Imaginez-vous rentrer chez vous à 22 heures, longer des trottoirs où les sacs poubelles débordent depuis trois jours, croiser des groupes qui vous dévisagent un peu trop longtemps, et réaliser que même le bruit des cars de touristes vous suit jusque dans votre cage d’escalier. C’est le quotidien de milliers d’habitants du 18e arrondissement de Paris. Et lundi soir, ils ont dit stop.
Une cinquantaine de riverains, venus de Montmartre, de la Goutte d’Or, de La Chapelle ou de Barbès, se sont postés devant la mairie du 18e pendant le conseil d’arrondissement. Sifflets, pancartes, slogans scandés à pleins poumons. Un réveil brutal pour les élus qui siégeaient tranquillement à l’étage.
Un ras-le-bol qui ne date pas d’hier
Franchement, on sent que la cocotte-minute était sur le feu depuis longtemps. Les collectifs citoyens qui ont organisé cette action ne sont pas sortis de nulle part. Certains bataillent depuis des années, parfois des décennies, pour que leur quartier redevienne vivable.
Ce qui m’a marqué, c’est la diversité des profils présents : des retraités de longue date, des familles avec poussettes, des jeunes actifs qui ont choisi le 18e pour son âme et qui déchantent rapidement. Tout ce petit monde uni par un même sentiment : on nous abandonne.
« On n’en peut plus d’être pris pour des décors de carte postale le jour et des citoyens de seconde zone la nuit. »
Un habitant de la rue de Clignancourt, présent lundi soir
L’insécurité, ce sentiment qui ronge
Parlons franchement : marcher seul dans certaines rues du 18e après 21 heures peut devenir une épreuve. Les chiffres officiels parlent d’eux-mêmes, mais le ressenti est encore pire. Deal de rue en plein jour, agressions pour un téléphone, femmes qui changent de trottoir par peur… Ce n’est pas une impression, c’est une réalité quotidienne.
Dans le secteur La Chapelle – Marx Dormoy, plusieurs habitantes m’ont confié qu’elles ne sortaient plus après 20 heures sans avoir quelqu’un au téléphone. Une d’entre elles m’a même avoué prendre des détours de vingt minutes pour éviter certains passages.
- Agressions répétées aux abords du métro
- Cambriolages en augmentation dans les immeubles anciens
- Présence constante de groupes menaçants aux coins de rue
- Sentiment d’impunité totale pour les petits délits
Et quand on signale, on a parfois l’impression de parler dans le vide. Les effectifs de police sont ce qu’ils sont, les réponses souvent longues à venir. Résultat ? Les habitants finissent par se barricader ou… par déménager.
Surtourisme : Montmartre étouffe sous les selfies
À l’opposé, sur la butte Montmartre, le problème est inverse mais tout aussi écrasant : trop de monde. Des cars entiers déversent leurs flots de touristes dès 8 heures du matin. Résultat ? Les ruelles sont devenues des autoroutes à selfies.
Les habitants ne peuvent plus faire leurs courses tranquillement, les terrasses sont inaccessibles, les escaliers transformés en gradins pour influenceurs. Un riverain historique du quartier Abbesses me confiait récemment : « J’ai vécu ici quarante ans. Aujourd’hui, je ne reconnais plus mon quartier six mois par an. »
Le pire ? Certains logements sont transformés en Airbnb illégaux, vidant les immeubles de leurs habitants permanents. Conséquence directe : moins de vie de quartier, plus de passage. Un cercle vicieux.
Propreté : le symbole d’un abandon
Et puis il y a la saleté. Ce sujet qui semble anodin mais qui cristallise tout. Sacs poubelles éventrés par les renards (ou les humains), urine dans les halls d’immeuble, mégots et canettes partout. Le 18e n’est pas le seul touché, mais il cumule les handicaps : forte densité, beaucoup de passage, peu de moyens.
Une habitante de la rue Myrha m’a montré des photos datées : mêmes tas d’ordures, mêmes endroits, à trois ans d’intervalle. « On signale, on appelle, on écrit… Rien ne change. On a juste l’impression de payer toujours plus de taxes pour un service qui régresse. »
Une action symbolique mais forte
Revenons à lundi soir. Le choix de perturber le conseil d’arrondissement n’est pas anodin. C’est l’endroit où se décident les budgets, les priorités, les recrutements d’agents de propreté ou de médiateurs. Venir crier sous les fenêtres, c’est rappeler aux élus qu’ils ne sont pas dans une bulle.
Les sifflets ont résonné pendant toute la séance. Certains conseillers ont tenté de dialoguer par la fenêtre, d’autres ont préféré fermer les rideaux. Symbole fort : les manifestants ont déposé symboliquement des sacs poubelles au pied de la mairie. Message reçu ?
« On ne veut pas partir. On veut juste pouvoir vivre normalement dans notre quartier. C’est pas Versailles ici, mais c’est chez nous. »
Vers un réveil citoyen avant 2026 ?
À moins de cinq mois des élections municipales, ce genre d’action prend une tout autre dimension. Les collectifs l’ont bien compris. Ils ne demandent pas la lune : plus de policiers de proximité, une vraie régulation du tourisme de masse, un plan propreté ambitieux et tenu dans la durée.
Ce qui est intéressant, c’est que ces revendications dépassent les clivages politiques traditionnels. On trouve dans ces collectifs des gens de tous bords, unis par le ras-le-bol. Et ça, c’est plutôt nouveau dans le paysage parisien.
Certains parlent déjà de listes citoyennes pour 2026. D’autres préfèrent rester dans l’action de terrain. Mais une chose est sûre : le 18e bouge. Et quand le 18e bouge, Paris entier finit souvent par l’entendre.
Et maintenant ?
La mairie d’arrondissement a promis une réunion dans les prochains jours avec les collectifs. Promesse de gascon ou vraie volonté de dialogue ? L’avenir nous le dira. Mais les habitants, eux, ont prévenu : ils ne lâcheront pas.
Parce qu’au fond, ce qui se joue dans le 18e, c’est la question de savoir quel Paris on veut pour demain. Une ville-musée pour touristes fortunés ou une capitale vivante, populaire, mélangée, mais où on peut encore vivre sans peur et sans dégoût ?
La réponse ne viendra pas que des élus. Elle viendra aussi, et peut-être surtout, de la rue. Et lundi soir, la rue a parlé fort.
Au final, cette petite manifestation devant une mairie d’arrondissement est peut-être le début de quelque chose de plus grand. Un réveil. Un sursaut. Ou simplement le cri d’habitants qui en ont marre d’être considérés comme des figurants dans leur propre ville.
Et vous, dans votre quartier, vous en êtes où ?
