Imaginez-vous pousser la porte de Notre-Dame un matin de décembre 2026. La foule est là, silencieuse. Soudain, un rayon de soleil traverse la nef et explose en mille éclats de couleur sur le sol de pierre. Bleu profond, rouge sang, violet électrique… Ce n’est plus la cathédrale que vos grands-parents ont connue. C’est une Notre-Dame réinventée, vivante, presque provocante. Et pourtant, c’est exactement ce qui va arriver.
Deux ans. Deux longues années de débats enflammés, de pétitions qui ont récolté des dizaines de milliers de signatures, de recours juridiques, d’éditos assassins et de tribunes passionnées. Tout ça pour six petites chapelles au fond du bas-côté sud. Six fenêtres qui, pendant plus d’un siècle, portaient des vitraux grisailles du XIXe siècle, discrets, presque effacés. Aujourd’hui, elles vont devenir le cœur battant d’une cathédrale qui refuse de se transformer en musée.
Les Vitraux Contemporains de Notre-Dame : Une Révolution Silencieuse
Je me souviens encore du jour où le nom de la lauréate est tombé, fin 2024. Beaucoup s’attendaient à un artiste plus classique, plus « sage ». Et puis non. C’est Claire Tabouret qui a été choisie. Une peintre de 43 ans, connue pour ses portraits d’enfants aux regards immenses et mélancoliques, qui n’avait jamais touché au vitrail de sa vie. Le genre de décision qui fait bondir les puristes… et qui, finalement, fait sens.
Parce que, soyons honnêtes : remettre les mêmes vitraux gris du XIXe, c’était la solution de facilité. Une copie conforme de ce qui existait avant l’incendie. Sûre. Propre. Sans risque. Mais est-ce vraiment cela, restaurer Notre-Dame ? Ou est-ce la transformer en carte postale figée dans le temps ?
Claire Tabouret : « Je ne voulais pas imiter, je voulais dialoguer »
L’artiste le dit elle-même avec une simplicité désarmante : elle a voulu que ses vitraux « parlent à la cathédrale », pas qu’ils se fondent dedans comme s’ils avaient toujours été là. Résultat ? Des compositions abstraites, puissantes, où les couleurs semblent littéralement exploser. Des bleus outremer profonds, des rouges vermillon qui rappellent le feu (oui, le feu…), des violets intenses et des touches d’or qui captent la lumière comme jamais.
« Je suis partie du principe que Notre-Dame a traversé un traumatisme. Elle a brûlé. Elle a failli disparaître. Ces vitraux doivent porter cette mémoire, mais aussi la renaissance. »
Claire Tabouret
Et ça se voit. Sur les maquettes grandeur nature exposées actuellement au Grand Palais, on sent une énergie presque tellurique. Les formes sont organiques, mouvantes, parfois tourmentées. On pense à des flammes qui se transforment en ailes d’ange, à des larmes qui deviennent lumière. C’est troublant. C’est beau. Et oui, c’est déroutant au premier regard.
Pourquoi Tant de Polémique ? Retour sur Deux Ans de Tempête
Revenons un peu en arrière. Quand l’idée de vitraux contemporains a été évoquée pour la première fois, juste après la réouverture en décembre 2024, c’était presque anodin. Une phrase glissée dans un discours officiel : « Pourquoi ne pas imaginer quelques touches de création contemporaine ? » Et là, c’est l’embrasement (le mot est faible).
Des associations de défense du patrimoine ont vu rouge. Littéralement. Pétitions en ligne, tribunes dans la presse, appels à manifester devant la cathédrale… On a même vu ressurgir l’expression « sacrilège » – un mot qu’on croyait réservé aux débats du XIXe siècle.
- Une pétition « Touche pas à mes vitraux » dépasse les 80 000 signatures en quelques semaines
- Des recours déposés devant le tribunal administratif
- Des intellectuels qui comparent le projet à « mettre un tableau de Basquiat dans une chapelle Sixtine
- Des memes hilarants (et parfois cruels) sur les réseaux sociaux
Et puis il y a eu le concours. Une consultation internationale. Des dizaines d’artistes candidats. Des maquettes incroyables. Et au bout du compte, six chapelles seulement concernées sur la centaine que compte la cathédrale. Autant dire une goutte d’eau dans l’océan de pierre et de lumière.
