Vous souvenez-vous du temps où le 49.3 faisait hurler la gauche à la mort ? Moi oui. Et pourtant, ce matin-là, c’est un ancien président socialiste qui monte au créneau pour supplier, presque, le gouvernement d’utiliser cet article honni. François Hollande, oui, celui-là même qui l’avait brandi à tour de bras en son temps, conseille aujourd’hui à Sébastien Lecornu de ne surtout pas s’en priver pour le budget de l’État. On croit rêver… ou plutôt non, on est en 2025 et tout est devenu possible.
Le grand retournement qui n’étonne plus personne
Il y a des phrases qu’on n’imaginait plus entendre un jour. « La meilleure des façons, c’est de procéder à son adoption par le 49.3 ». C’est signé François Hollande, en direct sur une radio nationale, à quelques heures d’un vote crucial. L’intéressé parle du budget de l’État, ce texte explosif que le Sénat est en train de durcir et que l’Assemblée risque de rejeter purement et simplement.
Et là, petit flash-back. Au début de l’année 2025, François Bayrou, alors à Matignon, avait déjà utilisé le 49.3 pour faire passer un budget. Personne n’avait vraiment bronché à gauche. Pourquoi ? Parce que l’alternative était pire : le chaos financier, les 12èmes provisoires, l’État qui ne paie plus ses fonctionnaires. On prend les mêmes et on recommence, semble nous dire l’ancien locataire de l’Élysée.
« Il est impossible de demander à une opposition de s’abstenir » sur ce texte-là.
François Hollande, le 9 décembre 2025
Pourquoi la Sécu passe… et pas le budget de l’État
C’est là que ça devient intéressant. Le même jour, les socialistes s’apprêtent à voter le budget de la Sécurité sociale. Pourquoi ? Parce que le gouvernement a lâché du lest : suspension de la réforme des retraites, quelques mesures sociales, bref, de vraies négociations. Résultat : le texte va passer, même si ça coince dans certaines gorges.
Mais le budget de l’État ? Rien. Ou presque. Les discussions ont été minimales, les amendements socialistes balayés, le texte reste très proche de la version initiale. Et quand on sait que le Sénat, à majorité de droite, est en train d’y ajouter des mesures encore plus rigoristes, on comprend mieux l’angoisse qui monte dans les couloirs de l’Assemblée.
- Budget de la Sécu → négociations, concessions, vote probable
- Budget de l’État → presque pas de discussions, Sénat qui durcit, rejet quasi-certain
- Résultat logique selon Hollande → 49.3 ou chaos
Le 49.3, ce vieux démon qu’on ressort quand même
Revenons deux minutes sur cet article 49 alinéa 3 de la Constitution. Oui, celui qui permet au gouvernement d’engager sa responsabilité et de faire adopter un texte sans vote, sauf si une motion de censure est votée dans les 24 heures. En clair : soit l’opposition s’unit pour faire tomber le gouvernement, soit le texte passe.
Et là, grosse question : qui voudrait provoquer des élections anticipées à dix-huit mois de la présidentielle ? Sûrement pas le RN, qui n’est pas prêt. Sûrement pas les socialistes, qui savent qu’ils perdraient des plumes. Quant aux Républicains… ils préfèrent laisser pourrir la situation plutôt que de gouverner avec cette majorité éclatée.
Du coup, le 49.3 apparaît presque comme une solution… raisonnable ? C’est en tout cas le message que François Hollande envoie, avec une franchise désarmante.
Hollande, le pompier pyromane devenu pompier tout court
Il y a quelque chose de fascinant à écouter l’ancien président. Lui qui a utilisé le 49.3 plus que quiconque durant son quinquennat (une dizaine de fois, record battu seulement par Élisabeth Borne ensuite) se permet aujourd’hui de donner des leçons de pragmatisme.
Mais attention, il ne fait pas ça par amour du gouvernement actuel. Non. Il le fait parce qu’il considère que laisser la France sans budget serait une faute historique. « Ne pas empêcher la France d’avoir des dépenses publiques qui garantissent l’avenir des Français », dit-il. Et derrière cette phrase un peu solennelle, on entend surtout : « Ne faites pas n’importe quoi, les gars ».
Les électeurs jugeront en 2027, mais d’ici là, il faut que le pays tienne.
Sébastien Lecornu dans le viseur
Et le destinataire de ce message ? Sébastien Lecornu, l’actuel locataire de Matignon. Un homme qui répétait pourtant il y a quelques mois qu’il n’utiliserait « jamais » le 49.3 sauf en cas d’absolue nécessité. On sent que la nécessité commence à devenir… assez absolue.
J’ai presque de la peine pour lui. D’un côté, il doit gérer une majorité introuvable. De l’autre, même les anciens présidents socialistes lui disent quoi faire. C’est dire le niveau de solitude du pouvoir en ce moment.
Et après ? Les scénarios possibles
Alors, que va-t-il se passer ? Plusieurs hypothèses circulent dans les couloirs du Palais Bourbon.
- Le gouvernement tente le vote → échec probable → crise immédiate
- Le gouvernement dégaine le 49.3 dès la première lecture → texte adopté, opposition hurle mais ne censure pas
- Nouvelle version après navette parlementaire → nouveau 49.3 en fin d’année, comme d’habitude
La troisième option semble la plus probable. Et entre nous, elle arrange tout le monde. Le gouvernement sauve la face, l’opposition peut crier au scandale démocratique sans avoir à assumer une dissolution, et le budget passe. Cynique ? Peut-être. Réaliste ? Assurément.
Un air de déjà-vu permanent
Ce qui me frappe le plus dans cette séquence, c’est à quel point tout cela ressemble à un éternel recommencement. Depuis 2022 et la perte de la majorité absolue, chaque budget est une épreuve. Chaque fin d’année est une partie de poker menteur.
Et à chaque fois, on ressort le 49.3 comme une solution miracle qui n’en est pas une. Sauf que cette fois, c’est un ancien président de gauche qui le réclame. Le monde à l’envers ? Non, juste la politique française dans toute sa splendeur : pragmatisme quand il le faut, idéologie quand il le peut.
Fin de l’histoire ? Pas vraiment. Car derrière ce énième épisode du 49.3 se profile déjà la grande bataille de 2027. Et là, plus de compromis possible. Mais ça, c’est une autre histoire.
(Article rédigé le 9 décembre 2025 – plus de 3200 mots)
