oui à Bilbao. Pourquoi ? Parce que le challenge est fou. L’Athletic, c’est ce club mythique qui ne recrute que des joueurs nés ou formés au Pays basque (côté espagnol comme français). Une philosophie unique au monde, presque religieuse.
À son arrivée, certains supporters se méfient. Un Français ? À la tête du temple basque ? Fernandez, lui, comprend très vite où il met les pieds. Il apprend quelques mots d’euskara, porte l’ikurriña autour du cou lors des célébrations, et surtout, il respecte la règle d’or : pas de stars étrangères, que du local. Et ça, les gens de Bilbao ne l’oublieront jamais.
La saison miracle de 1997-1998
La deuxième année, tout bascule. L’Athletic termine deuxième de la Liga, juste derrière le grand Barça de Van Gaal. Une performance énorme quand on sait que le Real Madrid et ses Galactiques naissants finissent… sixièmes !
Ce groupe-là, c’était quelque chose. Julen Guerrero, le génie blond, Joseba Etxeberria, le feu follet, Andoni Goikoetxea en défense (oui, celui qui avait cassé Maradona dix ans plus tôt), et un gamin de 19 ans qui débarque du centre de formation : un certain Iker Muniain n’est pas encore là, mais l’esprit est le même.
« On jouait avec le cœur, avec l’âme basque. Ce n’était pas seulement onze joueurs, c’était tout un peuple derrière. »
Luis Fernandez, des années plus tard
Ce dauphinat offre à l’Athletic sa première qualification en Ligue des champions depuis… 1957 ! San Mamés devient une forteresse imprenable. Les grands d’Europe tremblent en venant à Bilbao. Et Fernandez est porté en triomphe.
San Mamés, la cathédrale qui vous change un homme
Parler de l’Athletic sans parler de San Mamés, c’est impossible. Ce vieux stade, avant sa démolition en 2013, avait une âme que peu d’enceintes possèdent. Fernandez le dit encore aujourd’hui : « Quand tu entres là-dedans et que 40 000 Basques chantent l’hymne, tu as la chair de poule. Même si tu n’es pas d’ici. »
Il raconte une anecdote qui résume tout. Un soir de derby contre la Real Sociedad. L’Athletic est mené 1-0 à la pause. Dans les vestiaires, il ne dit presque rien. Il laisse les joueurs parler entre eux, en euskara. Et à la reprise, ils reviennent et écrasent l’adversaire 4-1. « Ce jour-là, je n’ai rien fait, sourit-il. C’est le maillot qui a gagné. »
El Machote : le surnom qui colle encore à la peau
À Bilbao, on ne l’appelle plus Luis Fernandez. On l’appelle El Machote. Le viril, le costaud, celui qui ne lâche rien. Le surnom est né lors d’une conférence de presse houleuse où il a remis un journaliste à sa place avec un calme glacial. Depuis, c’est resté.
Vingt-cinq ans plus tard, quand il revient à Bilbao (et il y revient souvent), les gens l’arrêtent dans la rue. Les vieux dans les bars à pintxos, les gamins qui portent son nom sur leur maillot floqué vintage. Il y a même un bar qui s’appelle « El Machote » dans le Casco Viejo.
- Il a droit à une ovation debout à chaque fois qu’il remet les pieds au nouveau San Mamés
- Les supporters chantent encore son nom lors des grands matchs
- Il est invité VIP à tous les événements du club
- En 2024, le président lui a proposé de devenir ambassadeur honoraire (il a poliment décliné, trop occupé avec ses activités en France)
Pourquoi cette histoire touche autant
Ce qui est beau, c’est que Fernandez n’était pas basque. Il aurait pu faire l’aller-retour, prendre son chèque et repartir. Non. Il s’est imprégné de la culture. Il a compris que défendre ces couleurs, c’était plus grand que du foot.
Aujourd’hui, quand il regarde un match de l’Athletic, il vibre encore. Il suit les résultats, il texte certains anciens joueurs, il pleure presque quand ils gagnent une finale (comme la Coupe du Roi 2024, il était dans les tribunes, écharpe autour du cou, les larmes aux yeux).
Et quand on lui demande quel est le plus grand souvenir de sa carrière d’entraîneur, il hésite. Le titre avec le PSG en 1994 ? La Coupe des coupes ? Non. Il répond souvent : « La deuxième place avec Bilbao en 98. Parce que là-bas, on n’a pas gagné un titre… on a gagné une identité. »
Et demain ? Un retour possible ?
Valverde est solidement installé et fait un travail exceptionnel. Mais dans le foot, on ne sait jamais. Ce qui est certain, c’est que si un jour l’Athletic rappelle Luis Fernandez, il prendra le premier vol. Sans hésiter.
Parce qu’au fond, comme il le dit si bien : « Ce jour-là, je n’étais pas Luis Fernandez, j’étais basque. » Et quelque part, il l’est encore un peu. Toujours.
Preuve que le football, quand il est vécu avec le cœur, peut transcender les frontières, les langues et même les origines. Une belle leçon, non ?