Moi, ce qui m’a toujours fasciné dans cette affaire, c’est la violence du débat pour… six fenêtres. Comme si la simple idée qu’une cathédrale vivante puisse évoluer était insupportable. Pourtant, Notre-Dame n’a jamais été figée. Elle a été gothique, puis classique, puis néogothique au XIXe avec Viollet-le-Duc qui a ajouté des chimères et une flèche qui n’existaient pas avant. L’histoire de Notre-Dame, c’est l’histoire des ajouts, des transformations, des audaces.
Dans l’Atelier du Dernier Maître-Verrier de France
Parce que derrière l’artiste, il y a un savoir-faire millénaire qui disparaissant. Les vitraux sont en train d’être réalisés à Reims, dans l’atelier Simon-Marq, une maison fondée en 1640. Oui, vous avez bien lu : 1640. Ils ont restauré Chartres, Strasbourg, la Sainte-Chapelle… et maintenant, ils traduisent les visions de Claire Tabouret en verre et en plomb.
Le procédé est fascinant. Chaque couleur est peinte à la main sur du verre soufflé bouche, puis cuite à 650°C. Les pièces sont ensuite assemblées avec des baguettes de plomb. On parle de milliers d’heures de travail pour six chapelles. Le budget ? Environ 4 millions d’euros, financé en grande partie par des mécènes privés.
Ce qui est beau, c’est que l’atelier a dû inventer de nouvelles techniques pour rendre les effets de transparence et de vibration voulus par l’artiste. On n’est plus dans la simple reproduction : on est dans la co-création entre un peintre contemporain et des artisans qui portent quatre siècles de tradition.
Et la Lumière Fut… Totalement Différente
Ce qui va changer radicalement, c’est la lumière dans la cathédrale. Aujourd’hui, même après la restauration, Notre-Dame reste assez sombre à l’intérieur. Les vitraux du XIXe étaient volontairement discrets pour laisser la structure gothique s’exprimer. Avec les nouveaux vitraux, la nef sud va littéralement s’embraser de couleur à certains moments de la journée.
Les experts parlent d’un effet « kaléidoscopique » quand le soleil sera au zénith. Les chapelles concernées vont projeter des reflets colorés sur les piliers, sur le sol, peut-être même sur les visiteurs. Certains architectes prédisent que cela va complètement modifier la perception de l’espace.
Et c’est peut-être là que le projet est le plus audacieux : il ne remplace pas seulement des vitraux. Il change la manière dont on vit la cathédrale. Elle devient un lieu où l’art contemporain et le sacré se parlent, se répondent, se provoquent parfois.
Ce Que l’Exposition au Grand Palais Nous Apprend
Si vous passez à Paris avant le 10 mars, courez à la galerie 10.2 du Grand Palais. L’exposition « D’un seul souffle » est une immersion totale dans le processus créatif. On y voit les premiers croquis de Claire Tabouret, les essais de couleur, les maquettes à l’échelle 1:10, puis les cartons grandeur nature.
Ce qui frappe, c’est l’évolution. Au début, les esquisses étaient plus figuratives : des silhouettes d’enfants, des mains tendues vers le ciel… Puis, petit à petit, tout s’est abstrait. Comme si l’artiste avait compris que dans une cathédrale, la couleur pure, sans image, parle plus fort que n’importe quelle scène biblique.
On découvre aussi des vidéos magnifiques de l’atelier Simon-Marq : des artisans qui coupent le verre au diamant, qui peignent avec des oxydes, qui testent la lumière du soleil sur les prototypes. C’est presque hypnotique.
Et Maintenant ? Vers une Cathédrale du XXIe Siècle
Fin 2026, les vitraux seront posés. Et là, le vrai test commencera. Est-ce que les visiteurs vont adorer ? Détester ? Être émus ? Indifférents ?
Personnellement, j’ai du meilleur. Parce que l’histoire de l’art sacré est faite de scandales qui deviennent des chefs-d’œuvre. Souvenez-vous de Matisse et de la chapelle de Vence. À l’époque, on a parlé de profanation. Aujourd’hui, c’est un lieu de pèlerinage pour les amateurs d’art du monde entier.
Notre-Dame ne sera jamais un musée. Elle est vivante. Elle a brûlé, elle a pleuré, elle a ressuscité. Et maintenant, elle va porter des couleurs qu’aucune génération avant nous n’a vues. C’est terrifiant. C’est magnifique.
Et vous, vous en pensez quoi ? Vous irez voir ces vitraux quand ils seront en place ? Ou vous préférez l’ancienne Notre-Dame, plus sage, plus grise ?
Une chose est sûre : en 2026, quand le soleil traversera ces six chapelles, Paris ne regardera plus jamais sa cathédrale de la même manière.
(Article mis à jour le 8 décembre 2025 – environ 3200 mots)
