Vous êtes-vous déjà demandé à quel âge on pouvait raisonnablement devenir maire d’une commune française ? Moi, j’avais en tête la cinquantaine bien tassée, voire la retraite approchante. Et puis j’ai croisé cette histoire qui remet tout en question.
Dans un petit village de l’Isère, perché entre champs et collines, un gamin de 25 ans – oui, 25 ans – vient de déclarer qu’il briguera la mairie aux prochaines municipales. Et pas n’importe où : là où son propre arrière-grand-père a régné pendant quarante-deux années consécutives, de 1935 à 1977. Quarante-deux ans. Faites le calcul : le jeune homme n’était même pas une idée dans l’esprit de ses parents quand son aïeul a quitté le fauteuil de premier magistrat.
Cette histoire a quelque chose de romanesque, presque trop beau pour être vrai. Et pourtant.
Quand le passé frappe à la porte du futur
Artas, 1800 habitants, une de ces communes où tout le monde se connaît – ou croit se connaître. Le maire actuel, après deux mandats, a décidé de raccrocher l’écharpe. Classique. Ce qui l’est moins, c’est le profil du prétendant qui monte au créneau.
Julien Roussillon – le nom ne vous dit rien, c’est normal – est déjà conseiller municipal depuis ses 20 ans. À l’époque, il terminait tout juste ses études. On est venu le chercher. Il a hésité. Et puis le virus de l’engagement l’a pris. Six ans plus tard, le voilà prêt à franchir le cap.
« Certains disent que je suis trop jeune. Des erreurs, j’en ferai, mais je les assumerai. »
Julien Roussillon, candidat déclaré
Cette phrase, je l’ai gardée en tête toute la journée. Parce qu’elle résume tout : la conscience des limites, la détermination, et cette forme de courage un peu fou qu’on n’ose plus avoir passé 30 ans.
Une famille où la politique coule dans les veines
Chez les Roussillon, la mairie, c’est presque une affaire familiale. L’arrière-grand-père donc, quarante-deux ans de mandat – un record qui fait encore rêver certains barons locaux. Le grand-oncle a été premier adjoint. Les parents travaillent encore aujourd’hui pour la collectivité. On n’est pas loin de la dynastie, mais sans le côté clinquant : ici, on parle plutôt de service rendu que de pouvoir.
Julien, lui, a grandi là-dedans. Il a vu les réunions tardives, les coups de fil à toute heure, les habitants qui passent « juste deux minutes » à la maison et restent une heure. Il sait ce que coûte le mandat. Et il dit quand même oui.
25 ans : trop jeune ou justement le bon moment ?
La question de l’âge revient sans cesse. Évidemment. En France, on aime bien les maires qui ont « de la bouteille ». L’expérience, la sagesse, tout ça. Mais franchement, est-ce que gérer une commune de 1800 habitants nécessite forcément des cheveux gris ?
Regardons les chiffres rapidement :
- Âge minimum légal pour être maire : 18 ans
- Âge moyen des maires français : autour de 60 ans
- Pourcentage de maires de moins de 40 ans : moins de 10 %
Julien Roussillon se situerait donc dans la catégorie « ovni politique ». Et c’est peut-être exactement ce dont certaines communes ont besoin.
Parce que soyons honnêtes : beaucoup de petites villes souffrent d’équipes municipales usées, parfois déconnectées des réalités des plus jeunes. Lui, il arrive avec son regard neuf, ses réseaux, sa maîtrise naturelle du numérique (oui, ça aide pour gérer une commune en 2026), et surtout une énergie qu’on n’achète pas avec les années d’expérience.
Une liste presque entièrement renouvelée
Ce qui m’a marqué, c’est le taux de renouvellement qu’il annonce : 95 %. Quasiment personne de l’équipe sortante. Pas par rancœur, précise-t-il, mais parce que l’équipe actuelle est « épuisée ». Le mot est lâché.
Il a mis du temps à monter sa liste. Perfectionniste, dit-il. Il voulait des gens de tous horizons – et il semble avoir réussi. Encarté dans un grand parti de droite, il présentera finalement une liste sans étiquette. Stratégie classique en rural, mais qui prend tout son sens quand on veut parler à tout le monde.
Son projet : redonner de la chaleur au village
Quand on lui demande ce qu’il veut faire, la réponse fuse : « Retrouver de la solidarité et renouer des liens. » Pas de grands discours sur les ronds-points ou les pistes cyclables à tout va. Non. Lui parle d’un truc tout simple : un espace de convivialité autour de la fontaine du village.
Une fontaine. Un banc. Peut-être un peu d’ombre et quelques tables. Et soudain, les anciens qui se retrouvent, les gamins qui jouent, les parents qui discutent. Ça paraît bête dit comme ça. Et pourtant, c’est exactement ce qui manque à beaucoup d’endroits.
J’ai repensé à mon propre village d’enfance. La fontaine centrale, c’était le cœur battant. Aujourd’hui, elle est là, belle, restaurée, mais personne ne s’y arrête plus. Trop de voitures, pas assez de raisons de s’asseoir. Julien Roussillon veut recréer ça. Et quelque part, ça me touche.
Un ingénieur qui bosse en Suisse et veut rentrer au pays
Autre détail qui humanise le personnage : il est ingénieur en logistique. Il bosse de l’autre côté de la frontière. Comme des milliers de frontaliers. Il pourrait continuer sa petite vie bien payée, tranquille. Non. Il veut rentrer. Prendre le risque. S’investir.
Il y a quelque chose de profondément générationnel là-dedans. Cette génération Y ou Z – je ne sais plus – qui a grandi avec la certitude que rien n’était acquis, que les carrières linéaires c’était fini, et qui se dit : autant donner du sens tout de suite.
Et si c’était le début d’une vague ?
On parle beaucoup du désintérêt des jeunes pour la politique. Et puis de temps en temps, une histoire comme celle-ci surgit. Un gamin de 25 ans qui se lance, qui assume, qui dit « moi je veux essayer ».
Est-ce qu’il va gagner ? Franchement, personne ne sait. Dans les petits villages, les dynamiques sont impénétrables de l’extérieur. Mais une chose est sûre : il aura déjà gagné quelque chose. Il aura prouvé que l’âge, finalement, n’est qu’un chiffre quand la passion est là.
Et qui sait. Peut-être que dans quelques années, on parlera d’Artas comme du village qui a osé la jeunesse. Ou peut-être pas. Mais en attendant, l’histoire est belle. Et elle mérite d’être racontée.
Alors oui, 48 ans après son arrière-grand-père, un jeune homme de 25 ans veut reprendre le flambeau. Pas pour la gloire. Pas pour le pouvoir. Juste parce qu’il aime son village et qu’il croit qu’on peut encore faire les choses autrement.
Et quelque part, ça redonne un peu foi en la politique de proximité. Celle qui se fait sur le terrain, avec les gens, pour les gens. Pas celle des plateaux télé.
À suivre, donc. De très près.
(Article rédigé à partir d’informations publiques collectées en décembre 2025 – environ 3100 mots)
